Je vous remercie pour votre invitation. Vous avez parfaitement restitué les travaux de notre commission d'enquête dont le sujet était proche du vôtre, il est vrai. Notre ambition était sans doute plus large mais nous ne sommes pas parvenus à l'assouvir complètement, s'agissant notamment de l'imputation aux différents agents économiques.
À défaut de dépasser les divergences inhérentes à la composition plurielle d'une commission d'enquête, traitant du nucléaire de surcroît, nous nous sommes accordés sur quelques constats.
Premier constat partagé, le prix de l'électricité va inexorablement augmenter, et ce pour trois raisons principales : la progression des coûts de production, celle des dépenses de transport et de distribution ainsi que l'augmentation des taxes.
S'agissant des coûts de production, l'électricité d'origine thermique sera renchérie par les variations dans la disponibilité des ressources. Quant à l'énergie nucléaire, l'augmentation de son prix, qui est admise par tous, y compris ses partisans, est considérée positivement car elle résulte largement de l'amélioration de la sécurité. Pour l'EPR, nous avions estimé le coût à 110 euros le mégawattheure, ce qui n'est pas loin des prix annoncés aujourd'hui. Quant aux énergies renouvelables, elles restent encore onéreuses. L'éolien terrestre coûte environ 82 euros le mégawattheure, tandis que l'éolien offshore demeure très cher. En revanche, on espérait pour le photovoltaïque des prix rapidement compétitifs. Enfin, le coût de l'hydraulique est sous-évalué ; de l'avis général, ce mode de production est le plus intéressant, mais nous n'avons pas les moyens de le chiffrer – les intentions du Gouvernement sur le renouvellement des concessions qui en fournirait l'occasion restent floues.
S'agissant du transport et de la distribution, les investissements nécessaires tant en faveur de la maintenance du réseau que de la création de nouvelles lignes et d'interconnexions avec d'autres modes de production ne manqueront pas de renchérir le coût. Il est néanmoins très difficile d'évaluer le surcoût induit par l'existence de nouveaux centres de production par rapport au coût de la maintenance habituelle.
Enfin, l'augmentation des taxes, en particulier de la contribution au service public de l'électricité (CSPE), est inévitable pour poursuivre l'effort en faveur des énergies renouvelables et la lutte contre la précarité énergétique.
En deuxième lieu, nous nous sommes accordés sur la nécessité de diminuer la consommation.
En effet, si le prix du kilowattheure est faible en France, la consommation est très élevée ; la facture finale de l'électricité est ainsi équivalente à celle de l'Allemagne, dont le kilowattheure est beaucoup plus cher.
Nous avons été étonnés d'apprendre que le chauffage – alors même qu'EDF a fortement incité les consommateurs à s'équiper en convecteurs électriques pour utiliser l'électricité produite par les centrales la nuit – n'était pas le seul responsable de cette consommation anormalement élevée. Des trois usages de l'électricité – chauffage, eau chaude et cuisson, électricité spécifique – c'est cette dernière qui pèse sur la consommation en raison de son besoin croissant ces dernières années. Néanmoins la consommation de cette électricité employée pour des usages pour lesquels aucune autre source d'énergie n'est possible – ordinateur, téléphone portable, etc… – apparaît bien moindre en Allemagne. Alors que les pouvoirs publics ont pris des mesures en matière de chauffage, des actions doivent être mises en place pour diminuer la consommation d'électricité spécifique. La loi sur la transition énergétique est l'occasion de proposer des remèdes à ces excès.
Nous avons longuement travaillé sur la variabilité des modes de production et de consommation, l'amplitude de cette dernière étant de plus en plus grande sur une journée et sur une année.
Pour résoudre ce problème, nous avons exploré plusieurs pistes : la première est le stockage : le stockage hydraulique grâce aux stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) fait figure de solution la plus intéressante, mais nous ignorons le potentiel d'installation en France de nouvelles stations, EDF nous ayant opposé le secret pour seule réponse. Les Suisses savent pleinement tirer parti de leurs nombreuses STEP : ils achètent l'électricité à bas prix et la revendent lorsque la demande est très forte, s'assurant ainsi un bénéfice important. Quant à la pile à hydrogène, dont l'entreprise Air Liquide nous dit depuis dix ans qu'elle est une formidable solution, il semble malheureusement que la technologie ne soit pas prête à être déployée à grande échelle.
