Monsieur Cordery, vous avez raison : le risque de déflation existe pour certains États membres. Le niveau d'inflation est à un niveau exceptionnellement bas – 0,4 %, voire 0,3 % –, très loin de la cible des 2 % fixés par la Banque centrale européenne. Vous avez évoqué la stagnation japonaise : les Américains ont repris une ancienne expression économique, celle de secular stagnation. Le risque aujourd'hui est qu'en l'absence d'une demande suffisamment forte et d'un investissement soutenu, la croissance et donc l'emploi ne redémarrent pas. Il deviendra dès lors très difficile de juguler les déficits et de régler la dette. Il convient de conduire des politiques communes au sein de la zone euro et, plus généralement, de l'Union européenne, combinant la politique monétaire active menée par la Banque centrale européenne et les politiques budgétaires respectueuses des engagements pris dans le cadre du pacte de stabilité – réduction du déficit structurel et objectif de réduction de l'endettement. Pour leur succès, gardons-nous d'ajouter, via des mesures d'austérité, une dimension récessive supplémentaire à une situation qui l'est déjà. Il faut également que les politiques nationales, coordonnées au plan européen, recourent à des instruments communs de soutien à l'investissement : d'où le travail en cours pour trouver ces 300 milliards d'euros d'investissement public et privé annoncés par M. Junker.
Plusieurs propositions sont envisagées, dont la recapitalisation de la Banque européenne d'investissement. Celle-ci a déjà bénéficié d'une augmentation de son capital de 10 milliards d'euros à la suite de l'adoption, à l'initiative du Président de la République François Hollande, du pacte pour la croissance et l'emploi au Conseil européen de juin 2012. Or ces 10 milliards ont permis à la Banque d'accorder 60 milliards de prêts. J'ai récemment rencontré le vice-président français de la BEI, M. Philippe de Fontaine Vive : ces 60 milliards d'euros ont permis de mobiliser 180 milliards. L'effet de levier a donc été de 1 à 18. D'ailleurs, la BEI estime que lorsqu'elle-même ou une autre institution européenne – le budget européen a dédié 230 millions d'euros à des interventions hors Union européenne – offrent leur garantie, l'effet de levier oscille entre 1 à 18 et 1 à 20. Pour financer des projets européens, il est donc possible d'envisager une nouvelle augmentation du capital de la BEI ou encore de mobiliser une partie de l'épargne des États membres, qui, en dépit d'une légère diminution, demeure plus abondante en Europe qu'aux États-Unis. L'idée est également lancée de mobiliser une partie du capital du Mécanisme européen de stabilité (MES), ce qui supposerait que les États membres s'entendent pour permettre au MES de financer des projets européens, alors qu'il sert seulement aujourd'hui de fonds de secours en cas de crise financière.
S'agissant de l'interprétation des traités, la France n'a pas demandé que les cofinancements nationaux de projets européens soient soustraits du calcul du déficit budgétaire au sens maastrichtien. Notre pays souhaite en effet non pas une modification des traités mais qu'il soit tenu compte, comme les traités le prévoient, de la situation économique. En période de stagnation, devant un risque de déflation ou de récession, il convient d'utiliser les flexibilités inscrites dans les traités. D'autres États membres – je pense à l'Italie –, ainsi que des formations politiques du Parlement européen, ont proposé que soient décomptées les contributions apportées par les États membres au financement de projets européens cofinancés par le budget européen : certains d'entre eux hésitent en effet aujourd'hui à s'engager dans de tels projets du fait que leur part de financement viendrait grever un peu plus leur déficit. Il peut s'agir de projets d'infrastructures – le problème pourrait se poser demain pour le Lyon-Turin – ou visant à favoriser l'emploi des jeunes : ainsi, la mise en oeuvre de la garantie pour la jeunesse permettrait d'allouer à l'Espagne 1,6 milliard d'euros de financement européen, à condition que celle-ci apporte un complément, qui creusera encore un peu plus son déficit au sens maastrichtien du terme. Les règles actuelles du pacte de stabilité et de croissance incitent donc certains États à renoncer à l'argent européen. L'essentiel est de débloquer le plus rapidement possible les fonds européens, car ils ont des effets positifs sur la situation économique, la croissance et les recettes des États.
Monsieur Lellouche, ne nous plaignons pas que, par-delà les clivages politiques, les relations entre les gouvernements français et allemands soient bonnes. Félicitons-nous au contraire des collaborations et des amitiés qui se sont nouées, au fil du temps, depuis le traité de l'Élysée de 1963 et l'accolade entre De Gaulle et Adenauer. Ils appartenaient, c'est vrai, à la même famille politique. Toutefois, par-delà les alternances politiques dans nos deux pays, le même état d'esprit a présidé par exemple aux relations entre le président Mitterrand et le chancelier Kohl, qui se sont tenu la main à Verdun. Il se trouve que M. Roth et moi avons une sensibilité commune et une approche partagée des questions économiques et politiques : tel n'est pas le cas de la chancelière Angela Merkel et du Président de la République François Hollande, ce qui ne les empêche pas de travailler étroitement ensemble. Il est bon qu'il en soit ainsi. Le sort de l'Europe dépendant de nos bonnes relations, celles-ci doivent dépasser nos différences partisanes.
