Vous m'avez demandé, madame la rapporteure, si l'organisation du système électrique français découlant de la libéralisation et dont l'épine dorsale est RTE, est optimale, et si elle a un coût. Quand survient une rupture importante sur une ligne à haute tension à la suite d'un événement météorologique, on dispose d'un gros quart d'heure pour procurer au réseau une ligne de substitution et des moyens de production supplémentaires. Cela suppose à la fois une proximité fonctionnelle et l'habitude de travailler ensemble. Ces propos n'ont rien d'idéologique : je le sais de science sûre, car nos collègues américains nous l'ont dit. La « grande panne » américaine a été due à ce que, les opérateurs travaillant dans une assez large indépendance, on a mis plusieurs heures à trouver les numéros de téléphone des différentes centrales. Avec RTE, les présidents successifs d'EDF ont maintenu ce que le président de la SNCF fait aujourd'hui sous une autre forme et qui donne la même indication. Il faut sans doute une séparation des coûts, car si l'on croit à la nécessité d'une certaine proportion de concurrence dans ces réseaux, d'autres producteurs, français ou étrangers, doivent avoir accès au réseau historique. À cet égard, personne en France n'a jamais dit que RTE manquait à ses devoirs ou aurait acheminé de l'électricité pour un gestionnaire de réseau à des tarifs moins favorables ou dans un temps plus long que pour EDF.
L'efficacité du fonctionnement du système électrique est prouvée, mais elle suppose une proximité physique, comme il en existe une à Saint-Denis où est installé le centre national d'exploitation du système électrique, et une liaison opérationnelle, de manière qu'en cas de crise il n'y ait pas trois responsables mais un seul : le président d'EDF. Les connexions et la manière empirique dont le système a été conçu doivent garantir à la fois l'efficacité et l'indépendance quand il en faut. Si les systèmes avaient été conçus autrement, il y a très longtemps, on aurait pu imaginer une épine dorsale de RTE en courant continu, courant qui dégage moins de chaleur, ce qui permet de fondre plus facilement les installations dans le paysage. On ne doit jamais perdre de vue qu'il s'agit d'une industrie et que la valeur de la continuité du service est considérable. Il faut donc s'attacher à ce que les rapports opérationnels entre les responsables soient fréquents, quotidiens, habituels. À force de dire aux gens, quels que soient les secteurs dans lesquels ils travaillent, qu'ils sont indépendants, ils finissent par le croire, et dans ce type de situation, ce peut être fâcheux. Insistons, de grâce, sur l'aspect opérationnel et concret.
La question des industries électro-intensives est compliquée. L'histoire de ces industries, et notamment de celles qui ont défrayé la chronique dans certaines vallées des Pyrénées ou des Alpes, montre que leurs différentes fabrications, notamment l'aluminium, ont été produites à des prix, je vous l'ai dit, largement subventionnés, ou en tout cas bien plus bas que ceux du marché. On ne peut dire que les industriels concernés en aient tout le temps profité pour investir et se moderniser. Détail piquant : ils ont souvent revendiqué l'ouverture du marché à une plus grande concurrence pour ne pas rester en tête à tête avec EDF ; l'ennui, c'est que l'ouverture s'est traduite par une hausse des tarifs. Si les investissements nécessaires avaient été faits pendant cette période, ces industries auraient moins de difficultés aujourd'hui. Quand tout à coup les prix montent parce que l'on est dans une économie de marché et que l'interconnexion est faite entre les réseaux de pays où l'électricité est chère et ceux de pays où elle est moins chère, il est certain que l'effet souhaité n'a pas été obtenu – et les prix de l'électricité ont pratiquement doublé sur le marché de gros.
On conçoit que les dirigeants des industries pour lesquelles l'électricité représente entre 60 et 70 % des coûts se préoccupent des tarifs. Mais ils ne peuvent se limiter à dire : « Garantissez-nous un prix de l'électricité dans les quarante ans qui viennent » sans investir, eux aussi, dans les moyens de production. Si les industries électro-intensives ne comptent que sur les opérateurs ou sur le marché, s'ils ne participent pas à l'effort, aucun électricien ne trouvera les moyens d'investir sur quarante ans en leur garantissant la stabilité des prix. Le projet Exceltium est une première étape à ce sujet. On ne peut faire supporter uniquement à l'opérateur historique, EDF, des choix de long terme. Je sais combien les institutions financières de toute nature, banques ou Caisse des dépôts, étaient réticentes à assumer une partie du risque. Donc, les industries électro-intensives portent une part de responsabilité.
