Intervention de Robert Durdilly

Réunion du 5 novembre 2014 à 17h00
Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Robert Durdilly, président de l'Union française de l'électricité, UFE :

Monsieur le président, je vous remercie pour votre propos liminaire, au cours duquel vous avez parfaitement décrit la mission de l'UFE en France et au niveau européen.

L'UFE regroupe tous les acteurs du secteur électrique en France : aussi bien les producteurs que les fournisseurs, les réseaux de transport et de distribution Réseau de transport d'électricité (RTE) et Électricité réseau de distribution France (ERDF), ainsi que l'ensemble des entreprises locales de distribution (ELD), qui jouent un rôle important sur nos territoires.

Ce tour de table assez large nous offre une vision d'ensemble du système électrique, de l'amont à l'aval. C'est une valeur ajoutée importante pour nos réflexions car nous avons toujours la volonté d'apporter des contributions sur la base d'études construites à partir de scénarios d'avenir en fonction des grandes orientations politiques.

Nos grands sujets de préoccupation, qui rejoignent d'ailleurs le thème principal de cette audition, touchent la sécurité d'approvisionnement de l'ensemble du système électrique, laquelle implique aussi bien les producteurs et les commercialisateurs – par exemple à travers les offres d'effacement – que les réseaux.

Nos préoccupations portent également sur les politiques climat-énergie, sous l'impulsion des directives européennes et des politiques françaises, sur la concurrence – qui a des conséquences assez sérieuses en matière d'organisation de notre secteur et d'ailleurs très directement en matière de construction des tarifs – et sur l'impact des prix sur l'activité économique. Le volet compétitivité nous préoccupe beaucoup, avec nos collègues du Medef. Nous sommes toujours à l'écoute des consommateurs et des grands consommateurs afin de prendre des positions pour l'avenir et d'orienter nos activités sur le plan concurrentiel mais aussi industriel.

Notre dernier grand axe de préoccupation est le volet social, puisque nous sommes chargés de la négociation collective de la branche des industries électriques et gazières. Si vous avez des questions plus précises sur ce volet, j'y répondrai bien volontiers.

Avant de répondre à vos questions, je vous propose de revenir sur le mode de construction des tarifs réglementés de vente et d'en rappeler les principales composantes, sur l'impact de la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, dite « loi NOME », et sur le risque, en France comme dans nombre de pays européens, de non-couverture des coûts, susceptibles d'engendrer des difficultés. Enfin, j'évoquerai les échanges avec l'Allemagne car ils portent sur des préoccupations très précises que je resituerai dans un contexte plus général.

Jusqu'à une période récente, les tarifs réglementés de vente avaient pour finalité de couvrir les coûts comptables générés par les activités de production, de distribution et de transport d'électricité. Il était assez facile de cerner ces derniers car une entreprise intégrée assurait l'intégralité des activités. L'approche s'effectuait par typologie de clients. C'est ainsi qu'ont été introduits des tarifs avec des couleurs, les tarifs bleus, jaunes et plus récemment verts, suivant la nature des clients – particuliers, entreprises, très petites entreprises, etc. – et leur mode de consommation.

Une part fiscale a toujours été appliquée à ces tarifs, même si, il y a encore une dizaine d'années, celle-ci restait relativement modeste.

Entre 1985 et 2005, les tarifs ont baissé de l'ordre de 40 % en euros constants – ils ont diminuéé de 70 % depuis 1950. On a parfois l'impression qu'ils ont toujours augmenté alors que, durant de belles périodes, ils ont beaucoup chuté.

Dans mon exposé, je prendrai comme référence le tarif bleu, les mêmes principes s'appliquant aux tarifs verts et jaunes, qui vont d'ailleurs bientôt disparaître.

En 2005, le montant des taxes représentait 18 % de l'ensemble de la facture, la part énergie était de 43 % et la part réseaux de 39 %. Depuis, la situation a beaucoup évolué, j'y reviendrai.

Sous l'impulsion de l'ouverture à la concurrence, est apparu un régulateur, que vous avez eu l'occasion d'auditionner. Sa mission première consiste à définir les tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE). Pendant plusieurs années, ceux-ci ont été élaborés de manière indépendante des tarifs réglementés de vente ; ils ont vécu leur vie indépendamment des tarifs intégrés. Les effets collatéraux de l'augmentation des TURPE sur les tarifs intégrés n'ont parfois pas été totalement pris en compte. Je m'explique : lorsque la Commission de régulation de l'énergie (CRE) décide d'augmenter le TURPE, si le tarif intégré lui-même n'augmente pas, cela signifie que la part énergie des tarifs réglementés baisse. Or c'est ce qui s'est passé dans un certain nombre de cas.

De manière plus singulière, lors de l'élaboration des TURPE, la part énergie de certains types de tarifs, certes marginaux, devenait négative : la part réseaux était supérieure au tarif réglementé correspondant. Ces deux modes de construction complètement différents, qui n'étaient pas forcément cohérents entre eux, ont provoqué ces distorsions. C'est cette raison principale qui a conduit à suggérer, lors de l'élaboration de la loi NOME, que les tarifs réglementés devaient être construits par additionnalité, c'est-à-dire en additionnant les différentes composantes, le tarif réglementé étant la résultante de l'ensemble de ces composantes.

Le deuxième principe sur lequel on s'est appuyé est celui de la couverture des coûts. Au départ, il s'agissait des coûts comptables d'un ensemble intégré. Mais ce principe est devenu un peu plus compliqué sous l'effet de la concurrence. Après avoir été assez bien corrélé pendant plusieurs années, on assiste maintenant à une forme de début de décrochage. Il est important de bien anticiper les conséquences de ce type de décrochage sur la durée.

Le dernier facteur d'évolution important est la contribution au service public de l'électricité (CSPE), forme de taxe qui a beaucoup évolué. À l'origine, elle permettait en effet de compenser les tarifs appliqués dans les départements d'outre-mer, la cogénération et les tarifs sociaux. Elle sert dorénavant aussi à soutenir les énergies renouvelables, cette part étant croissante et devenant extrêmement importante.

Nous vous avons préparé deux schémas extrêmement simples.

Le premier montre l'évolution de la structure du tarif bleu entre 2005 et 2014. En 2005, le prix moyen du mégawattheure était de 120 euros, contre 158 euros en 2014. La part énergie, qui était de 43 % en 2005 est tombée à 36 % en 2014, et la part réseaux est passée de 39 % à 30 %. Quant à la part taxes, qui inclut la CSPE, elle représente aujourd'hui 34 %, contre 18 % en 2005. On voit que l'augmentation la plus significative est la part des taxes, notamment la CSPE, qui, en quelque sorte, vient prendre une partie de la part énergie. La structure du tarif bleu s'est donc beaucoup modifiée.

Le second tableau décompose les éléments de la facture d'un client moyen. Ce schéma permet de comprendre le principe de l'additionnalité. L'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH), issu de la loi NOME, vise à permettre aux concurrents producteurs ou commercialisateurs opérant en France et dépourvus de parc nucléaire d'être, si je puis dire, à égalité dans la compétition avec EDF au regard du sourcing nucléaire. Cet accès régulé a une vocation transitoire.

Cet accès au nucléaire suit une courbe de charge très plate, en ruban. Pour faire la dentelle de la courbe de charge, si je puis dire, un complément est nécessaire. Introduit dans le nouveau calcul découlant de la loi NOME, ce complément est valorisé par rapport au prix du marché de gros. Viennent ensuite, toujours dans la part énergie, les coûts de commercialisation au sens large. Aujourd'hui, la partie vraiment concurrentielle sur le marché de l'électricité porte sur le complément et la commercialisation, qui ne représentent plus que 10 % de la valeur globale payée par le client. C'est dire combien le jeu concurrentiel, sur le territoire français, est limité.

La part réseaux est composée du transport et de la distribution. Quant aux taxes, elles se décomposent en trois : la CSPE, les autres taxes et la TVA.

J'en viens au risque de non-couverture des coûts. Il existe un retard entre l'application des hausses tarifaires et les coûts réellement engendrés par l'ensemble des activités de production, commercialisation, distribution, transport d'électricité. Ce décalage ne permet pas de couvrir les coûts comptables et encore moins les coûts économiques complets nécessaires au financement du renouvellement de l'appareil de production. Les coûts ne sont pas couverts car plusieurs facteurs interviennent dans la détermination du tarif réglementé et presque toutes les composantes sont à la hausse.

À cela s'ajoutent des phénomènes d'amplification. Par exemple, si la CSPE augmente de 5 euros, comme la TVA s'applique, c'est au total une hausse de 6 euros qu'il faudra répercuter sur la facture. La CRE estime que le retard de répercussion des hausses est de l'ordre de 5 milliards d'euros pour la CSPE et de 2 milliards d'euros pour les tarifs proprement dits. Actuellement, le déficit tarifaire est de l'ordre de 7 milliards d'euros. Si ce retard n'est pas rattrapé ou s'il devait être amplifié, cela aurait toute une série de conséquences, notamment une déstabilisation financière des acteurs industriels du secteur électrique. Nous devrions également faire face à des difficultés en matière de concurrence – et vous savez que nous sommes très surveillés en la matière, la France étant toujours suspectée de ne pas faire ce qu'il faut pour que le marché s'ouvre véritablement – puisque celle-ci ne peut fonctionner si les tarifs réglementés ne sont pas calés sur les vrais coûts économiques, les concurrents étant exposés à ces coûts économiques. Enfin, le manque à gagner poserait des problèmes à EDF sur sa capacité à investir : l'opérateur devrait davantage recourir à l'emprunt ce qui, in fine, coûte beaucoup plus cher.

La Commission européenne a publié récemment un rapport très intéressant sur ces questions. Elle a identifié que onze États européens avaient la tentation de ne pas répercuter totalement les prix et que les conséquences étaient toujours assez négatives, soit pour le consommateur, soit pour les finances publiques. L'Espagne s'est retrouvée confrontée à ce genre de situation il y a plusieurs années, avec un passif qui a atteint plusieurs dizaines de milliards d'euros, ce qui la place dans une situation extrêmement critique.

Nous avons engagé des travaux en commun avec nos collègues allemands, les deux ministres concernés nous ayant adressé des lettres nous encourageant à le faire. Il s'agit d'aborder la question de la sécurité d'approvisionnement de manière conjointe afin de voir quelles solutions peuvent être apportées à la situation actuelle de chacun des deux pays. En France, vous le savez, il est prévu d'implémenter un marché de capacité. Pour sa part, l'Allemagne est dans un processus de concertation avec les pouvoirs publics sur la question de la création ou non d'un marché de capacité. D'ailleurs, elle vient de publier un livre vert à ce sujet et elle publiera, dans quelques mois, un livre blanc en vue de prendre des décisions. Pour notre part, il nous a paru important de bien montrer que la France s'inscrivait dans une logique européenne et qu'il n'était pas question pour elle de traiter la question des marchés de capacité seule dans son coin.

Les marchés de capacité sont nés de l'idée que le marché de l'énergie européen ne peut pas totalement donner les signaux économiques permettant de procéder aux investissements à moyen et long terme sécurisant l'alimentation électrique. Sur ces bases, la France a progressé, comme d'autres pays, vers l'idée d'un marché de capacité, qui revient à donner une valeur à la puissance et non pas uniquement à l'énergie. En France, il nous paraissait important de mener ce projet à bien en l'intégrant dans une logique européenne. Au moment où les Allemands s'interrogent sur le mécanisme à mettre en place, il était donc essentiel que les représentants de l'industrie, de part et d'autre du Rhin, travaillent ensemble pour dresser un état des lieux de la situation dans les deux pays et savoir si l'implantation d'un marché de capacité serait bien de nature à apporter une solution au problème du financement à moyen et long terme des investissements nécessaires à la sécurité de l'approvisionnement.

Vous le savez, l'Allemagne a développé massivement les énergies renouvelables, grâce à des mécanismes de soutien assez classiques de type obligation d'achat. Elle a depuis lors réformé son système. Ces subventions accordées aux énergies renouvelables produisant de l'électricité ont deux effets. Premièrement, elles créent des surcapacités de production s'il n'y a pas en parallèle de besoins supplémentaires d'électricité ; dans ce cas, le prix du marché a tendance à baisser. Deuxièmement, les producteurs étant rémunérés à la production d'énergie renouvelable, ils sont incités à produire même en l'absence de besoin ; c'est ainsi que sont apparus les prix négatifs sur les marchés de l'énergie.

Ces deux phénomènes ont abouti à ce que les prix du marché de gros ne soient plus représentatifs des coûts économiques d'équilibre entre l'offre et la demande. Ce problème existe en Allemagne et en France. Le marché de capacité et une réforme des mécanismes de soutien ont précisément pour objectif de corriger cela.

La partie prix de gros dans les tarifs réglementés de vente, qui vient d'être introduite, présente également des risques si ce prix du marché de gros n'est plus représentatif. Or c'est aujourd'hui le cas pour les coûts économiques moyens des parcs de production. C'est ainsi que, partout en Europe, des centrales au gaz, des cycles combinés gaz, même en très bon état, presque neufs, sont arrêtés. C'est paradoxal : alors que l'on a besoin de la flexibilité de production dans le système électrique, on arrête de produire plusieurs dizaines de gigawatts à l'échelle européenne, du fait de cette dépression sur les prix du marché de gros, ce qui présente des risques importants pour la sécurité d'approvisionnement. Ce sont ces questions que nous voulons approfondir avec nos collègues allemands.

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