Mes chers collègues de la Commission des affaires sociales, permettez-moi tout d'abord de vous dire mon plaisir d'être accueilli aujourd'hui au sein de votre commission pour vous soumettre ma proposition de loi.
Il s'agit d'un texte auquel je suis particulièrement attaché, compte tenu des raisons que vous avez évoquées, madame la présidente : né sur le constat de situations difficiles en services d'oncopédiatrie, il a été construit en partenariat avec des associations de parents et des chercheurs.
Je remercie le groupe UDI d'avoir permis son inscription à l'ordre du jour et je vous remercie de l'attention que vous portez à ce sujet.
Je souhaite tout d'abord évoquer la situation des enfants touchés par le cancer dans notre pays. Je décrirai ensuite l'organisation et les moyens de la recherche oncologique pédiatrique en France avant de vous démontrer en quoi le dispositif que je propose permettra des avancées significatives dans ce domaine, au point, je l'espère, de vous convaincre de l'adopter.
Le cancer pédiatrique se caractérise par ses nombreuses particularités. Près de 2 500 enfants et jeunes de moins de dix-huit ans sont touchés par un cancer chaque année. Si le taux de guérison est élevé chez les enfants – de l'ordre de 80 % après cinq ans –, il est bien plus faible chez les adolescents, proche de 50 %. De plus, 40 % des jeunes ayant guéri de leur cancer en conserveront des séquelles toute leur vie. Il s'agit toujours, évidemment, de situations terribles pour les familles. Près de la moitié des cancers de l'enfant interviennent avant l'âge de cinq ans.
En dehors des leucémies, dont le traitement explique l'essentiel des guérisons – la leucémie est le cancer le plus aisé à guérir chez l'enfant –, les cancers pédiatriques concernent un très faible pourcentage de la population mais dans bien des cas, il n'existe pas de traitement par une molécule mise sur le marché. Nous sommes face à des maladies rares, pour le traitement desquelles le développement et la commercialisation de médicaments ne sont pas rentables pour les industries pharmaceutiques.
Il revient donc à la collectivité de favoriser et, surtout, de financer directement la recherche sur ces pathologies particulières : la puissance publique le fait déjà, il est vrai, mais insuffisamment encore. D'où la proposition de loi que je vous soumets.
À l'article 1er, le texte propose d'instaurer une contribution assise sur les bénéfices de l'industrie pharmaceutique en France pour financer la recherche oncologique pédiatrique : en deux mots, une taxe sur les bénéfices tirés des produits rentables permettrait de financer la recherche sur des produits qui ne le sont pas.
À l'article 2, il vise à renforcer la personnalisation des traitements des enfants et des adolescents. Je le reconnais volontiers, la France consent déjà des efforts substantiels pour financer la recherche contre le cancer. L'Institut national du cancer (INCa) finance, pour plus de 100 millions d'euros, des programmes de recherche de grande qualité, déclinant les orientations des plans cancer successifs. L'INCa estime allouer à la recherche oncologique pédiatrique près de 10 % de ses ressources annuelles, ce qui est honorable par rapport au pourcentage de la population concernée, mais finalement assez peu au regard de la complexité de ces pathologies et surtout du faible intérêt industriel qui résulte de leur rareté.
Le Plan cancer en cours, qui couvre la période 2014-2019, revendique la prise en charge des cancers pédiatriques comme une priorité. Toutefois, l'essentiel des mesures tient à l'accompagnement et à la prise en charge des malades, non à la recherche de médicaments.
Certes, notre pays participe activement aux programmes internationaux de séquençage génomique des tumeurs, en insistant sur la nécessité de porter une attention particulière à celles affectant les enfants. Comme je le rappelle dans mon rapport, la France s'est portée candidate pour assurer le séquençage de sept tumeurs, dont trois sont particulières aux enfants. L'ambition est de bénéficier, à cette fin, d'un financement européen, dans le cadre du programme Horizon 2020, en cohérence avec le troisième Plan cancer qui vise le séquençage complet des cancers pédiatriques d'ici à 2019.