Au passage, on peut vouloir développer la production d'aluminium à Dunkerque, mais l'on sait aussi que cette fabrication peut se délocaliser en Afrique du Sud, qui a un avantage compétitif considérable. Compte tenu du coût de la main-d'oeuvre dans l'extraction du charbon – faite dans des conditions inégalement conformes à l'idéal que l'on se fait du développement durable –, des ressources charbonnières sud-africaines et du fait que l'usine d'aluminium est installée sur le carreau de la mine, nous ne serons jamais complétement compétitifs avec ce pays. Il serait vain de se fixer comme objectif de poursuivre une course visant à établir des prix aussi bas avec les mécanismes techniques, industriels et environnementaux que l'on a en Europe. La mondialisation a aussi cet effet-là ; on ne peut faire des reconstructions artificielles, et en tout cas pas sans la contribution des intéressés.
Doit-on, m'avez-vous aussi demandé, aller vers moins de nucléaire ? L'énergie nucléaire a beaucoup apporté à la France qui – le constat n'a pas changé depuis 50 ans –, n'a pas de ressources énergétiques autres. Nous ne sommes pas l'Allemagne, où l'on rouvre des mines de charbon et de lignite ; si cela se passait en France, je ne sais ce que l'on entendrait… Je ne vois pas comment nous pourrions nous passer du nucléaire, qui a apporté à notre pays l'indépendance énergétique, volet important de l'indépendance nationale ; je rappelle que, les bonnes années, nous importions à peu près l'équivalent de la production annuelle de pétrole du Koweït, payable en dollars.
La part du nucléaire dans la production d'électricité française devait-elle être de 80 % ? Je ne sais, et je n'en fais pas une question de dogme. Pour la transition énergétique, on table sur l'évolution de la demande et sur d'autres moyens de production pour parvenir à l'équilibre. Toutefois, et ce disant je n'engage que moi, on voit bien que l'évolution de la consommation est moindre qu'il y a 30 ou 40 ans, mais plus soutenue qu'on l'envisageait il y a quelques années. Ces besoins peuvent être couverts par d'autres moyens de production conduisant à un équilibre qui sera jugé plus satisfaisant.
Pour autant, faut-il imaginer sortir du nucléaire ? L'exemple de l'Allemagne montre que pour remplacer les centrales nucléaires on rouvre des mines de charbon et de lignite, mouvement dont on voit mal comment il se concilie avec les certificats de CO2 et les exigences du développement durable, mais qui se fait pourtant, et dans l'indifférence majeure des Européens, alors que ce n'est pas un bon signal. D'autre part, on ne remplacera pas le « tout nucléaire » par le « tout éolien ». On voit bien la fragilité du système énergétique allemand aujourd'hui : l'excès de production en Allemagne, quand il y en a, n'est pas dommageable pour le système électrique allemand dès lors qu'il exporte l'électricité excédentaire et que nous avons le bon goût d'arrêter des centrales nucléaires, moyens de production moins coûteux, pour accueillir l'énergie allemande qui, autrement, mettrait en péril le système de l'Allemagne, fondé, comme ailleurs, sur l'équilibre de l'offre et de la demande à chaque nanoseconde. C'est ainsi que l'on a procédé à des délestages en différents endroits du territoire français et mis des gens en difficulté pour pouvoir en contrepartie, les jours sans vent, permettre de rétablir l'équilibre du système électrique allemand. Aussi bien, je ne vois pas comment nous pourrions nous passer du nucléaire. Le rendre moins dominant, soit, si l'on veut bien faire dire aux énergies renouvelables ce qu'elles sont capables de faire ; mais, quoi qu'il en soit, on ne comblera pas toute la place occupée par l'énergie d'origine nucléaire dans le système électrique français par le photovoltaïque, à supposer qu'on sache le stocker correctement, ou par l'énergie d'origine éolienne, dont on sait le caractère instantané.
Que dire, après M. Gallois, du coût de l'énergie ? Il a singulièrement baissé quand on a pu industrialiser les modes de production. Les barrages ne sont pas, historiquement, sans poser des problèmes environnementaux dans certains pays, et les ressources hydrauliques constituent un ensemble fini en ce qu'il ne peut s'étendre : on peut certes user d'un système de pompage-turbinage pour créer des lacs artificiels alimentés la nuit et utilisés aux heures de pointe, mais cela demande que la géographie s'y prête. La ressource hydraulique ne peut donc être développée à l'infini, et l'on considère généralement que l'on a équipé à peu près tous les sites. La part de l'électricité produite dans des centrales thermiques à flamme est très réduite car cela suppose d'importer du charbon et, en dépit des technologies du charbon propre, les objectifs environnementaux ne sont pas encore satisfaits de manière que cette production puisse beaucoup se développer.
