Intervention de Jean-Christophe Fromantin

Réunion du 19 novembre 2014 à 20h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Fromantin, rapporteur :

Cette proposition de loi, qui vise à accélérer, simplifier et fluidifier le passage du permis de conduire, est inscrite à l'ordre du jour de la « niche » du groupe Union des démocrates et indépendants le 27 novembre prochain. Nombre d'entre vous ont sans doute entendu, comme moi, les protestations régulières de nos concitoyens sur la longueur, la complexité, la lourdeur et le coût de la procédure du permis de conduire. La saturation du dispositif tient à l'insuffisance du nombre de places à l'examen. Certes, dans certaines régions, généralement rurales, tout se passe bien. Mais les tensions peuvent être très vives dans les zones urbaines ou métropolitaines. Beaucoup de chiffres, parfois très impressionnants, circulent sur la carence en inspecteurs et les difficultés à passer le permis. Au cours des auditions que nous avons menées, les auto-écoles ont annoncé que le nombre de places manquantes à l'examen pourrait s'élever à 1,6 million, chiffre très difficile à vérifier. À tout le moins, plusieurs centaines de milliers de places semblent manquer, si l'on se réfère aux retours des syndicats d'auto-écoles et de l'ensemble des acteurs de la chaîne.

Cette situation a des conséquences très dommageables pour nos concitoyens. D'abord, le coût du permis de conduire est relativement élevé : il peut aller jusqu'à 2 000 ou 3 000 euros dans les zones urbaines, en particulier pour les candidats malheureux qui n'obtiennent pas le permis au premier passage et doivent donc se présenter une deuxième fois à l'examen. Les délais d'attente dépassent huit mois dans certaines zones ; ils peuvent atteindre un an ou un an et demi, voire davantage à croire certains témoignages inquiétants qu'il n'est cependant pas possible de vérifier. Il n'en reste pas moins que la tension est forte et que le prix devient rédhibitoire pour un certain nombre de jeunes et de familles. Dans l'attente d'une date d'examen, les élèves doivent en effet continuer à prendre des heures de conduite, dont le prix varie de 40 à 70 euros.

Cette situation pose aussi des problèmes en termes d'emploi : le permis de conduire est souvent un sésame indispensable pour travailler ; ceux qui ne l'ont pas ont d'autant plus de difficultés à satisfaire aux exigences fixées dans les annonces. Enfin, elle crée des problèmes de sécurité : on estime à environ 85 000 le nombre de gens qui conduisent avec un permis étranger, certes dans le cadre d'accords, mais sans qu'il soit possible de vérifier si les épreuves qu'ils ont passées sont de nature à garantir une conduite sécurisée. En outre, on évalue à plusieurs centaines de milliers le nombre de conducteurs qui roulent sans permis, faute de pouvoir passer l'examen et, surtout, de disposer des moyens nécessaires pour ce faire. Chaque année, environ 35 000 automobilistes sont verbalisés pour conduite sans permis.

D'une manière générale, il ressort de nos auditions que les tensions sont sensibles sur toute la chaîne, tant au niveau des élèves et des auto-écoles que des inspecteurs. Les auto-écoles sont prises entre le marteau et l'enclume : compte tenu de la carence en inspecteurs, elles ne sont pas en mesure de répondre aux exigences des élèves, qui leur demandent de fixer une date pour passer l'examen, parce qu'ils sont pressés et n'ont pas les moyens de payer des heures supplémentaires. La situation est également très délicate pour les inspecteurs : ils sont bien conscients des difficultés et réclament la création de postes supplémentaires, mais sans obtenir satisfaction. D'autre part, le climat est tendu avec les élèves. En particulier, il est de plus en plus difficile aux inspecteurs d'avoir un temps de médiation avec les candidats à l'issue de l'examen. Ils ne leur annoncent plus le résultat : ils se contentent de cocher des cases et d'attribuer des notes, puis les informent qu'ils recevront la réponse directement chez eux par courrier. Ce temps de médiation va d'ailleurs être encore réduit à l'avenir : afin de faire passer un candidat supplémentaire par jour – treize contre douze auparavant – et d'alléger le dispositif, le Gouvernement a demandé que la durée de l'examen, qui avait déjà été abaissée à trente-cinq minutes, soit ramenée à trente-deux minutes.

Loin de fluidifier la relation entre l'inspecteur et le candidat, cette réduction du temps risque de la tendre davantage et vous ne manquez sûrement pas de témoignages sur le mécontentement des élèves comme des auto-écoles et des inspecteurs.

Le système ne donne pas satisfaction. Les services du ministère reconnaissent que les mesures prises récemment – la réduction de l'examen à trente-deux minutes pour faire passer un candidat de plus par jour et l'appel à des réservistes ou à des agents publics – ne sont que des palliatifs. En Seine-Saint-Denis où des dizaines de milliers de places sont en souffrance, le secrétaire général de la préfecture m'indiquait la semaine dernière que les deux réservistes mobilisés finiront leur mission à la fin de l'année et que seul un agent public pourrait assumer cette tâche en 2015, aux côtés des inspecteurs. Cette disposition ne résout donc pas le problème.

