Si l'Allemagne se trouvait dans la situation actuelle de la France, et vice-versa, la France ne souhaiterait pas s'allier avec elle. Notre pays est en effet une source d'inquiétude pour tous. Les Allemands, qui ont déjà leurs propres problèmes, ne souhaitent pas payer pour que les Français puissent partir à la retraite à 60 ans quand eux travaillent jusqu'à 67 ans. C'est en tout cas le raisonnement que fait l'homme de la rue. Et si une fédération européenne se constitue, ce sera non au sein de l'Union européenne mais plutôt entre huit ou neuf États – à cet égard, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) a ouvert la voie – car cette fédération ne fonctionnera pas si les Anglais continuent à vouloir donner leur avis. Ils ne sont d'ailleurs pas les seuls à poser problème.
Quant à la question énergétique, même si l'énergie renouvelable, notamment éolienne et photovoltaïque, s'est effondrée provisoirement, ce secteur doit continuer à être exploré. À un moment donné, les ruptures technologiques seront telles que l'énergie solaire deviendra relativement moins coûteuse. On a pensé à tort pouvoir substituer l'énergie solaire à l'énergie nucléaire en cinq ou dix ans, il faudra plutôt une cinquantaine d'années. Étant moi aussi favorable au développement durable, j'estime qu'on ne pourra exploiter les gaz de schiste que si l'on est capable de le faire proprement. Quant au nucléaire, je suis pour aussi longtemps que sa sûreté progressera car il s'agit d'un secteur dans lequel on est performant. Le rapport de l'Autorité de sûreté nucléaire a préconisé un effort d'investissement de 10 milliards d'euros à réaliser impérativement. Il ne serait pas gênant de compléter massivement le nucléaire par de l'électricité produite à base de gaz importé des États-Unis.
En tout état de cause, nous avons laissé chuter trop bas le taux de recouvrement de la consommation par la production et il faudrait le relever à 110 à 115 % et conserver une base nucléaire qui assurerait à terme 50 % de notre production électrique. On pourrait produire ou importer du gaz de schiste, à hauteur de 20 % tout en continuant à développer les énergies renouvelables, mais avec une vision de long terme à l'horizon de 2050. Si, aujourd'hui, la fédération se faisait et si un accord européen obligeait les Allemands à ne réaliser leur transition énergétique que d'ici à 2050, ils nous remercieraient car ils sont en train de s'apercevoir que leurs objectifs sont irréalistes.
Pour conclure sur une note optimiste, notre pays est extraordinaire mais il n'a pas compris le problème et ne le comprendra que lorsqu'un million de gens descendront dans la rue pour réclamer une politique industrielle. Si l'on fédéralise un noyau dur autour du Benelux, de l'Allemagne et de l'Autriche, et du bloc constitué de la France, de l'Italie, de l'Espagne et du Portugal – soit 300 millions d'habitants –, nous serons le seul grand pays libre à disposer d'une balance courante fortement excédentaire par rapport aux États-Unis. Nous deviendrons instantanément la deuxième puissance économique mondiale, la première puissance industrielle et la première puissance commerciale, ce qui changera non seulement la situation économique de l'Europe mais également la géostratégie mondiale et l'avenir de nos enfants. Avec l'apparition d'un véritable acteur européen, il n'y aura plus seulement deux acteurs, les États-Unis et la Chine, mais trois. La fédéralisation d'un noyau dur est donc un point-clef et le travail que vous abordez dans le cadre de votre mission est fondamental puisque c'est du redressement français – qui passe par une reconstruction industrielle au sens moderne – que dépend une éventuelle fédération franco-allemande dans laquelle doivent impérativement être présents les Italiens et les Espagnols, qui sont pour nous de gros concurrents.
Il nous faut agir vite, ensemble et avec une extrême lucidité !