Ce qui nous a permis de réduire la structure des coûts, c'est la construction de 58 réacteurs nucléaires que je dirai identiques par facilité de langage, avec des gains de productivité considérables et des coûts d'installation significativement plus bas que dans n'importe quel autre pays. Cela est dû au fonctionnement du même attelage – le triptyque constitué par le CEA, Framatome à l'époque et EDF –, qui a permis de rationaliser les coûts de fabrication et d'exploitation, une rationalisation favorisée par l'association de l'exploitant à l'ingénierie de construction. La production en série a permis un énorme abaissement des coûts. Sera-t-on capable de le refaire à l'avenir ? C'est l'objectif assigné à la génération de réacteurs suivante.
M. Baupin m'a demandé mon sentiment sur l'ARENH. En tant que citoyen et en tant qu'ancien président d'EDF, je ne souscris pas, et je pèse mes mots, à l'idée que ce soit un devoir, en conscience, de permettre à nos concurrents d'accéder à un prix de l'électricité qu'on leur devrait au titre d'une certaine idée de l'intérêt général alors qu'à ma connaissance ce tarif n'a pas évolué depuis trois ans et qu'il ne correspond plus aux coûts. Que, dans un souci d'ouverture du marché, à supposer qu'il soit autant porteur d'avantages que l'on dit, on fixe un tarif, les prix pratiqués doivent avoir un rapport avec la structure des coûts complets d'EDF. On demande déjà à l'opérateur historique de subventionner ses concurrentes, les énergies renouvelables, tant qu'elles n'ont pas atteint un état de maturité industrielle qui leur permette de vivre. Sauf à pratiquer une auto-flagellation permanente qui est rarement le mobile d'une politique industrielle, je ne vois pas l'intérêt que notre pays peut avoir à vendre de l'électricité, ou à permettre à des électriciens de s'approvisionner, à un prix qui n'a aucun rapport avec les coûts. On peut le faire pendant des périodes transitoires, pas de manière durable.
L'EPR n'est pas un réacteur d'une nouvelle génération : c'est la forme modernisée de la dernière tranche installée à Civaux et à Chooz et il y a une quinzaine d'années. Si ce n'est qu'il réduit un peu le taux de déchets et améliore légèrement l'efficacité énergétique, ce modèle de réacteur n'apporte pas d'innovation bouleversante. Les difficultés rencontrées me paraissent assez naturelles au début d'une série – on le voit pour l'industrie automobile, dont les productions sont autrement plus simples que celles de l'industrie nucléaire. Qu'Areva, qui était de surcroît associée à d'autres acteurs que ceux avec lesquels elle avait construit jusqu'à présent, ait rencontré des difficultés en Finlande n'est que naturel. Il reste à démontrer qu'à Flamanville on sait mieux faire. Le gouvernement britannique, bien que ne partageant pas exactement la même tradition de service public et d'entreprise publique que la nôtre, le pense : il a choisi EDF et l'EPR pour développer sa politique énergétique.
J'ai confiance en l'EPR, mais j'observe un double paradoxe. Les centrales nucléaires avaient été conçues pour durer une trentaine d'années. Il appartenait bien sûr aux pouvoirs publics et à EDF de mettre en construction le type de centrale par lequel on remplacerait celles qui devraient l'être, nombre pour nombre et technologie pour technologie. Savoir maintenant que la durée de fonctionnement des réacteurs peut être étendue à 50, voire 60 ans, est a priori une bonne nouvelle économique : ces investissements, déjà amortis, auront une meilleure rentabilité. Mais, d'une certaine manière, ce n'est pas une bonne nouvelle industrielle parce que cela signifie que l'EPR, auquel on a travaillé vingt ans, n'a plus de raison d'être dans l'immédiat, sinon à l'exportation, puisque des pays aussi divers que la Chine, l'Afrique du Sud, l'Egypte ou la Pologne ont des besoins à satisfaire. Mais l'EPR n'est pas complètement adapté à l'exportation : une production de 1 500 mégawatts n'est pas nécessairement ce dont les pays émergents ont besoin et des adaptations devront être faites pour proposer une offre diversifiée.