Il est également envisagé de recourir à une délégation de service public pour l'examen du code. Cette solution ne suffira pas à compenser les centaines de postes d'inspecteur qui semblent être nécessaires pour fluidifier le système.

Partant de ce constat, la proposition de loi vise à redéfinir les rôles : l'État contrôlerait les inscriptions, la qualité de l'enseignement et des examens de code et de conduite ; les auto-écoles se concentreraient sur l'enseignement et ne joueraient plus les intermédiaires entre l'élève et l'État ; un organisme certificateur s'occuperait de faire passer les examens.

Compte tenu de ses règlements, de ses normes et de son rappel constant au principe de précaution, la France a généré de grands organismes certificateurs, le Bureau Veritas ou d'autres, devenus des leaders mondiaux dans certains domaines : ils contrôlent nos centrales nucléaires, font passer des examens, assurent le contrôle technique des automobiles, etc. Ils sont donc compétents dans divers processus réglementaires ou normatifs.

Le texte qui vous est soumis propose de confier l'examen de conduite – d'une durée de trente-cinq à quarante minutes, selon la norme européenne – à un organisme certificateur. Ce n'est pas une privatisation : l'État ne se dessaisit pas du dispositif, mais il confie une des tâches à un organisme certificateur, comme il le fait déjà dans nombre de domaines. L'organisme certificateur délivrerait un permis probatoire d'une durée de deux ans. Si aucune infraction n'a été commise pendant ce délai, le permis probatoire deviendrait un permis à points classique, passant de six à douze points au fil de la maturité du conducteur.

Pour résumer, la délivrance de ce permis probatoire de deux ans relèverait de l'État, mais son organisation serait confiée à un organisme certificateur travaillant dans le respect des normes européennes et employant un personnel qualifié, donc formé à l'école des inspecteurs. Dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, il est fait référence au contrôle technique automobile qui ne pose aucun problème. Nombre de pays ont recours à un tel système où l'État reste opérateur tout en déléguant l'examen de conduite – voire davantage – à un organisme privé.

Cette disposition changerait totalement la donne. Elle permettrait de fluidifier le système et d'abaisser les prix en supprimant ces délais d'attente que subissent les candidats qui doivent passer ou repasser l'examen. Elle offrirait aussi deux avantages relevés au cours des auditions : l'amélioration de la sécurité routière et la possibilité d'évaluer le candidat en amont de l'examen.

S'il commet une infraction au cours de la période probatoire, le conducteur devra repasser devant un inspecteur qui le jugera davantage moins sur des capacités techniques déjà évaluées que sur son comportement d'automobiliste : le fait d'avoir conduit à quatre-vingts kilomètres à l'heure dans une commune, d'avoir doublé sur une ligne blanche, d'avoir pris un sens interdit, etc. Ce genre d'examen après infraction, que beaucoup réclament, permettrait d'améliorer la sécurité : dans au moins 85 % des cas, les accidents ne sont pas liés à la maîtrise technique du véhicule mais au comportement des jeunes conducteurs.

Avec ce système, le candidat pourrait aussi demander à l'organisme certificateur de l'évaluer avant même de commencer ses cours, pour être en mesure de faire valoir une certaine maturité auprès de l'auto-école. Lors des auditions, un syndicat d'inspecteurs nous a expliqué que bon nombre de jeunes savaient déjà conduire avant d'effectuer leurs vingt heures réglementaires en auto-école, parce qu'ils conduisaient des tracteurs dans l'exploitation agricole familiale ou des véhicules dans des propriétés privées. Et dans ces cas-là, il n'y a aucune raison de leur imposer un forfait de trente ou trente-cinq heures de conduite.

S'agissant enfin des quelque 1 000 inspecteurs, nous avons eu de nombreux échanges sur l'opportunité de faire évoluer leurs trois missions : l'inspection du permis de conduire, l'information et la formation dans divers établissements, scolaires notamment, et le contrôle des auto-écoles qu'ils n'assurent absolument pas, faute de temps. Dans nos circonscriptions, nous avons tous l'expérience d'auto-écoles qui disparaissent aussi vite qu'elles sont apparues, ou qui vendent un nombre d'heures de conduite plus impressionnant que nécessaire, ou qui emploient des moniteurs peu diligents dans la manière d'organiser les heures de conduite.

Essayons de revisiter le métier, afin de faire en sorte que les inspecteurs puissent assurer leurs trois missions. Ils jouent un rôle fondamental en matière de sécurité routière avant, pendant et après le passage du permis de conduire. Il s'agit de ne pas concentrer l'effort sur le seul passage – sous tension – de l'examen de conduite.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion