Dans un premier temps, ce rapprochement aura même un coût. Les économies, elles, porteront sur les conseils généraux et les intercommunalités. L’enjeu est là !
Certes, cette réforme permettra de réaliser des économies d’échelle, mais il faudra aussi aligner par le haut le statut des fonctionnaires et les politiques publiques. La différence sera donc ténue, et ne permettra pas de réaliser des économies, a fortiori dans un contexte de décrue drastique des dotations – les dotations affectées aux régions diminueront de 953 millions d’euros d’ici trois ans.
Sur le fond, comme Alain Rousset l’a récemment déclaré, « Nous sommes dans le flou total, la réforme n’est pas pensée, je me doutais qu’on allait arriver à ça ». La loi du 17 mai 2013 avait réformé le mode de scrutin pour les élections départementales et créé de nouveaux cantons. Le 18 janvier 2014, à Tulle, François Hollande se prononçait contre la disparition des départements. C’était sans compter la vague bleue des municipales de mars et le remaniement ministériel qui a suivi. Manuel Valls, qui avait pourtant largement oeuvré, lorsqu’il était ministre de l’intérieur, à la réforme du mode de scrutin pour les élections départementales, annonçait le 8 avril, une fois devenu Premier ministre, lors de sa déclaration de politique générale, la disparition des départements à l’horizon 2020.
Quelques mois plus tard, après un nouveau remaniement, le même Manuel Valls annonçait, le 16 septembre, des départements à géométrie variable : « dans les départements dotés d’une métropole – vous avez tous en tête l’exemple de Lyon – la fusion des deux structures pourra être retenue. Lorsque le département compte des intercommunalités fortes, les compétences départementales pourront être assumées par une fédération d’intercommunalités. Enfin, dans les départements, notamment ruraux, où les communautés de communes n’atteignent pas la masse critique, le conseil départemental sera maintenu, avec des compétences clarifiées. » Il n’y aurait donc plus d’unité territoriale…
Enfin, le 6 novembre, à Pau, le Premier ministre a effectué une nouvelle volte-face devant le congrès de l’Assemblée des départements de France : il a conforté les compétences sociales des départements et a promis une réforme du financement du RSA. Pour ma part, je salue ce revirement, car je considère que l’échelon intermédiaire que représentent les conseils généraux, avec leurs compétences de proximité et de solidarité, est tout à fait essentiel.
Ce projet de loi prévoit la fusion des régions Auvergne et Rhône-Alpes : de ce mariage de raison naîtra une future grande région, que certains désignent déjà par l’acronyme AURA, dans laquelle il faudra plus de six heures de route pour relier Aurillac à Vallorcine. Dans ce mastodonte, quelle sera la place des départements à la marge, comme la Haute-Savoie ? Comme l’a rappelé mon collègue sénateur Michel Bouvard, « avec l’intégration de l’Auvergne l’accent sera mis sur un rééquilibrage de la région vers l’Ouest, assorti d’un basculement des moyens au profit de cette partie de l’espace régional, entraînant au passage la marginalisation progressive des territoires frontaliers. »
Aussi, la proposition de loi de Hervé Gaymard portant création de la collectivité territoriale Savoie Mont-Blanc, soutenue par le président du conseil général de la Haute-Savoie, Christian Monteil, me paraît tout à fait pertinente. Manuel Valls a d’ailleurs salué les projets de rapprochement des deux Savoie, mais aussi celui de la Drôme avec l’Ardèche. André Vallini a également indiqué que cette perspective de fusion départementale « permettra aux Savoyards de peser davantage au sein de la région Rhône-Alpes et de mieux valoriser leurs atouts, notamment touristiques. »
Le Sénat, passé à droite depuis la première lecture, a profondément modifié le texte. Il a ainsi réaffirmé la vocation de chacune des catégories de collectivités territoriales et clarifié leurs compétences. Il a confié aux régions la stratégie économique, l’aspect programmatique, les grandes infrastructures ; les départements doivent rester un échelon de proximité, de solidarité, de développement territorial et de cohésion sociale, et les communes les cellules de base de la démocratie locale. Quant aux intercommunalités, elles sont l’émanation des communes et non une tutelle.
Mais finalement, l’idéal eût été de conserver le conseiller territorial, que vous avez supprimé pour des raisons purement idéologiques : il permettait d’enlever une strate au millefeuille territorial, donnant plus de lisibilité, de diminuer le nombre d’élus et d’ancrer la région dans un territoire au sein des départements.
Au fond, ce texte préparé à la hâte est une fuite en avant. Il provoquera une fracture encore plus grande entre la France des métropoles, riche, active, mondialisée, et la France fragile, inquiète des petites et moyennes villes et des zones rurales et enclavées, que décrit si bien Christophe Guilluy dans son ouvrage très étayé « La France périphérique ».