Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 19 novembre 2014 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, président :

Les chantiers d'adaptation du Règlement de l'Assemblée nationale se suivent et se ressemblent ; ainsi, il y a deux mois, nous débattions d'une modification ayant pour but d'améliorer la transparence des finances des groupes parlementaires, ceux-ci devant désormais être « constitués sous forme d'association, présidée par le président du groupe et composée des membres du groupe et apparentés ». Cette réforme, rapportée par M. Bernard Roman, fut votée à l'unanimité dans l'hémicycle et validée par le Conseil constitutionnel.

Le texte que nous examinons a été voulu par le Président de notre Assemblée, M. Claude Bartolone, mais son écriture a été collective. Le 15 janvier 2013, la Conférence des présidents avait chargé un groupe de travail de réfléchir à l'organisation et au fonctionnement de l'Assemblée nationale et, plus largement, à la réforme des procédures législative, budgétaire et de contrôle. Ce groupe était composé des six vice-présidents de l'Assemblée, des présidents de groupe, d'un député par groupe et de votre serviteur. C'est le fruit de son travail qui vous est aujourd'hui proposé.

Celui-ci s'avère modeste car bon nombre des évolutions initialement envisagées nécessitent une modification constitutionnelle, pour laquelle la majorité requise n'existe pas dans l'hémicycle. Le travail fut volontairement consensuel, car nous souhaitions rassembler tous les groupes, comme ce fut le cas pour la plupart des trente-deux précédentes réformes du Règlement. Ce nombre élevé impose d'ailleurs l'humilité, le présent travail ayant pour seul objet de mieux permettre aux députés de remplir pleinement leurs missions.

De manière synthétique, on pourrait résumer le projet de résolution autour de trois axes principaux : mieux organiser les travaux qui se déroulent en séance publique ; mieux valoriser le contrôle et l'évaluation ; continuer de renforcer la transparence du fonctionnement de notre Assemblée.

J'émets une réserve sur l'article 6, qui encadre la possibilité de tenir des séances supplémentaires d'autres jours que les mardis, mercredis et jeudis. Le Gouvernement ne pourrait plus obtenir la tenue de droit de séances les lundis et les vendredis que pour les textes énumérés à l'article 48, alinéa 3, de la Constitution, c'est-à-dire, pour l'essentiel, les projets de loi de finances, de financement de la sécurité sociale et les textes en navette.

Cette mesure me laisse perplexe : je doute de sa constitutionnalité car elle limite trop les prérogatives du Gouvernement en matière d'ordre du jour, et je ne juge pas souhaitable que l'on rigidifie à l'excès l'organisation de nos travaux.

Malgré mon scepticisme, je ne propose toutefois pas de supprimer cette disposition, car elle recueille l'adhésion unanime des présidents de groupe.

J'ai écarté, par ailleurs, tous les amendements qui n'entraient pas dans le champ du Règlement de l'Assemblée nationale. Je partage, pour autant, bon nombre des idées contenues dans la centaine d'amendements déposés – il m'est arrivé d'en défendre moi-même quelques-uns lors de la réforme de 2009.

Une réforme du Règlement de l'Assemblée nationale ne peut pas bouleverser la hiérarchie des normes. Ainsi, seule la Constitution peut imposer à l'ordre du jour de notre Assemblée l'organisation d'un débat avant une réunion du Conseil européen ou un sommet international. De même, la possibilité de saisir la Commission consultative du secret de la défense nationale dans le cadre d'une commission d'enquête relève de la loi.

Il m'a semblé utile d'accompagner les amendements visant à faire progresser les droits de ceux qui travaillent dans cette institution, à commencer par les parlementaires. Par culture et par expérience du droit parlementaire, je crois beaucoup aux conventions, que l'on appelle les « pratiques effectives » ; ce mode non juridique de création normative fait la spécificité du droit parlementaire et, puisqu'il existe, je ne vois pas l'intérêt de l'inscrire dans le Règlement. En effet, la rigidité des règles conduit souvent à des stratégies de contournement. J'ai ainsi écarté toutes les suggestions qui n'étaient destinées qu'à ancrer dans le Règlement des pratiques qui ont déjà cours.

De même, je ne soutiendrai pas les amendements qui tendent à réduire la marge d'appréciation des commissions elles-mêmes dans l'exercice de leur mission et, à l'inverse, j'appuierai ceux qui se traduiront par un progrès des droits, notamment ceux de l'opposition ou des groupes minoritaires. J'essaie ainsi d'être cohérent avec les positions que je défendais il y a cinq ans.

C'est notamment le cas lorsque je propose de renforcer le rôle du co-rapporteur d'opposition sur la mise en application de la loi, en lui octroyant un rôle nouveau d'analyse de l'étude d'impact et en lui permettant de s'exprimer en séance avant la discussion générale.

Je suggère aussi que le rapporteur d'une proposition de nomination par le président de la République au titre de l'article 13 de la Constitution soit nécessairement issu de l'opposition ou d'un groupe minoritaire. Je proposerai une synthèse des amendements visant à répartir à parts égales le temps de parole entre chacun des groupes et à limiter drastiquement la durée de la discussion générale.

Un premier renforcement des droits des collaborateurs des députés a été opéré par la récente loi sur la transparence de la vie publique, qui a sorti de l'ombre ces quelque 2 100 personnes qui apparaissent dorénavant sur les déclarations d'intérêt des députés. Il convient maintenant de franchir une nouvelle étape, celle consistant à les doter d'un statut. Je soutiendrai les amendements qui donnent des compétences en la matière aux questeurs ou au Bureau de l'Assemblée. Ce statut ne fera pas de l'Assemblée nationale l'employeur de ces collaborateurs, qui continueront d'être liés par un contrat de droit privé à leur député, mais il y a lieu de procéder à une harmonisation de leur situation.

Il s'avère difficile d'anticiper sur le fonctionnement de l'Assemblée nationale une fois que la loi sur le non-cumul des mandats sera entrée en vigueur. La Conférence des présidents a été instituée en 1911 au sein de la Chambre des députés, mais son existence n'a été constitutionnalisée qu'à l'occasion de la révision de 2008. Juridiquement, elle est simplement chargée de régler l'ordre du jour, mais, demain, elle jouera inévitablement un rôle accru de coordination et de régulation ; cette évolution, qu'elle a déjà amorcée, est souhaitable car elle constitue la seule instance réunissant tous les présidents de groupe et de commission. Je soutiendrai, synthétiserai et parfois amplifierai les amendements qui proposent d'accompagner cette tendance, en conférant notamment à la Conférence des présidents un rôle en matière d'évaluation et de contrôle.

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