Intervention de Harlem Désir

Réunion du 29 octobre 2014 à 16h00
Commission des affaires étrangères

Harlem Désir, secrétaire d'état aux affaires européennes auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international :

Je tiens à vous remercier d'avoir transformé cette rencontre habituelle à l'issue des Conseils européens en une audition conjointe avec mon homologue et ami Michael Roth. Le 3 décembre, nous nous retrouverons devant les parlementaires du Bundestag, signe à la fois de notre attachement au dialogue avec les représentations nationales et de la vitalité de nos relations.

Nous nous rencontrons plusieurs fois par mois, en France, en Allemagne, ainsi qu'à Bruxelles, à Luxembourg ou dans les villes qui organisent les rencontres européennes en présence de nos homologues européens. Nous faisons attention à toujours coordonner les positions de la France et de l'Allemagne. Aucune décision importante n'a pu être prise en Europe sans que la France et l'Allemagne en aient pris l'initiative.

Nous étions ensemble dans la circonscription de M. Roth à la fin du mois de septembre pour célébrer le vingt-cinquième anniversaire de la chute du mur de Berlin, qui traversait sa circonscription actuelle. Mon souvenir le plus fort demeure toutefois celui de notre déplacement à Sarajevo, le 28 juin dernier, pour célébrer le centenaire du déclenchement de la première guerre mondiale et rencontrer de jeunes Bosniaques. Pour cette région qui, hier encore, se déchirait, notre partenariat exceptionnel, notre amitié et celle des deux ministres des affaires étrangères, MM. Steinmeier et Fabius, ont valeur d'exemple.

Si la France et l'Allemagne sont différentes, notre tâche est de rapprocher leurs points de vue et de conjuguer leurs forces respectives, tant au service de l'Europe que d'une vision commune – garantir la paix et la démocratie sur le continent – et de grands projets communs dans tous les domaines, économiques, industriels, énergétiques, écologiques, éducatifs ou culturels. Car de ces grands projets dépendent l'avenir et la prospérité de nos nations.

Ensemble, nous avons permis, après la crise de 2008, à l'union bancaire de voir le jour, même s'il reste à régler des dispositions, que Mme la présidente Guigou évoquait à l'instant.

Ensemble, face à la crise qui a déchiré l'Ukraine et la Russie, nous avons permis à l'Europe de rester unie, tant dans la fermeté face aux violations du droit international que dans la recherche d'une solution diplomatique et politique. Tel est le constant objet des rencontres au « format Normandie », qui fait référence à la rencontre entre les présidents Poutine et Porochenko, permise par le Président de la République française et la chancelière allemande, le 6 juin dernier, en marge des commémorations du soixante-dixième anniversaire du débarquement allié. L'Europe a ainsi ouvert la voie à une solution politique qu'il convient désormais de mettre en oeuvre : cette solution repose sur le cessez-le-feu et l'application des accords de Minsk.

Ensemble, nous avons permis à l'Europe d'agir contre le terrorisme. La brigade franco-allemande est venue soutenir l'intervention de l'armée française au Mali. L'Allemagne, la France et les autres partenaires européens participent également à la mission européenne d'entraînement au Mali – EUTM Mali –, en vue de former l'armée malienne.

Ensemble, nous sommes mobilisés contre les terroristes de Daesh. Ensemble nous répondons aux urgences des crises internationales, notamment en assistant l'Afrique de l'ouest dans sa lutte contre le virus Ebola, via la mise en oeuvre à l'échelle de l'Union européenne de mécanismes de solidarité – envoi de soignants, ouverture de centres de soins –, et en assurant la protection de nos propres populations.

Ensemble nous poussons un agenda de soutien à la croissance et aux investissements en Europe. J'évoquerai, outre la contribution commune de MM. Michel Sapin et Wolfgang Schäuble, présentée, le mois dernier, devant le Conseil ECOFIN, sur le futur plan d'investissement européen, la commande, par MM. Sigmar Gabriel et Emmanuel Macron, à MM. Pisani-Ferry et Enderlein, d'un rapport sur les domaines prioritaires d'investissement, de réformes structurelles et d'actions communes en Europe. Je pense également à la préparation du Conseil européen de décembre : le Conseil a demandé au futur président de la Commission, M. Jean-Claude Junker, de préciser le contenu de son plan de relance de 300 milliards d'euros.

Nous nous rencontrons aujourd'hui au lendemain d'un Conseil européen qui a pris des décisions historiques sur l'énergie et le climat. C'est un grand succès pour l'Union européenne du fait que, non seulement, l'Europe devait trouver un accord sur des matières complexes entre ses vingt-huit États membres, dont les situations énergétiques sont très différentes, mais qu'il convenait également, afin de couvrir tous les secteurs, de mettre en oeuvre des mécanismes de solidarité pour ceux des pays qui accusent un grand retard en matière de transition énergétique et de flexibilité. Il était décisif pour l'Europe d'aboutir à des engagements forts et ambitieux pour bien préparer la Conférence Paris Climat 2015.