Loin de faire preuve d'autosatisfaction, nous nous mobilisons pour redresser la situation de l'Europe. Il ne faut pas pour autant se complaire dans l'autoflagellation : la dynamique franco-allemande permet de surmonter les différences.
Les élections ukrainiennes ont été un succès même si elles n'ont pas pu être organisées dans la partie est du pays et que les séparatistes annoncent des scrutins qui ne seront pas reconnus par l'Union européenne et la communauté internationale. Nous veillons tout d'abord à maintenir l'unité européenne, qui est essentielle. Nous sommes parvenus à surmonter les différences d'approche entre les États membres – la Pologne, les pays Baltes, l'Italie, la France, l'Espagne, l'Allemagne. C'est parce que la France et l'Allemagne ont fixé le cadre des décisions européennes que l'unité a pu être maintenue : elle a permis la signature d'un premier accord, celui de Minsk, entre l'Ukraine et la Russie, qui doit être mis en oeuvre sous l'égide de l'OSCE, comme sous celle de la France et de l'Allemagne qui ont proposé de contribuer à la surveillance des frontières à l'aide de drones. Cet accord porte également sur le renforcement du dialogue national, des réformes institutionnelles sur le statut définitif des régions de l'est de l'Ukraine, la promotion de l'État de droit et la lutte contre la corruption. Malheureusement, ce processus se heurte aujourd'hui à de nombreux obstacles.
Je n'établirai pas de lien entre ce dossier et celui du Mistral, qui n'a fait l'objet à l'heure où je vous parle d'aucune annonce officielle. Le Président de la République prendra sa décision en fonction de l'évolution de la situation. Le contrat de vente des Mistral à la Russie date de 2011, c'est-à-dire bien avant la crise actuelle. De plus, il ne relève pas du régime des sanctions européennes, qui n'ont aucun caractère rétroactif. Il ne faut pas entretenir un parallèle entre les deux dossiers. Le processus de Minsk et les sanctions adoptées par l'Union européenne visent le respect du droit international et le rétablissement, par la voie diplomatique et politique, de relations normales de bon voisinage entre la Russie et l'Union européenne. Tel est l'objectif de la diplomatie française, allemande et européenne.
Le projet de loi de finances pour 2015 a été validé par la Commission européenne : le commissaire Katainen n'a en effet retenu aucun manquement de la part de la France au pacte de stabilité et de croissance, ce dont il faut nous réjouir. La France a apporté les précisions nécessaires à la clarification souhaitée par la Commission sans remettre en cause le projet de loi de finances. Les taux d'intérêt très bas, le rendement plus important de la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales et une contribution moins importante au budget de l'Union européenne – laquelle a provoqué au Royaume-Uni, qui verra la sienne augmenter, une réaction très forte – permettront de réduire le déficit structurel, qui, de 4,4 % en 2011, passera à 2,05 % en 2015. L'actuel gouvernement est celui qui, en dépit d'une situation économique défavorable, aura engagé une véritable réduction du déficit structurel. Quant au déficit nominal, il était de 5,2 % en 2011. Comme l'a rappelé M. Roth, il est déjà arrivé dans l'histoire de la zone euro que la France et l'Allemagne ne réussissent pas à respecter le taux nominal de déficit – les fameux 3 % : c'était en 2003. Le Conseil européen a alors accepté un dépassement. La différence, c'est que l'Allemagne a aussitôt engagé, à l'initiative du chancelier Schröder, des réformes très importantes – l'agenda 2010 –, dont elle tire aujourd'hui les bénéfices. La France n'a pas suivi la même voie : c'est aujourd'hui que le Gouvernement doit engager des réformes et le faire dans une situation bien moins favorable qu'en 2003, qui était une période de croissance, ce qui n'est plus le cas. Nous devons quand même faire ces réformes pour reconstituer la compétitivité et la force économique de notre pays et baisser son endettement.
Nous sommes tout à fait déterminés à exiger la transparence sur les négociations du traité transatlantique : hier, les députés ont été conviés à participer à une réunion de travail du comité de suivi stratégique des sujets de politique commerciale, présidé par M. Matthias Fekl, secrétaire d'État au commerce extérieur. Il a rendu compte de la dernière session de négociations entre les États-Unis et l'Union européenne et du fait que celles-ci n'avancent pas très vite à l'heure actuelle pour des raisons politiques : élections de mi-mandat aux États-Unis, installation de la nouvelle Commission européenne la semaine prochaine. De plus, dans des domaines aussi importants que ceux des marchés publics ou des indications géographiques, les États-Unis n'ont pas fait d'offre à la hauteur de nos attentes. Les négociations devront se mener sous le contrôle des parlements nationaux et du Parlement européen, qui auront à ratifier un futur accord de libre-échange, lequel devra respecter les normes européennes en matière de sécurité des consommateurs ou de diversité culturelle – je rappelle que nous avons déjà exclu des négociations les industries de défense.