Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du 18 novembre 2014 à 17h15
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

Madame la présidente, chers collègues, ce projet de loi est effectivement essentiel : il faut sauver le droit d'asile, dont tous les acteurs sont aujourd'hui à bout. L'Europe menace de sanctionner la France si nous n'apportons pas de réponses plus efficaces et plus rapides aux demandeurs d'asile.

Cet épuisement est le résultat d'un phénomène constaté dans tous les pays européens, mais que nous n'avons pas su traiter de façon adéquate au cours de la dernière décennie : la très forte augmentation, année après année, de la demande d'asile. Nous avons connu d'autres moments de forte hausse, mais cela ne durait souvent que peu. Or, ces dernières années, l'accroissement est continu : la demande de protection internationale s'est ainsi accrue de 85 % entre 2007 et 2013.

Notre système est à bout de souffle : les délais de réponse sont très excessifs – jusqu'à deux ans ! Or le statut de réfugié politique n'est accordé que dans 20 % des cas. Ces seuls chiffres posent problème : cette procédure n'est-elle pas dévoyée par certains demandeurs ?

Les coûts sont également très excessifs : les places d'hébergement sont complètement saturées, ce qui a conduit à multiplier les dispositifs d'urgence – comme les nuitées d'hôtel – tous plus coûteux les uns que les autres.

Les suites données aux dossiers sont insatisfaisantes : les réfugiés ont attendu deux ans pendant lesquels ils n'avaient pas accès à l'emploi, mais même une fois le statut de réfugié obtenu, l'organisation n'est pas bonne ; l'hébergement et l'accès à l'emploi demeurent des questions difficiles. Leur renaissance, dans un pays où ils sont enfin protégés, ne se fait donc pas dans les conditions que l'on pourrait souhaiter.

Quant à ceux qui sont déboutés, ils multiplient les recours et invoquent souvent des questions sanitaires ; et, au bout de quatre ans, on réalise qu'il est difficile de les raccompagner dans leur pays d'origine car ils se sont peu à peu implantés en France. Ce sont des problèmes sans issue : ils restent définitivement sans papiers, dans des hébergements de fortune et sans accès à un travail légal. Rien de cela n'est satisfaisant.

La France s'enorgueillit à juste titre d'avoir été – depuis la Révolution – l'un des premiers pays à porter haut cette tradition, cette valeur humaniste de l'accueil des personnes menacées. Ce principe est repris dans le préambule de la Constitution de 1946, qui dispose que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République ». Il est renforcé par nos engagements internationaux, notamment la Convention de Genève du 28 juillet 1951, comme par nos engagements européens : le « paquet asile » de directives adoptées le 26 juin 2013 en représente la dernière traduction juridique.

Pour des raisons de justice et d'efficacité, pour protéger efficacement ceux qui cherchent légitimement asile dans notre pays, ce qui implique de mieux distinguer asile, immigration économique, aide sanitaire – questions différentes qui ne peuvent pas être traitées par le même dispositif –, nous avons le devoir de réformer notre dispositif d'asile. Nous devrions ainsi mettre, progressivement, un terme aux dérives graves que nous connaissons aujourd'hui.

Nous connaissons aujourd'hui un afflux massif de personnes qui souhaitent immigrer dans notre pays pour des raisons économiques, et qui espèrent – à tort ou à raison – que le dispositif du droit d'asile leur offrira des conditions plus enviables que celles réservées aux simples immigrants économiques. De même, certaines personnes malades passent par le droit d'asile au lieu de s'intégrer au dispositif des « étrangers malades » qui, au regard de l'urgence, de la pathologie, des possibilités de soins dans le pays d'origine, autorise l'accueil d'une personne malade.

Le dispositif de l'asile se trouve ainsi encombré, ce qui est préjudiciable aux personnes menacées dans leur pays, et donc authentiques demandeurs de la protection.

Les chiffres montrent d'ailleurs que la France reçoit des ressortissants de pays divers, mais pas principalement des pays où les menaces sont les plus grandes : nous recevons un nombre légèrement croissant, mais toujours faible, de Syriens et d'Afghans ; en revanche, nous recevons un nombre très considérable de personnes venues d'Europe de l'Est, de Russie, de Chine… Les menaces que font peser sur leurs citoyens les régimes politiques en place dans ces différents pays ne sont pas du tout les mêmes. Certains demandeurs d'asile sont donc plutôt victimes d'une mauvaise orientation. Il est légitime que leur dossier soit étudié sereinement et complètement ; mais cela ne doit pas se faire au détriment des personnes qui ont vocation à devenir réfugiées politiques. Or cet afflux de demandes de toutes natures empêche notre procédure actuelle de distinguer les authentiques demandeurs d'asile.

Le délai pour aboutir à une décision est, je l'ai dit, très long : deux ans, quelquefois plus même en cas de recours supplémentaire. Une telle situation est mauvaise pour tous, ceux qui sont acceptés comme ceux qui sont déboutés – s'il faut éloigner une personne de notre territoire, il vaut mieux que cela soit fait avant qu'elle ne soit insérée. Une décision rapide est donc préférable à tous égards.

