Ce projet de loi, qui comporte deux articles, pose deux problèmes, l'un de forme, l'autre de fond.
En ce qui concerne la forme, se pose la question du calendrier. À cet égard, je rappelle qu'en 2010, suivant les propositions du rapport fait par MM. Jacky Richard et Alexandre Pascal, la loi du 15 octobre 2010 avait déjà reporté la périodicité des élections prud'homales de cinq à sept ans ; on envisage aujourd'hui de les reporter à neuf ans. Cette situation n'est d'ailleurs pas sans créer de difficultés au sein de certains tribunaux car des listes sont épuisées par disparition des élus sur les neuf ans. Cela pose la question même du renouvellement des tribunaux. Le rapport Richard et Pascal ne demandait pas la suppression de l'élection, contrairement à ce que veut faire le projet de loi. On constate une certaine dispersion lorsque l'on songe qu'une loi est annoncée par le ministre de l'économie, qui doit amener une réforme de fond des conseils de prud'hommes. J'aurais préféré voir grouper l'ensemble de la question à la fois sur le problème de l'élection ou de la désignation et sur la façon dont doit évoluer l'institution.
Le calendrier lui-même laisse apparaître une certaine confusion puisque le texte a d'abord été disjoint de la loi relative à la formation professionnelle, puis redéposé à l'Assemblée nationale le 22 janvier comme texte spécifique, pour être retiré le 28 mars et être redéposé le même jour au Sénat. Le 16 juillet, une lettre rectificative a suivi un Conseil des ministres. Tout cela pour que le projet de loi soit discuté très récemment devant la Haute assemblée, dans le cadre d'une procédure accélérée, dans le but d'autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnance.
Sur le fond, se pose la question de la différence qui existe entre la représentativité et l'audience. La représentativité des salariés résulte des dispositions de la loi de 2008, celle des employeurs résultera de la loi de 2014. Cependant, la représentativité et l'audience ne sont pas la même chose. La réforme prévoit que la base soit la mesure de l'audience mais comment celle-ci sera-t-elle comptabilisée ? Au niveau départemental, au niveau régional ? Nul ne le sait à ce stade. Cela rebattra les cartes pour les syndicats car l'audience de la CGT par exemple n'est pas sa représentativité et ce contraste est important.
Au sujet de la question de la constitutionnalité, le ministre du travail a considéré devant le Sénat, comme le fait d'ailleurs le rapport, qu'il n'y avait pas d'incompatibilité par rapport à la décision du Conseil constitutionnel du 3 décembre 2010. Certes. Mais, la différence réside dans ce que les tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) sont présidés par un magistrat professionnel alors que les conseils de prud'hommes le sont soit par un salarié, soit par un employeur. On n'est donc pas dans le même cas de figure.
À mon sens, il y a un problème de constitutionnalité puisque, s'il y a désignation, il risque d'y avoir une inégalité d'accès aux charges publiques, ce qui avait déjà été signalé. La question des ordonnances demeure. Le ministre a indiqué que la désignation des conseillers se fondera sur les résultats de l'audience des organisations syndicales et non sur leur représentativité, ainsi un syndicat non représentatif à l'échelle nationale interprofessionnelle, comme l'UNSA ou SUD, pourra malgré tout désigner des conseillers prud'hommes dans les ressorts territoriaux. Dans ces conditions, des personnes non syndiquées, se verront barrer la route, sauf, selon le ministre, à être désignées par un syndicat, hypothèse qui me semble peu probable car on voit mal un syndicat agir de la sorte.
J'observe, par ailleurs, que, le ministre lui-même, il y a peu, avait voté contre la réforme alors qu'il était dans l'opposition. Il est vrai que les temps changent et les avis aussi…