Intervention de Thomas-Olivier Léautier

Réunion du 6 novembre 2014 à 8h00
Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Thomas-Olivier Léautier, professeur des universités, université de Toulouse-I Capitole, membre de l'école d'économie de Toulouse :

En raison d'une erreur d'anticipation.

La bonne nouvelle de la concurrence, c'est que cette erreur n'a aucun impact sur la facture de l'usager. Seuls les investisseurs des opérateurs qui ont surinvesti paient les conséquences de leur erreur d'appréciation. Par exemple, c'est aux investisseurs de GDF Suez et non pas aux clients d'assumer la dépréciation de 12 milliards d'euros des moyens de production qu'ils ont investis et qui ne sont pas rentables.

Lorsque la capacité se sera réduite et que nous nous orienterons vers un retour à l'équilibre, il faudra voir si les mécanismes de marché permettront de financer la construction de nouveaux moyens de production.

En théorie, monsieur Baupin, vous avez raison : il est toujours possible de répartir la gestion de la pointe entre effacements et mécanismes de capacité. En pratique, une telle répartition reste difficile à mettre en oeuvre, en raison notamment du problème de l'anticipation et de la vérité des effacements. En effet, s'il est possible de prévoir la capacité de centrales pour 2018, comment, en revanche, un fournisseur peut-il s'engager à effacer dix gigawatts dans quatre ans ? Il ignore quel sera son portefeuille de clients à cette date.

De plus, un effacement se révèle toujours difficile à mesurer, puisque la mesure dépend d'une estimation de la consommation qui aurait eu lieu. Un industriel peut affirmer avoir dépensé quatre-vingts gigawatts au lieu de 100 et donc en avoir effacé vingt : c'est lui qui affirme qu'il aurait dû normalement en consommer 100. Qu'est-ce qui prouve qu'il n'en aurait pas effectivement consommé quatre-vingt-dix ?

Il n'est donc pas facile d'insérer l'effacement dans le mécanisme de capacité. Les opérateurs de réseau tendent à privilégier les centrales de production, ce qui diminue d'autant la valeur marginale des effacements. Les problèmes posés par l'effacement sont très compliqués : ils constituent un sujet de recherche sur lesquels nous travaillons en ce moment. Nous ne sommes pas encore parvenus à trouver de mécanisme cohérent.

Jean Tirole ne dit pas autre chose : il faut fixer un prix du CO2, qui est une externalité, en recourant soit à une taxe, soit au marché. L'Europe, sous la pression des États-Unis, a choisi le marché. Or le marché du carbone fonctionne très bien. Les quotas fixés reposaient sur une prévision de forte croissance économique : la crise ayant diminué les émissions de carbone, le prix du CO2 a baissé. Le marché fixe donc normalement le prix.

Si les pouvoirs publics français souhaitaient contrôler les émissions de gaz à effet de serre, ils y ont réussi : elles baissent en Europe, en raison, c'est vrai, de la crise économique. Si, en revanche, ils souhaitaient fixer le prix du carbone, ils auraient dû non pas recourir au marché mais créer une taxe. C'est ce qu'ils ont tenté de faire avec l'écotaxe, sans y réussir jusqu'à présent.

Monsieur Baupin, il n'est pas choquant que 41 milliards d'euros appartenant aux collectivités locales entrent dans le bilan d'ErDF, puisque, si les réseaux appartiennent effectivement aux collectivités locales, le concessionnaire qu'est ErDF inclut cette somme dans son passif et non dans son actif. Que le réseau ErDF reconnaisse dans ses comptes devoir 41 milliards aux collectivités locales me paraît donc tout à fait justifié. De même que les entreprises doivent de l'argent aux banques, ErDF, lui, en doit aux collectivités locales.

