Intervention de Matthias Fekl

Réunion du 28 octobre 2014 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Matthias Fekl, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des français de l'étranger :

Je sais que votre commission suit de près la politique commerciale internationale française et européenne. Comme mes prédécesseurs, Mme Nicole Bricq et Mme Fleur Pellerin, je me suis engagé faire le point sur cette question quand vous le jugerez utile et je suis à votre disposition.

Une réflexion globale sur la politique commerciale de l'Union européenne est effectivement nécessaire et les travaux parlementaires à ce sujet sont très riches. Nous sommes à un tournant : à l'essoufflement des négociations multilatérales au sein d'une Organisation mondiale du commerce en difficulté se conjugue la multiplication d'accords négociés par des acteurs régionaux, ce qui conduit à la juxtaposition d'accords bilatéraux et régionaux. D'autre part, les sujets abordés dans les accords, toujours plus variés, vont bien au-delà des seules questions tarifaires. Quant au projet de partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI), il concerne quelque 800 millions de personnes et près d'un tiers des flux commerciaux mondiaux. C'est dire la nécessité d'une approche politique globale.

Mes prédécesseurs ont engagé le travail visant à répondre à l'exigence de transparence et, au lendemain de ma nomination, ce fut mon premier combat. À peine entré en fonction, j'ai adressé un courrier à la Commission européenne pour obtenir la publication officielle du mandat de négociation du partenariat transatlantique. Je me suis rendu à Berlin, ainsi qu'à Bruxelles où j'ai rencontré la Commission européenne, des membres de la commission du commerce international du Parlement européen et des représentants des groupes politiques. J'ai eu des échanges approfondis avec mes homologues lors du Conseil informel des ministres du commerce extérieur qui s'est tenu à Rome. Le Gouvernement français, par les voix de M. Jean-Marc Ayrault, puis de M. Manuel Valls, a, le premier, demandé la transparence et, le 8 octobre, nous avons enfin obtenu gain de cause : le mandat de négociation du PTCI a été déclassifié. Certes, il pouvait déjà être consulté sur internet, mais, en acceptant pour la première fois cette publication, le Comité des représentants permanents (Coreper) a créé un précédent juridique et politique significatif.

Pour autant, le Gouvernement français ne compte pas s'en tenir là, car la publication du mandat de négociation n'est qu'un premier pas vers une transparence encore inachevée. Pour aller plus loin, j'ai souhaité refondre le comité de suivi stratégique de la négociation du partenariat transatlantique. Il est désormais composé de deux collèges, l'un pour les parlementaires, l'autre pour la société civile, qui est maintenant expressément associée à la réflexion par le biais d'associations telles qu'Attac ou de syndicats et de fédérations professionnelles. Des groupes de travail thématiques seront constitués au sein de ce collège pour qu'aucun thème ne soit éludé et le Gouvernement prendra, au fil des mois, des engagements sur les sujets évoqués. J'ai réuni ce matin le collège de la société civile ; je réunirai demain celui des élus.

Toujours avec l'objectif d'améliorer la transparence, j'animerai demain une session de clavardage. Outre cela, nous travaillons à la mise en ligne, sur le site internet du Gouvernement, de nombreuses données et fiches d'information par sujet. Vous le voyez, les progrès sont tangibles.

Lors du récent Conseil informel des ministres du commerce extérieur, nous avons eu des échanges avec le commissaire européen au commerce sortant, M. Karel De Gucht, et avec le chef des négociateurs américains, M. Michael Froman. Avant de faire le point sur la négociation du Partenariat transatlantique, le PTCI, je rappelle qu'il a pour objectif l'amélioration de nos exportations vers les États-Unis pour permettre le développement international de nos entreprises, singulièrement nos PME, et donc de l'emploi en France.

La négociation confiée à la Commission porte sur plusieurs volets : l'accès des entreprises européennes aux marchés publics des États-Unis, pour l'heure très fermés sinon impénétrables ; la baisse des droits de douane ; la protection exigeante de nos indications géographiques, à laquelle nos agriculteurs sont particulièrement attentifs ; l'abaissement des barrières non tarifaires ; l'allégement des coûts réglementaires, notamment pour nos exportateurs de cosmétiques, de médicaments, de biens industriels ou de produits alimentaires, tous secteurs dans lesquels se réalisent nos principaux excédents commerciaux.