Je suis assez confiant. Que le gouvernement britannique ait choisi ce modèle, opéré par EDF, va dans le bon sens, tout comme le fait qu'une grande partie des risques soit assumée par le gouvernement britannique dans un protocole d'accord négocié entre les gouvernements et les opérateurs. Que n'aurait-on dit – vous le premier, sans doute, monsieur Baupin – si la Commission européenne avait émis la moindre objection à l'équilibre ainsi trouvé avec le gouvernement britannique ! Je ne tiens pas nos collègues européens et la Commission elle-même pour des défenseurs absolus de l'entreprise publique et de ce que représente EDF ; je tire même de conversations, longues et nombreuses, avec Mario Monti la conviction inverse. Il y a donc là quelque chose de plutôt encourageant.
Il est vrai que la génération suivante sera plus intéressante, avec un taux de combustion plus élevé et moins de déchets. Ces réacteurs devraient arriver sur le marché en 2040 ou en 2050 ; entre-temps, il faut un produit correspondant à l'EPR, que l'on installera au fur et à mesure que l'on en aura besoin, en fonction de l'âge des centrales et de leur état. À ce propos, je souligne que notre pays est le seul au monde où, dès que l'Autorité de sûreté soulève une question générique à propos d'une de nos centrales, l'ensemble du parc se modernise et applique la mesure. C'est plus coûteux en maintenance, mais cela entraîne des visites décennales qui sont bien plus satisfaisantes et un fort taux de qualité, attesté par les rapports successifs de l'Autorité de sûreté.
J'en viens à la question posée par M. Destot à propos de la recherche-développement. Le général de Gaulle avait compris que la politique énergétique, et surtout nucléaire, ne devait pas être mise en une seule main. Il a donc défini un tripode original : au CEA la recherche fondamentale, à Creusot-Loire devenu Framatome la politique industrielle, et à EDF l'exploitation, tout en associant les deux derniers au sein de Sofinel qui porte l'ingénierie, pour s'assurer que celui qui opérera ces centrales aura été au coeur de leur construction. Ainsi facilite-t-on la compréhension du fonctionnement du réacteur par l'opérateur et le dialogue avec l'Autorité de sûreté. Aujourd'hui, il faut refonder, au moins en partie, la coopération entre ces trois pôles qui ont fait le succès de la filière nucléaire française : on voit bien que la recherche, qui était en partie portée par Areva et EDF, sera fragilisée car, dans une économie de marché, les actionnaires veulent souvent une rentabilité plus rapide. Cela ne doit pas se faire au détriment de la recherche-développement, et il faut renforcer le CEA.
J'en viens à l'endettement. L'actuel président d'EDF, M. Henri Proglio, a dû vous dire que l'une de ses missions a été de restaurer l'équilibre financier de l'entreprise, rendu difficile par différentes acquisitions et une conjoncture, en termes de tarifs et d'investissements, qui avaient fait croître l'endettement dans de grandes proportions. La situation financière d'EDF me paraît maintenant très satisfaisante, et l'entreprise est tout à fait à même d'envisager les investissements qui lui sont confiés dans le grand carénage, qui englobe la modernisation régulière du parc et des mesures complémentaires de sûreté « post-Fukushima » et « post-11 septembre 2001 ». À la demande de l'Autorité de sûreté, plus de 50 milliards d'euros seront consacrés aux différentes installations. Mais encore faut-il avoir une idée claire de la manière dont on envisage leur durée de vie : on ne peut dépenser quelques milliards indistinctement comme si tout le parc allait être entièrement prolongé à 60 ans, ce qui paraît justifié aux yeux de l'Autorité de sûreté, si l'on souhaite, selon l'approche retenue pour la transition énergétique, moduler les durées de vie des centrales.
Je veux rassurer M. Baupin qui semblait inquiet sur l'avenir d'EPR : la co-entreprise créée en Chine entre EDF et CGNPC a construit deux EPR qui sont au même stade d'avancement que celui de Flamanville, peut-être même un peu plus avancés, et tout laisse à penser qu'ils fonctionneront tout aussi bien que les modèles européens.