L'INCa a également mis en place le programme, appelé AcSé – accès sécurisé aux thérapies ciblées innovantes –, qui permet des partenariats avec des industriels qui mettent à disposition une molécule qui a l'autorisation de mise sur le marché ou en est encore au stade du développement. La puissance publique prend en charge les tests cliniques pour l'adaptation de cette molécule au cancer pédiatrique, dans le cadre des centres labellisés d'essais cliniques de phases précoces (CLIPP) et, en cas de réussite, l'industriel rachète le coût de ces développements et s'engage à fournir la molécule aux centres français qui en feraient la demande. Il s'agit d'un partenariat gagnant-gagnant très positif.
Là encore, la démarche que je propose consiste non pas à nier les efforts déjà consentis – bien au contraire, je les salue ! – mais à souligner qu'avec un peu de moyens supplémentaires nous pouvons accompagner la logique du plan cancer et la parachever en ce qui concerne les enfants et les adolescents.
D'autant que le moment est propice pour l'adopter.
En effet, ce texte injecterait des fonds au profit d'une recherche oncologique qui a beaucoup évolué et semble particulièrement prometteuse : c'est donc maintenant qu'il faut l'irriguer.
Ce travail sur le financement de la recherche oncologique pédiatrique m'a donné l'occasion de rencontrer nombre de chercheurs, d'institutions et d'associations. Tous ont décrit les formidables avancées de ces deux dernières décennies, permises par l'introduction de nouvelles méthodes de traitement et les perspectives ouvertes par le séquençage génétique. Ces travaux permettent en particulier d'identifier le mode de développement et de diffusion de cellules cancéreuses sur le fondement d'anomalies non pas d'un organe que l'on soignerait en tant que tel de son cancer, mais du paysage génétique. Schématiquement, des découvertes sur le cancer du poumon chez les adultes permettent ainsi, par analogie, d'identifier des voies de traitement du cancer pédiatrique du cerveau. Cette révolution est fascinante ! Mais précisément, nous devons l'accompagner, afin de tenir compte spécifiquement de la situation des enfants et adolescents.
Pourquoi ? Tout d'abord parce que le contexte de progrès généralisés dans la lutte contre les cancers rend encore plus insupportable l'absence de solution ou de progression significative sur tel ou tel cancer particulièrement rare. Ensuite, parce que ces avancées analogiques ne doivent pas faire de la recherche sur le cancer adulte la voie d'entrée essentielle pour la recherche pédiatrique. Nous ne devons pas nous contenter d'attendre des découvertes chez les adultes pour espérer des résultats chez les enfants. Il faut concentrer des moyens nouveaux au profit de la recherche pédiatrique. L'INCa le fait : avec un peu plus de ressources, il pourrait faire davantage encore.
La proposition de loi que je vous présente aujourd'hui permettra de lever environ 30 millions d'euros par an. Compte tenu des avancées du Plan cancer, je vous proposerai par amendement d'en réduire le montant à quelque 10 millions.
Grâce à cette ressource supplémentaire, chaque année, l'INCa pourra financer des programmes particulièrement attendus, visant notamment à favoriser la réponse à des appels à projets scientifiques afin de couvrir tout le spectre oncologique pédiatrique. L'absence de ces appels à projet empêche aujourd'hui les équipes de chercheurs de s'intéresser à ces cancers pédiatriques. Ces programmes tendraient également à systématiser la recherche translationnelle individuelle, afin de permettre le recours le plus large possible à des essais de traitement in vitro sur des cellules cancéreuses du patient cultivées en laboratoire en vue de renforcer l'individualisation des traitements, à soutenir l'équipement pour le séquençage à haut débit de cellules cancéreuses et à mieux accompagner les familles qui souhaitent participer à des travaux de recherche épidémiologique aujourd'hui inexistants.
Ce sont autant de projets majeurs qui avanceraient considérablement avec l'adoption de cette proposition de loi.