Et les prix, en conséquence, auraient dû rester élevés dans cette région !
Les prix continuent toutefois aujourd'hui d'orienter les choix. Certains raisonnements économiques retrouvent même toute leur vigueur. Je me souviens par exemple que nous avions inventé les tarifs d'effacement au jour de pointe, dit « EJP », qui permettaient aux gros industriels de bénéficier d'une électricité bon marché, même en pointe, en cas d'hiver favorable – demande faible, centrales hydroélectriques alimentées en eau – à condition qu'ils acceptent des coupures en pointe durant les hivers difficiles. Une variante de ce tarif, supprimé et raillé pour sa prétendue complexité lors de la « privatisation », a finalement été réinventée vingt ans plus tard.
Le problème des tarifs domestiques était d'une nature différente. Il était inimaginable d'équiper les domiciles des particuliers de compteurs compliqués. La simplicité joue un rôle majeur dans la conception des tarifs basse tension : les plus petits clients bénéficient en conséquence d'un tarif unique, et les autres d'une différenciation entre heures pleines et heures creuses qui vise à nouveau à inciter les consommateurs à faire des choix.
Une fois les nouveaux tarifs élaborés, certains ont d'abord poussé des cris d'orfraie. Un industriel produisant des diamants artificiels m'annonça : « Je suis ruiné ! » Si tel est le cas, lui dis-je, votre activité n'est pas rentable puisque vous n'êtes pas en mesure de payer l'électricité à son prix. Nous pouvons organiser des tarifs transitoires, ajoutais-je, mais, en aucun cas, vous permettre de vivre indéfiniment aux crochets de la collectivité. Un an plus tard, le même industriel revint me voir pour m'annoncer qu'il avait découvert un nouveau procédé de fabrication, et que son entreprise marchait bien. Je suis finalement convaincu qu'il n'est pas inintéressant de faire savoir aux gens ce que coûte ce qu'ils consomment. Informés, nombre d'entre eux parviennent à trouver des solutions qui prennent en compte le coût réel. Je continue de penser que les tarifs sont faits pour dire les coûts comme les horloges pour dire l'heure.
Ce principe étant posé, il pouvait connaître des exceptions. On peut être théoricien sans être dogmatique Il fallait par exemple résoudre en termes économiques le cas des très petits clients domestiques, les pauvres. Nous avions décidé de distribuer annuellement des bons d'électricité dans les mairies chargées de les attribuer de la façon la plus juste possible. Ce système a mal fonctionné car certains maires, probablement hostiles à EDF, ayant distribué tous leurs bons dès le premier trimestre, EDF a coupé de bonne foi l'électricité au deuxième trimestre. Nous avons alors été accusés de n'avoir aucun sens social. À mon sens, ceux qui manquaient de sens social étaient surtout les maires en question, même s'ils faisaient peut-être preuve d'un sens politique aigu. Nous avons finalement abandonné cette pratique qui aurait dû permettre de cibler les personnes véritablement concernées. Nous en avons adopté d'autres qui revenaient à utiliser une louche au lieu d'une petite cuillère.