L'extrême technicité du sujet recouvre une réalité grave et prégnante pour les entreprises, les citoyens et les magistrats.
Les frais de justice payés sur le budget de la Justice, sur lesquels porte exclusivement notre enquête, émanent à 60 % de prescriptions d'officiers de police judiciaire. Quelques frais de police scientifique et technique sont pris en charge par le programme 176 Police nationale et le programme 152 Gendarmerie nationale. Ils ne subissent donc pas les particularismes du régime des frais de justice que je viens d'évoquer, les préservant ainsi d'une contagion malheureuse.
L'annulation des autorisations d'engagement à hauteur de 140 millions d'euros est-elle une mesure technique ? Jusqu'à présent, le budget prévoyait des engagements globaux complètement approximatifs, sans lien établi avec des mémoires de frais. Pour mettre de l'ordre, il a été décidé de supprimer les 140 millions d'engagements correspondant au flux 3 parce qu'on ne savait pas les rattacher. Ce n'est évidemment pas un progrès.
Parce qu'il ne parvient pas à suivre les engagements, le ministère, au lieu de tenir une comptabilité d'engagement, adopte une gestion en flux 4, qui implique que l'engagement et le paiement sont concomitants. Dans un tel système, dès lors que le suivi en amont des engagements ne peut pas être assuré, ceux-ci ne sont plus considérés comme engagements, ce qui ne contribue pas à dissiper l'opacité. L'argument de la mesure technique me semble se heurter à la réalité que nous décrivons dans le rapport.
Madame Louwagie, je ne suis pas en mesure de vous répondre précisément sur le stock de créances anciennes – on ne peut pas calculer le stock en soustrayant les paiements au montant total des engagements, comme le veut la LOLF. La Cour estime cependant que ce stock représente au bas mot la moitié des dépenses de frais de justice, qui s'élèvent à 500 millions d'euros par an. Comme l'a dit l'un d'entre vous, cela revient à pousser une boule de neige devant soi : l'acquittement des dépenses du stock empêche de payer les frais de justice de l'année en cours. Dans certaines juridictions, près de 60 % des frais payés en 2014 le sont au titre de mémoires très anciens, avec pour conséquence de laisser la dette de l'année continuer de s'accumuler.
Quant au risque de double paiement, il est évalué par le ministère de la Justice à 15 millions d'euros environ. Pour en savoir plus, il faudrait, tel un bénédictin, aller de juridiction en juridiction et vérifier chaque dossier.
Les délais s'additionnent, depuis la réalisation de la prestation jusqu'à la présentation du mémoire – que certaines entreprises choisissent de retarder en connaissance de cause –, puis l'enregistrement de ce dernier ou son oubli dans un tiroir pendant de nombreuses années. Il faut absolument mettre en place un régime de prescription des mémoires de frais de justice plus rigoureux pour éviter le paiement en 2014 de frais datant de 2006.
Les frais de justice recouvrables aujourd'hui relèvent principalement des procédures civiles. Le fonctionnement actuel ne permet pas de connaître le taux de recouvrement. Certaines juridictions ont pris des initiatives pour améliorer le suivi du recouvrement, mais le système n'est guère gratifiant pour les chefs de juridiction puisque les frais récupérés alimentent les recettes du budget général de l'État. Nous pensons qu'il y a, en la matière, une marge de progression à exploiter. Nous ne proposons pas de mettre en place un mécanisme de rétablissement de crédits au bénéfice de chaque juridiction, mais de réfléchir à un mécanisme d'incitation.
S'agissant de la mise en recouvrement des frais de justice pénale, un autre système que celui que nous connaissons peut être envisagé pour lutter contre l'inflation des frais. Sans aller jusqu'à une justice à l'anglo-saxonne, la partie déboutée pourrait être mise à contribution sur décision du juge.