J'ai été trop vague sur la gouvernance cible des réseaux : je maintiens, en tant qu'économiste, que la juxtaposition de deux millefeuilles est inefficace. En revanche, décider de maintenir ou non un opérateur national intégré, pour en retirer les bénéfices en termes notamment de mutualisation et d'économies d'échelle, est un choix d'ordre politique, et l'économiste académique ne saurait apporter de réponse théorique en la matière. Si vous décidez de maintenir cet opérateur national intégré, vous devrez alors trouver le moyen d'intégrer en son sein la prise de décision locale, par exemple en créant des structures locales au sein desquelles les élus et ErDf négocieront entre eux des plans d'investissements. Le tout est d'éviter, je le répète, la juxtaposition de deux millefeuilles. Si vous répondez par la négative, alors, il convient, comme l'ont fait les Italiens, de laisser les collectivités territoriales qui le souhaitent reprendre en main leurs activités de distribution, le reste du territoire étant régi par ErDF seul. Le tout est de comparer les coûts et les avantages des deux systèmes : le choix, je le répète, est d'ordre politique.

Je rejoins le président Boiteux : les économistes sont plutôt opposés à la péréquation. J'habite à côté de la forêt de Sivens et ma maison est la dernière de la route. M'apporter l'électricité coûtant plus cher que dans le cas d'un Parisien, je devrais donc la payer plus cher. En revanche, si vous voulez me récompenser de participer à l'aménagement du territoire en habitant la campagne, faites-moi payer moins d'impôts ! Le président Boiteux a été très clair sur le sujet.

Si vous voulez réduire la consommation électrique, il faut augmenter son prix. Le président Boiteux l'a rappelé, le meilleur signal pour diriger la consommation des Français, c'est le prix. Le représentant de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) que vous avez auditionné l'a souligné : l'augmentation du prix de l'électricité en France diminuera mécaniquement la consommation de mégawattheures, ce qui laisse évidemment ouverte la question fondamentale de la précarité énergétique, qui s'aggravera à proportion que les prix augmenteront.

Le stockage est comme le saint graal de l'électricité : le jour où nous parviendrons à un stockage économique de l'électricité, nous changerons de modèle, du fait que l'ensemble des problèmes que nous connaissons aujourd'hui disparaîtra, notamment en termes d'équilibre à court terme entre l'offre et la demande. Toutefois, à lire les physiciens, ce n'est pas pour demain : selon eux, il ne faut s'attendre à aucune révolution en matière de stockage de l'électricité avant 2030, voire 2040.

Les économistes hésitent toujours à se prononcer sur les industries électrointensives : ils sont en effet favorables à la vérité des prix – pour eux, les prix doivent toujours refléter les coûts –, tout en n'ignorant pas les problématiques de concurrence entre blocs géographiques. S'ils n'apportent pas de réponse limpide en la matière, ils sont toutefois convaincus que la subvention est préférable à la réduction du prix de l'électricité – c'est un principe d'économie générale : si les industriels connaissent le coût réel de l'électricité – il en est de même des simples consommateurs –, ils seront incités à recourir à l'effacement. Il conviendra alors de prévoir des compensations pour restaurer leur compétitivité et leur permettre de s'implanter sur le territoire. Je le répète : il est toujours mauvais d'alterer les prix, car cette pratique affecte la décision des consommateurs. Si vous voulez encourager l'industrie – c'est une préoccupation politique légitime –, il convient d'instaurer des subventions sur les taxes plutôt que de recourir à une modification des prix.

Je pense enfin que la gouvernance de l'électricité migrera vers les échelons local et européen : progressivement, la place de l'échelon national diminuera dans la gouvernance électrique. Les grandes décisions structurantes sur le mix énergétique devraient être prises au plan européen : je pense notamment aux grandes décisions sur l'avenir du nucléaire – les Français ne sont pas les seuls à bénéficier d'un parc nucléaire. Il en est de même des décisions relatives aux énergies renouvelables, qui affecteront toute l'Europe.

Prenons un exemple : les Allemands ont installé des panneaux photovoltaïques sur tout leur territoire, alors que le soleil y est rare. Une vraie politique européenne aurait conduit à installer ces mêmes panneaux en Italie ou en Espagne, ce qui aurait permis d'augmenter à un coût moindre la part des énergies renouvelables dans le mix européen global. Il en est de même du stockage : une vraie politique européenne conduirait à produire de l'électricité en Mer du Nord, puis à la stocker en Norvège avant de la redescendre plus au sud en fonction des besoins.

En tant qu'économiste, je pense qu'il existe, en matière de politique énergétique, un déficit de coopération au plan européen.

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