Autre piste, l'effacement. Cette technique consiste, pour faire face aux pics de demande en fin de journée, non pas à développer de nouveaux moyens de production thermique qui fonctionneraient seulement quelques jours par an, mais à obtenir de certaines industries, grandes consommatrices, qu'elles ne fonctionnent pas à ce moment-là. L'effacement – l'arrêt de l'activité – est rémunéré au prix qu'aurait coûté la production à ce moment-là, prix nécessairement élevé. Aujourd'hui, et c'est une nouveauté, le prix de l'électricité varie non seulement selon la saison, mais aussi selon l'horaire. De plus en plus de contrats sont établis quelques jours à l'avance, voire la veille. Il existe une bourse du marché de production de l'électricité. La complexité réside donc dans la détermination du prix de l'effacement. Les sociétés qui gèrent aujourd'hui l'effacement connaissent d'ailleurs des difficultés. Le concept de l'effacement est bon mais sa mise en oeuvre reste perfectible.
Afin d'évaluer les investissements nécessaires pour les vingt prochaines années, nous avons retenu trois scénarios qui tous reposent sur un nécessaire effort de baisse de la consommation : le premier, est celui d'un développement du nucléaire grâce à la quatrième génération ; le deuxième est celui de la sobriété, donc dans lequel la part du nucléaire est réduite ; le troisième combine le maintien du nucléaire et développement des énergies renouvelables. Mais chaque scénario se heurte à des obstacles : pour le premier, nommé « Nucléaire nouvelle génération », les techniques ne sont pas encore au point ; pour le scénario mixte, c'est-à-dire le troisième, il faut choisir entre les centrales actuelles ou de nouvelles centrales pour conserver la part de nucléaire souhaitée et si on choisit l'EPR, on affaiblit néanmoins la pertinence de ce scénario au profit du premier. Enfin, s'agissant du scénario de la sobriété, il faut savoir gérer la période de transition : à quelle vitesse réduire la part du nucléaire ? Comment s'assurer du développement des énergies renouvelables ? Comment résoudre le problème de la variabilité de la production ?
La réponse, très politique, à ces nombreuses questions appartient à la Représentation nationale et au Gouvernement.
Nous nous sommes interrogés sur le coût du nucléaire avec la prudence que commandait la diversité des sensibilités sur le sujet. Nous avons analysé les nombreuses incertitudes qu'avait déjà soulignées la Cour des comptes : le mode de calcul des investissements nécessaires, la sécurité, le coût du démantèlement des centrales, dont EDF assure qu'il est le plus faible d'Europe en dépit de son absence totale d'expérience en la matière, enfin l'enfouissement, et plus généralement le traitement et le stockage des déchets. Le tableau des incertitudes que nous avons présenté montre une variation importante des coûts.
S'agissant des déchets, je vous recommande la visite du site de Bure. Il n'est pas certain que le procédé retenu apporte les garanties attendues en matière de réversibilité. En Allemagne, le choix de l'enfouissement dans une mine de sel s'est également révélé hasardeux. La question du stockage est donc loin d'être réglée.
Enfin, il ne faut pas négliger le coût d'un accident nucléaire. Aujourd'hui personne n'accepte d'assurer un tel risque. Il reviendrait donc à l'État de le faire.
En tenant compte de ces nombreuses incertitudes, nous avons évalué le montant des investissements pour les vingt prochaines années à 400 milliards d'euros dont 150 milliards pour la production, 140 milliards pour le transport et la distribution et 110 milliards pour les programmes de réduction de la consommation.
Nous nous sommes également interrogés sur le statut de l'opérateur de transport. En d'autres termes, RTE doit-il dépendre d'EDF, ou peut-il mener une politique indépendante ? La commission a néanmoins posé le principe du maintien du statut public de l'opérateur.
En matière de gouvernance, nous nous sommes intéressés à la décentralisation du service public de l'électricité, prenant l'exemple des entreprises locales de distribution. Les communes qui ont choisi après la guerre de conserver leur entreprise locale de distribution se félicitent plutôt aujourd'hui de leur autonomie par rapport à EDF. L'exemple de la commune de Montdidier démontre combien les habitants apprécient les politiques de proximité en matière de production de l'énergie. Le rapport pose la question : la loi doit-elle permette aux communes de revenir aux entreprises locales de distribution ? En allant plus loin, on peut même s'interroger sur le statut de ces entreprises : peut-on envisager le recours à des entreprises privées ou doit-on conserver des sociétés d'économie mixte ?
Quant au tarif progressif de l'électricité, je défendais, comme M. Brottes, l'idée selon laquelle plus on consomme, plus on paie. Mais nous avons constaté que ceux qui consomment le plus sont les habitants des logements les moins bien isolés. On leur infligeait ainsi en quelque sorte la double peine : à la précarité énergétique venait s'ajouter le tarif progressif. De fait, la loi s'est éloignée d'une stricte application du tarif progressif.
Nous n'avons pas tranché le débat sur les compteurs et les réseaux intelligents qui participent à la gestion de la variabilité de la production. Les membres de la commission étaient partagés sur le compteur Linky entre partisans d'un déploiement rapide et partisans d'un délai permettant d'améliorer encore cet outil.