Rien de ce qui figure dans mon rapport ne diffère de ce que je vous ai dit aujourd'hui. Ce qui a fait la force de la proposition nucléaire française, c'est la capacité de faire travailler ensemble, à chaque époque, la recherche la plus sophistiquée, celle du CEA, et sur le plan de l'ingénierie, Framatome-Cogema-Areva et EDF. Il en résulte que la France offre un « service après-vente » à nul autre pareil. Chaque nouvelle centrale vendue est jumelée à une centrale existante. C'est très rassurant pour les pays qui se lancent pour la première fois dans l'aventure industrielle qu'est l'industrie nucléaire : ils savent que leurs opérateurs, s'ils éprouvent la moindre difficulté, décrocheront leur téléphone et appelleront l'opérateur qui a l'expérience d'une installation identique et dont les antécédents en matière de mesures de sûreté sont exceptionnels. Mais, encore une fois, EDF et Areva doivent comprendre que chacun d'eux pris isolément a moins d'avantages différentiels que lorsqu'ils présentent une offre conjointe ; cela n'a pas toujours été le cas. C'est ce sur quoi j'ai insisté dans le rapport.
J'ai ajouté à cela quelques considérations plus politiques, en soulignant que la politique industrielle d'un pays se construisant dans la durée, la puissance publique ne doit pas l'envisager de manière fragmentée mais continue. Cela suppose un engagement, au sommet de l'État, du ministre et de ses collaborateurs, et je me suis interrogé sur les conditions dans lesquelles, dans le passé, certaines situations s'étaient laissé développer dans une certaine indifférence ministérielle, tous gouvernements confondus. Pour des choix aussi long, il faut réaffirmer la volonté politique d'une stratégie et, si possible, s'y tenir car il n'y a pas une électricité de droite et une électricité de gauche ; de ce point de vue, on a progressé.
Si cela ne tenait qu'à moi, monsieur Gorges, on ne sortirait pas du nucléaire. Je pense que l'on doit s'engager sans réticence dans la transition énergétique, mais avec l'idée que le nucléaire doit y occuper une place, et une place importante.
La consommation électrique diminuera-t-elle ? On constate une réduction des consommations identifiées pour un processus industriel donné : chaque patron d'industrie a à coeur d'y parvenir. Mais, en même temps, de nouvelles catégories de population accèdent à une consommation d'électricité dont elles ne bénéficiaient pas auparavant, et l'on constate dans tous les pays du monde que la consommation d'électricité ne diminue pas avec la crise, au contraire – on l'a vu en Argentine.
Je pense que les réacteurs de génération IV apparaîtront à la fin de ce siècle, mais les difficultés d'ordre scientifique que l'on rencontre chemin faisant ne sont pas programmables.
Faut-il faire quelque chose à l'échelle européenne ? Au moment de quitter la présidence de la Commission européenne, M. Jacques Delors avait indiqué dans un petit « livre rouge » certaines pistes qui lui semblaient devoir être empruntées pour cimenter la construction européenne. L'une d'elles était bien sûr le développement des interconnexions, car il pensait que la politique énergétique était l'une des politiques transversales qui pouvaient marquer l'Europe. Les réseaux sont interconnectés jusqu'à l'Oural, et les poches de marché particulièrement attractives, compte tenu des prix, sont souvent ce que l'on appelle les « îles électriques », la Grande-Bretagne, l'Espagne et l'Italie notamment. Les flux d'échanges entre les réservoirs de production comme on en trouve en Russie avec l'hydraulique et ces poches de consommation disent la nécessité d'interconnexions. Jusqu'à présent, la notion de déclaration d'utilité publique n'existait qu'en droit français, et ce n'est que récemment que le concept en a été introduit dans le droit européen. Cela permettra d'aller un peu plus vite mais, pour l'instant, compte tenu de la multiplicité des procédures à satisfaire, la création d'une ligne interconnectée entre deux pays européens demande presque dix ans. L'objectif que fixait M. Jacques Delors n'a pas pris une ride et il pourrait très utilement être repris aujourd'hui.
La France est-elle un « grenier à kilowatts », comme on disait de certains pays, au XVIIe siècle, qu'ils étaient des greniers à grain ? Je ne sais, mais je pense les interconnexions indispensables et à la sauvegarde de notre système électrique en cas de difficulté et au développement économique. Mais j'en reviens à la question des tarifs : une partie des augmentations constatées sur le marché de gros en France tiennent au fait que les prix allemands sont significativement plus élevés que dans notre pays, à cause de la sortie du nucléaire et de la remise en état ou de la création de parcs énergétiques dans l'ancienne RDA. Qui dit « interconnexion » doit dire aussi « égalisation des conditions financières », et donc des coûts et des tarifs.