Intervention de Élisabeth Guigou

Réunion du 28 octobre 2014 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou, présidente :

Je souhaite en votre nom la bienvenue à M. Mathias Fekl, que nous recevons pour une audition, ouverte à la presse, dont nous sommes convenus qu'elle serait consacrée aux enjeux des négociations commerciales internationales.

Vous nous rendrez compte, comme vos prédécesseurs s'y étaient engagés, de l'avancement des négociations sur le Partenariat transatlantique, dont le dernier cycle de négociations s'est tenu fin septembre et début octobre à Washington. Le compte rendu de ce cycle m'a été transmis hier ; il peut être consulté au secrétariat de la commission.

Je voudrais surtout vous interroger sur l'accord économique et commercial qui a été acté – mais qui n'est pas paraphé – avec le Canada. Le texte semble contenir des avancées intéressantes, par exemple en matière d'ouverture des marchés publics et de protection de nos appellations d'origine contrôlée. Mais il comprend aussi une clause de règlement par arbitrage international des différends entre les investisseurs et les États, dite clause ISDS.

L'intégration de cette clause était prévue dès le mandat de négociation de l'accord ; la négociation a duré cinq ans, de 2009 à 2014. Le défaut total de transparence vis-à-vis des parlements nationaux et des opinions publiques de la part des négociateurs de la Commission européenne explique que l'on se trouve aujourd'hui face à un choix difficile que nous allons devoir assumer : il nous faudra soit accepter le texte avec la clause ISDS soit en demander le retrait, ce qui rouvrirait une négociation difficile avec le Canada. De surcroît, ce choix sera déterminant car il aura des répercussions immédiates sur la négociation du Partenariat transatlantique et sur les autres négociations de l'Union européenne, notamment celle avec la Chine sur un éventuel accord de protection des investissements.

La France, comme les autres pays occidentaux, a passé depuis plusieurs décennies près d'une centaine d'accords de protection des investissements qui comportent une clause ISDS. Ces accords ont pu être utiles à nos entreprises, qui utilisent parfois l'arbitrage international quand elles sont confrontées à des systèmes judiciaires qui ne sont pas fiables, Mais je ne vois pas en quoi le mécanisme ISDS pourrait être utile dans le cas du Canada, pays où la justice est parfaitement indépendante et fiable. De plus, si nous acceptons le recours à ce mécanisme dans nos relations commerciales avec le Canada, il pourra être utilisé par des entreprises des États-Unis, puisque, compte tenu de l'interpénétration des économies des deux pays, la plupart des multinationales des États-Unis ont des activités suffisantes au Canada pour revendiquer le statut d'investisseur canadien.

Accepter ou non le recours à une forme de justice privée, supranationale et payante – d'ailleurs très coûteuse –, est également un choix de philosophie politique qui est tout sauf anodin. Acceptons-nous, ou non, la clause d'arbitrage ? Telle est la question de fond à laquelle il nous faut répondre.

Au-delà de ce problème précis, une réflexion politique globale sur la politique commerciale d'une Union européenne lancée dans des négociations tous azimuts pour des accords de libre-échange me paraît nécessaire. J'aimerais connaître la position du Gouvernement à ce sujet.

Quelques mots, en conclusion, sur la transparence, question essentielle. La publicité des mandats de négociation a été obtenue ; je sais que vous y avez beaucoup travaillé, et c'est un premier pas. La Commission européenne a également dû se résoudre à consulter les citoyens européens sur la clause ISDS dans le Partenariat transatlantique. Mais ce n'est pas suffisant : à l'avenir, la transparence des négociations doit être systématiquement assurée, au bénéfice des parlements nationaux et des citoyens. Cela suppose la publication à échéances régulières de documents pédagogiques, accessibles à tous. Quelles initiatives le Gouvernement compte-t-il prendre en ce sens ?

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