Dans la négociation, la France, comme ses partenaires européens, défendra ses objectifs et ses intérêts. Nous avons tracé des lignes rouges : la protection de notre agriculture pour ce qui concerne les produits sensibles ou à exclure de la négociation car ils ne pourraient lutter contre des productions américaines concurrentes à coût plus bas et dont la conception est parfois incompatible avec les nôtres ; la protection de nos savoir-faire, de nos indications géographiques et de nos préférences collectives ; la protection de la vie privée dans le domaine numérique ; la défense de l'exception culturelle française et européenne, l'exclusion des services audio-visuels étant prévue dans le mandat de la négociation ; l'exclusion des services publics ; la préservation de notre souveraineté réglementaire. L'opinion publique est très sensible à ces sujets et le Gouvernement attentif à ce que ces lignes rouges ne soient pas dépassées.

Par ailleurs, le PTCI étant un accord mixte, sa conclusion suppose la ratification unanime des États membres de l'Union européenne ; elle passera, en France, par un vote du Parlement.

Quelques mots sur l'état d'avancement de de la négociation. La septième session de discussion, qui a eu lieu aux États-Unis du 29 septembre au 3 octobre, n'a pas permis d'avancées substantielles, non plus que l'année 2014 en général, en raison du renouvellement de la Commission européenne d'une part, des élections de mi-mandat aux États-Unis d'autre part. L'incertitude demeure aussi sur la date à laquelle le Congrès américain accordera à l'administration Obama la Trade Promotion Authority nécessaire pour conclure la négociation du traité.

L'aboutissement de la négociation suppose que de nombreuses difficultés de fond aient été surmontées. Elles ont trait à l'accès aux marchés publics des États-Unis, notamment au niveau infra-fédéral ; aux indications géographiques, volet qui suscite de très fortes réticences américaines ; à la convergence réglementaire ; aux services financiers ; enfin, à la protection des investisseurs.

À ce sujet, de sérieuses réserves ont été exprimées à propos du mécanisme de règlement des différends investisseurs-États, dite clause ISDS, en France et dans d'autres pays européens, dont l'Allemagne. Nous avons entendu ces réserves et les questions de philosophie politique soulevées, qu'il s'agisse du droit des États à édicter des normes, à les voir appliquer et à réguler, du caractère équitable et transparence des procédures, de l'accès à des tribunaux impartiaux répondant aux exigences de la puissance publique.

Une consultation publique a été lancée à ce sujet par la Commission européenne, qui a reçu 150 000 réponses, dont 10 000 venaient de France. Le Gouvernement sera très attentif à l'analyse que la Commission tirera de cette consultation et au rapport qu'elle en fera au Parlement européen et aux États membres. J'ai noté la prise de position de M. Jean-Claude Juncker, nouveau président de la Commission européenne, le 22 octobre, et j'en rappelle les termes : « L'accord que ma Commission soumettra en dernière instance à l'approbation de cette Chambre ne comportera aucun élément de nature à limiter l'accès des parties aux juridictions nationales ou qui permettrait à des juridictions secrètes d'avoir le dernier mot dans des différends opposant des investisseurs à des États ». Cette inflexion de la position de la Commission rejoint les préoccupations exprimées par plusieurs gouvernements de pays membres de l'Union et par l'opinion publique.

J'en viens au projet d'accord économique et commercial global (CETA) avec le Canada. Partenaire politique et commercial important pour la France et dixième puissance mondiale, ce pays est membre du G8, du G20, de l'OTAN et de la francophonie. Avec le huitième plus haut revenu mondial par habitant, le pouvoir d'achat des Canadiens est élevé. Le Canada est le 29ème client de la France, qui est elle-même le troisième fournisseur européen du Canada, après l'Allemagne et le Royaume-Uni, avec 3 milliards d'euros d'exportations en 2013 ; la même année, les importations françaises en provenance du Canada se sont élevées à 2,8 milliards d'euros. Dix mille entreprises françaises exportent vers le Canada, dont près de 80 % de PME – elles sont 7 566 à le faire. Le Canada représente un marché potentiel réel pour notre pays, qui compte beaucoup moins d'entreprises exportatrices que l'Italie et que l'Allemagne – en outre, contrairement aux PME allemandes, les entreprises françaises qui exportent éprouvent des difficultés à le faire dans la durée. Nous sommes investisseurs nets au Canada ; enfin, 200 filiales canadiennes sont recensées en France, qui emploient 22 500 personnes.