De plus, de tels délais impliquent que les gens demeurent dans nos dispositifs d'hébergement pour des périodes très longues. Si nous parvenons à tenir un délai de réponse de neuf mois, alors les places en CADA (centre d'accueil de demandeurs d'asile) pourront accueillir plus de deux fois plus de personnes, puisque la rotation sera grandement accélérée.

Il faut aussi noter que les demandeurs d'asile se concentrent pour l'essentiel dans un très petit nombre de régions. La moitié d'entre eux sont en Île-de-France et en région Rhône-Alpes : c'est plus que ces deux régions ne peuvent accueillir ; tous les dispositifs sont saturés, et les agents ne savent plus où donner de la tête. Cela diminue les chances des demandeurs d'asile, dont le dossier ne peut pas être examiné avec la sérénité souhaitable. L'un des objectifs du projet de loi est donc une meilleure répartition des demandeurs d'asile sur le territoire. Cela implique d'être quelque peu directif : il n'est pas acceptable que, s'il existe des places dans un centre d'hébergement dans une région, les demandeurs d'asile ne soient pas orientés vers ces places-là. Il est souhaitable que la grande majorité des demandeurs soient accueillis dans les centres d'hébergement dédiés : ceux-ci proposent en effet aussi une aide sanitaire, sociale, administrative, avec notamment des interprètes. Les agents aident les demandeurs à constituer leur dossier et les préparent pour leur audition devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ou la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Il n'est bien sûr pas question d'interdire à qui que ce soit d'habiter hors de ces centres, par exemple lorsque quelqu'un a de la famille en France : mais il est alors naturel que l'accès aux moyens d'accompagnement ne soit pas aussi complet. Il n'est pas possible d'organiser dans toutes les villes de notre pays l'équivalent de ce qui peut être efficacement concentré dans des centres spécialisés.

Ces objectifs sont, vous le voyez, multiples : rendre la procédure plus équitable et plus efficace, faire mieux valoir les droits des demandeurs d'asile, mieux répartir les demandeurs d'asile sur le territoire…

Nous examinons ici les articles 15 à 17 du projet de loi, qui portent principalement sur les conditions d'hébergement, sur les conditions d'attribution de l'allocation et sur la vulnérabilité des personnes qui demandent l'asile.

Changer les conditions d'hébergement, c'est d'abord favoriser les CADA et accroître progressivement le nombre de places qu'ils proposent, jusqu'à ce qu'il soit suffisant ; c'est aussi réduire la durée de séjour dans les CADA – par des décisions plus rapides, mais aussi en rendant effective la libération de la place dès la décision rendue. Il n'est pas normal que des déboutés du droit d'asile continuent d'occuper une place dans un CADA : cette occupation indue prive un demandeur d'asile de l'aide et de l'accompagnement dont il a besoin. Attention, je n'ai pas dit qu'il ne fallait pas aider les déboutés à trouver un autre hébergement, au contraire ! Mais il faut éviter les solutions développées dans l'urgence, inefficaces, mal maîtrisées, et dont le coût est exorbitant.

Un lieu d'hébergement sera, je l'ai dit, proposé de façon quelque peu directive, ce qui ne me semble pas choquant : les endroits vers lesquels seront dirigés les demandeurs sont ceux qui leur permettront d'avoir les plus grandes chances d'obtenir une réponse positive, s'ils la méritent, puis de s'insérer au mieux dans notre société. Nous agissons là dans l'intérêt des demandeurs d'asile eux-mêmes. La plupart des pays européens adoptent cette attitude : en Allemagne, par exemple, ils sont assignés à résidence dans un Land, qu'ils n'ont pas le droit de quitter pendant le temps de l'examen de leur dossier. Nous ne proposons rien de tel : les demandeurs d'asile restent libres de leurs mouvements, même s'ils doivent pouvoir en permanence être convoqués à partir de leur centre d'attache, pour éviter toute perte de temps.

Se pose également la question de la vulnérabilité, devenue plus aiguë avec le temps. Les conditions de son examen vont enfin être formalisées, comme nous y incitent les directives européennes. Les demandeurs d'asile étaient autrefois le plus souvent des hommes seuls, qui venaient de pays en guerre ; aujourd'hui, de plus en plus, ce sont des familles avec des enfants, des mineurs isolés ou des femmes seules qui ont subi des violences et savent qu'elles peuvent faire valoir leurs droits dans notre pays. Il faut tenir compte de la vulnérabilité particulière de ces personnes : pour cela, il faut identifier les problèmes et proposer une aide spécifique.

Enfin, le projet de loi instaure une allocation unique, qui prend en considération la charge de la famille : aujourd'hui, une personne seule perçoit la même allocation qu'une personne isolée avec trois enfants. C'est injuste, vous me l'accorderez : les besoins ne sont évidemment pas les mêmes. Cette nouvelle allocation devra permettre que chacun ait des conditions de vie décentes pendant le temps de l'examen du dossier de demande d'asile.

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