Cet accord est effectivement ambitieux puisqu'il prévoit au moins 40 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030 par rapport à 1990. Il a également fixé l'objectif, contraignant à l'échelle de l'Union européenne, de porter à 27 % la part des énergies renouvelables d'ici à 2030, un taux, c'est vrai, qu'il conviendra désormais de répartir entre les différents États membres, comme l'a rappelé Mme la présidente Auroi. Il prévoit enfin un objectif indicatif d'au moins 27 % en matière d'efficacité énergétique. L'Allemagne et la France auraient souhaité aller plus loin : il s'agit à leurs yeux d'une base de départ. C'est pourquoi il est prévu que l'Union européenne mobilise ses moyens pour permettre à tous les États membres de réaliser cet objectif, voire de le dépasser.

Mme la présidente Guigou a également rappelé les mesures qui ont été prises pour permettre au secteur soumis au système communautaire d'échange de quotas d'émissions d'être efficace : nous défendons en commun cette priorité. Parmi ces mesures, je citerai la création d'un instrument de stabilité du marché ETS et de mécanismes de flexibilité et de solidarité, notamment pour les États membres dont le PIB est inférieur à 60 % de la moyenne européenne : ils disposeront d'une réserve de 2 % de quotas pour financer des projets d'amélioration de leur efficacité énergétique. Quant au secteur qui n'est pas couvert par les ETS – les transports, l'agriculture et le bâtiment –, la répartition de l'effort entre les États membres se fera en fonction du PIB par habitant, c'est-à-dire en tenant compte de la richesse respective de chaque pays, et des spécificités de secteurs tels que l'agriculture – c'était très important pour le secteur français de l'élevage.

Ce Conseil européen a également fixé un objectif minimum de 10 % d'interconnexion à atteindre de toute urgence – un objectif important pour rompre l'isolement énergétique de l'Espagne et du Portugal ou des pays Baltes – et de 15 % d'ici à 2030. Une grande partie du plan d'investissement présenté par M. Junker sera orientée vers la mise en oeuvre de ces interconnexions énergétiques, qui contribueront à garantir la sécurité d'approvisionnement du marché intérieur d'énergie. Nous permettrons ainsi à la solidarité de s'exercer à l'échelle de l'Union européenne. Ces objectifs sont également cohérents avec le développement des énergies renouvelables, lesquelles ne sont pas réparties de façon homogène sur le territoire.

Le Conseil européen a ainsi posé les fondements d'une véritable union de l'énergie.

L'autre grand sujet était la situation économique. Vous le savez, la France a souhaité qu'à l'issue du Conseil européen se tienne un sommet de la zone euro afin d'établir un diagnostic partagé de la situation. Celle-ci est en effet caractérisée par une très faible croissance, une stagnation, voire un risque de récession – je vous renvoie aux chiffres du deuxième trimestre de l'année 2014 –, une inflation très basse, qui a conduit la Banque centrale européenne à prendre des mesures exceptionnelles de baisse des taux et de mise à disposition de liquidités, et un chômage qui demeure très élevé. L'économie de la zone euro n'est donc pas à l'abri d'une rechute. Le sommet de la zone euro, qui s'est tenu en présence du président de la Banque centrale européenne, a conclu à la nécessité de conjuguer les réformes structurelles et la maîtrise, voire la baisse, de la dépense publique et de l'endettement, avec le soutien à l'investissement, seule manière de préparer l'avenir et d'augmenter le potentiel de croissance future de la zone euro et de répondre aux besoins précis de chacun des États membres. M. Roth a évalué à 118 milliards d'euros les besoins d'investissement de l'Allemagne : chacun des États membres peut identifier des besoins d'investissement dans les infrastructures, le numérique, l'énergie, la recherche ou la formation. Je tiens à rappeler que l'investissement a atteint aujourd'hui un niveau très inférieur à ce qu'il était avant la crise et que nous avons pris du retard par rapport à d'autres zones économiques, comme les États-Unis, où l'investissement privé et public est beaucoup plus fort. C'est pourquoi il est important de donner très rapidement un contenu au plan d'investissement proposé par M. Junker, notamment en mobilisant des outils publics, comme la Banque européenne d'investissement et le budget européen : leur effet de levier permettra de mobiliser l'investissement privé.

Tels sont les points essentiels du Conseil européen, au succès duquel la France et l'Allemagne ont très fortement contribué. J'ai eu l'occasion de participer, à Bratislava, aux côtés de M. Jochen Flasbarth, ministre allemand de l'environnement, à une réunion des pays du groupe de Visegrad, à laquelle se sont jointes la Roumanie et la Bulgarie, qui craignaient des décisions contraignantes en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d'énergies renouvelables. La France et l'Allemagne ont réussi, ensemble, à les convaincre que l'Europe mettrait en oeuvre des mécanismes de solidarité au bénéfice des pays les plus en retard et que le Conseil européen était l'occasion de fixer un cadre d'innovations technologiques et de transformation des modes de transport et de production industrielle, qui serait bénéfique à l'ensemble de l'économie européenne. Par la même occasion, l'Europe resterait le fer de lance dans la lutte contre le changement climatique, à la veille de la grande conférence mondiale sur le climat qui se tiendra à Paris en 2015

Ensemble, la France et l'Allemagne sont une force pour l'Europe et dans la mondialisation. C'est la raison pour laquelle M. Roth et moi-même attachons tant de prix à notre amitié, à notre coopération et à notre collaboration.

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