La négociation du CETA s'est achevée après cinq années de discussions difficiles et l'accord a été rendu public le 26 septembre dernier. Je vous dirai l'appréciation portée par le Gouvernement sur un texte qui, vous l'avez souligné, madame la présidente, contient des avancées sectorielles et comporte un mécanisme d'arbitrage des différends entre les investisseurs et les États.

L'accord apporte de réelles avancées pour ce qui concerne le démantèlement de barrières non tarifaires : les droits de propriété intellectuelle sont mieux protégés pour la pharmacie ; la protection des indications géographiques pour les vins et spiritueux prévue par l'accord de 2004 est confortée ; une nouvelle protection est accordée à 42 indications géographiques laitières et de charcuterie françaises ; un meilleur accès est assuré au marché des services canadiens par nos entreprises dans les secteurs du transport maritime, des services postaux et des télécommunication, ainsi qu'aux marchés publics canadiens aux niveaux national, provincial et local. Sur le plan tarifaire, l'accord prévoit la suppression de la quasi-totalité des droits de douane : 64 % des exportations françaises entrent au Canada sans droits de douane aujourd'hui, et la proportion sera portée à 97 % si l'accord est validé. Dans le domaine agricole, 84 % des lignes tarifaires agricoles seront exonérées de droits de douane dès l'entrée en vigueur de l'accord.

La négociation étant maintenant achevée, l'accord devra être ratifié. Puisqu'il s'agit d'un accord mixte, il appellera à la fois l'approbation des instances communautaires et la ratification par chaque État membre – qui suppose, en France, un vote du Parlement.

Vous avez abordé, madame la présidente, le mécanisme d'arbitrage des différends entre investisseurs et États, sujet qui suscite des interrogations politiques, juridiques et philosophiques fondamentales sur le droit des États à édicter des normes et à les voir appliquer, et sur la justice.

La question est complexe. La France est déjà partie à 107 accords prévoyant un mécanisme d'arbitrage, dont 95 sont en vigueur, et d'autres négociations sont ouvertes, en Asie notamment, et particulièrement avec la Chine, dans lesquelles nos entreprises demandent l'inclusion de mécanismes de ce type. Le sujet est maintenant sur la table en France et dans d'autres pays, dont l'Allemagne et le Luxembourg. Mais le débat est compliqué, de très nombreux États membres de l'Union européenne étant favorables à ce système.

Dans ce contexte, plusieurs options sont envisageables. La première est d'accepter l'accord en considérant que la rédaction obtenue pour la clause ISDS correspond suffisamment à nos demandes. Si cette option était retenue, il conviendrait de préciser fermement que cela ne crée pas de précédent pour la négociation du Partenariat transatlantique en cours entre l'Union européenne et les États-Unis.

La deuxième option est de demander le retrait de la clause ISDS, en considérant qu'elle n'est ni utile, ni opportune ; cela suppose que la France ne le fasse pas seule, et aussi qu'elle soit prête à en assumer les conséquences possibles par ricochet pour les accords existants et dans les négociations en cours avec d'autres pays.

La troisième option consiste à demander l'amélioration de la rédaction actuelle du texte, en tenant compte des résultats de la consultation publique menée par la Commission européenne à ce sujet pour explorer de nouvelles pistes.

La quatrième option, théorique en l'état du débat au sein de l'Union européenne, est d'élaborer de nouveaux mécanismes de règlement des différends au sein de l'OMC, de la Conférence des Nations–Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) et de l'Organisation internationale du travail (OIT).

La décision de ratifier l'accord CETA sera prise par le Conseil européen, par le Parlement européen et, en France, par le Parlement. Nous serons très attentifs à l'analyse des résultats de la consultation publique en cours, dont il faudra pleinement tenir compte dans le projet de Partenariat transatlantique.

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