Intervention de Sandrine Doucet

Réunion du 12 novembre 2014 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Doucet :

Nous sommes réunis pour transposer en droit interne trois directives du Parlement et du Conseil européens relatives à des aspects de la propriété artistique et littéraire et du patrimoine culturel. Ayant entendu l'excellente et très complète présentation de notre rapporteur, j'observe que la transposition de directive est un exercice législatif un peu particulier puisque, tout en ne niant pas nos interrogations sur certaines des dispositions proposées, nous devons adapter notre droit avec vigilance, en nous inscrivant dans le contexte européen.

C'est ce contexte européen que je souhaite tout d'abord évoquer.

La célébration du vingt-cinquième anniversaire de la chute du Mur de Berlin a permis de revoir les images, ô combien émouvantes, du violoncelliste Mstislav Rostropovitch jouant devant le mur honni. Tout, dans ces images, nous émeut, tant est grande leur puissance d'évocation pour nous tous : l'histoire de l'Europe avec ce mur ; la musique de Bach, bien commun des arts européens ; la vie de celui qui l'interprète, qui a connu gloire et disgrâce en fonction des aléas de l'Histoire. Tout cela dit que, bien avant les traités et les directives, la culture européenne s'est construite, faite de partage et de circulation des idées. C'est ce que met en exergue Stephan Zweig en 1942 quand, de son exil brésilien, il dit son effroi de voir disparaître cette richesse commune à laquelle il a contribué. Ce dont il s'agit ici est bien de protéger et de perpétuer une culture commune.

La durée de protection a été l'un des premiers points harmonisés à l'échelle européenne dans le domaine du droit d'auteur et de certains droits voisins, en 1992 et 1993. En transposant en droit interne des directives plus récentes, dans le même esprit de protection des créateurs, nous faisons l'alliance habile et nécessaire du droit des personnes, du droit des artistes et de la construction européenne. De surcroît, en portant de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection de certains droits voisins, nous inscrivons dans notre législation un fait démographique : l'allongement de la durée de vie ; c'est là un autre aspect de la silver economy, chère à notre collègue Michèle Delaunay.

La deuxième directive qu'il nous faut transposer a un champ plus large. Les oeuvres orphelines vont désormais faire partie de notre culture commune en étant reversées à un fonds européen accessible à tous. C'est du contexte nouveau offert par la numérisation qu'il s'agit ici. Amplifier la diffusion des oeuvres littéraires et artistiques et ainsi l'accès à la culture de tous les citoyens en protégeant toujours les droits voisins, tel est le défi que permettent de relever, ensemble, la construction européenne et le numérique.

Enfin, la transposition de la troisième directive vise à protéger les patrimoines nationaux et redéfinit la notion de « trésor national ». Par le passé, hélas ! guerres, pillages et spoliations ont fait disparaître nombre d'oeuvres de notre patrimoine. Aujourd'hui, les trafics en tout genre nous imposent de renforcer rapidement la protection des trésors nationaux. La directive évoque, sans le régler, un combat emblématique : celui de la ministre de la culture grecque Mélina Mercouri qui, de 1983 à sa mort, a revendiqué le retour à Athènes de la frise du Parthénon conservée au British Museum. Cette revendication dit beaucoup du creuset culturel européen.

Protéger nos oeuvres, nos artistes, nos patrimoines, notre culture commune en nous inscrivant dans le droit européen, voilà à quoi nous conduisent ces transpositions. Mais, monsieur le rapporteur, ces directives prennent-elles en considération et anticipent-elles les évolutions liées à l'utilisation du numérique pour la protection et la diffusion des oeuvres des pays de l'Union européenne ? De quels outils les bibliothèques et les autres détenteurs d'oeuvres orphelines, en France et en Europe, disposent-ils pour participer à égalité à la construction d'une culture commune et de la circulation des biens européens ?

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