Intervention de Frédéric Reiss

Réunion du 12 novembre 2014 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Reiss :

Ce projet de loi transpose trois directives datant respectivement de 2011, 2012 et 2014. Le groupe UMP devine que la précipitation du Gouvernement, qui nous soumet un texte en procédure accélérée – dans des délais si serrés qu'ils privent même notre rapporteur de l'opportunité de mener des auditions –, tient au fait que la France est au pied du mur. Nos félicitations vont au rapporteur pour ce travail difficile.

Alors que la directive relative aux droits voisins aurait dû être transposée il y a un an, le Gouvernement somme le Parlement d'examiner dans l'urgence ces mesures de transposition en espérant échapper à une condamnation. Ces méthodes sont regrettables. En vertu du principe de subsidiarité, il nous faut admettre que certaines compétences partagées sont traitées de manière plus pertinente au niveau européen que national ; ce ne serait pas un problème si le Gouvernement ne contribuait pas à nous déposséder définitivement de ces sujets en nous forçant la main par des délais intenables.

Ces méthodes font aussi peser un risque d'insécurité juridique sur une partie du dispositif proposé. Le projet de loi prévoit une entrée en vigueur rétroactive au 1er novembre 2013 des dispositions de la directive de 2011 relative aux droits voisins. Or, durant la période courant entre le 1er novembre 2013 et la date de publication de la loi, rien n'empêche des tiers d'exploiter les catalogues bénéficiant de l'extension des droits, alors même que ces catalogues devraient être déjà protégés si le Gouvernement avait mis le législateur en mesure de transposer la directive dans les temps.

Vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, que la directive allonge de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection des droits voisins des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes. Il s'agit de trouver le bon équilibre entre, d'une part, l'allongement de l'espérance de vie des artistes, dont les droits patrimoniaux s'éteignent de plus en plus souvent de leur vivant, et, d'autre part, le risque de réduction du domaine public. Il semble que la période de soixante-dix ans corresponde à un équilibre et permette d'éviter dans un premier temps la réappropriation des phonogrammes tombés dans le domaine public par des tiers exploitants.

Des mesures d'adaptation sont prévues pour accompagner la mise en place de cette période de protection additionnelle, et notamment le versement d'une rémunération annuelle supplémentaire de 20 % des recettes nettes perçues par le producteur sur les rémunérations au forfait. Comment cette mesure s'articulera-t-elle avec les accords conclus par les partenaires sociaux du secteur, qui prévoient une rémunération proportionnelle de 6 % sur certains usages ? N'y a-t-il pas là un risque important de diminution des marges des producteurs, et donc un risque de fragilisation de la convention collective ?

Je m'interroge, en outre, sur la rédaction du III de l'article 7, qui offre aux artistes et producteurs la faculté de renégocier leur contrat au delà de la cinquantième année de protection. En premier lieu, il ne faudrait pas que cette possibilité annule a contrario toute possibilité de renégociation pendant les cinquante premières années. Elle ne devrait pas non plus être interprétée comme une obligation de renégocier et de conclure cette renégociation dans le sens du considérant 16 de la directive, qui demande aux États de prévoir une renégociation au bénéfice des artistes-interprètes. Si la rédaction actuelle était maintenue, il existerait un risque non négligeable de voir les producteurs transférer l'ensemble de leurs contrats, et par conséquent l'ensemble de notre patrimoine musical, vers les pays qui n'ont pas fait ce choix. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point et nous confirmer que le III de l'article 7 consiste en une simple redite du droit positif, qui ne saurait s'accompagner d'une obligation de conclure la renégociation qui aura été demandée par l'artiste ?

Nous ne pouvons que nous réjouir de la transposition de la directive relative aux oeuvres orphelines, sujet que nous avions abordé dans la proposition de loi de MM. Hervé Gaymard et Jacques Legendre, devenue la loi du 1er mars 2012 relative à l'exploitation numérique des oeuvres indisponibles. Le dispositif adopté permet l'exploitation des oeuvres orphelines mais il faut reconnaître qu'il est relativement restrictif. Il est permis d'espérer que la transposition de la directive élargira le champ des organismes bénéficiaires et redéfinira la procédure préalable à la mise à la disposition du public, qui se réduit à des recherches diligentes et à une information à l'OHMI aux fins d'actualisation de la base de données de ce dernier.

Toutefois, il est permis de douter d'un recours massif à la nouvelle possibilité ainsi ouverte, non seulement parce que les recherches pourraient se révéler longues et coûteuses pour les organismes bénéficiaires, mais aussi en raison du risque de voir réapparaître un ayant droit à qui il faudra verser une compensation pouvant donner lieu à contentieux.

Enfin, nous espérons que la refonte de la directive de 1993 relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre permettra de lutter plus efficacement contre le trafic des biens culturels dans l'espace européen. Nous saluons donc les outils proposés, aussi bien l'élargissement du champ des biens culturels concernés que l'allongement des délais encadrant l'action de l'État membre requérant.

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