Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du 18 novembre 2014 à 17h15
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

Merci beaucoup, chers collègues, pour votre intérêt et vos interventions constructives.

La France n'est effectivement pas le pays le plus sollicité : d'autres zones du monde font face à des situations beaucoup plus angoissantes. Cela nous oblige plus encore à honorer notre tradition et à nous donner les moyens d'accueillir dignement ceux qui nous demandent l'asile et de leur apporter une réponse dans des délais décents.

Je n'accuse personne de la situation actuelle. Peu à peu s'est installé un affrontement entre ceux qui insistent sur les droits, les procédures, les recours, et ceux qui souhaitent appliquer les règles de façon stricte. Le pilotage politique des uns et des autres a été déficient.

C'est pourquoi nous voulons repartir sur des bases nouvelles, en donnant toute leur chance aux demandeurs d'asile, et même en leur offrant des droits supplémentaires. Mais ces droits s'accompagnent de certains devoirs – se soumettre, par exemple, aux propositions de localisation, se rendre aux convocations, accepter les conséquences des décisions de l'OFPRA, de la CNDA et des éventuelles instances de recours.

Par rapport à d'autres pays européens, nous n'avons pas à rougir ; mais nous pouvons regretter notre manque de rigueur et d'efficacité, et donc finalement les insuffisances de la protection accordée à ceux qui rencontrent les plus grandes difficultés.

La comparaison européenne, que nous avons réalisée au cours de la concertation préalable qui a abouti au rapport que j'ai rédigé avec Valérie Létard, a bien démontré qu'aucun pays européen n'avait trouvé la solution idéale. Nulle part n'a encore été atteint un équilibre parfait entre laxisme et autoritarisme.

Les modalités sont, bon an mal an, assez comparables. Toutefois peu de pays sont obligés d'avoir recours à des solutions de fortune en quantité aussi importante que nous. La plupart du temps, les demandeurs sont principalement accueillis dans des centres où les personnes sont conduites de façon directive, avec parfois une limitation de leurs déplacements, afin qu'ils soient disponibles pour l'administration pendant le temps de la procédure.

Certains pays ont des délais d'examen des dossiers beaucoup plus brefs que nous, et c'est la raison pour laquelle l'Europe recommande un délai de neuf mois, qui peut être tenu, même en préservant tous les recours.

Les allocations sont évidemment variables ; la comparaison n'est pas aisée, car elles recouvrent des choses différentes : selon les pays, elles peuvent ainsi couvrir ou pas l'alimentation et les besoins usuels, prendre en considération ou pas les charges de famille… la France se situe plutôt dans la moyenne : sans être la plus généreuse, elle n'est pas non plus la plus pingre.

Partout, la question des personnes déboutées constitue un vrai problème. Tous les pays européens sont confrontés aux mêmes difficultés : une partie des déboutés demande un retour volontaire ; une autre partie se laisse convaincre et accepte un retour accompagné ; mais un nombre important de gens reste, sans papiers, dans le pays où ils ont effectué leurs démarches. Il faut donc ici faire preuve d'imagination : nous ne disposons d'aucun modèle prêt à appliquer.

La procédure « Dublin » prévoit que la demande d'asile est traitée dans le pays par lequel le demandeur est entré en Europe, même s'il change de pays. Les moyens d'identification actuels le permettent. Certes, elle est imparfaite et demandera à être perfectionnée. Certains pays sont beaucoup plus exposés que d'autres, en raison de leur situation géographique : l'Italie est aujourd'hui submergée, et essaye de ne pas enregistrer les demandes d'asile pour diriger les personnes vers d'autres pays… La France connaît une situation globalement équilibrée entre les demandeurs qui nous reviennent et ceux que nous renvoyons dans d'autres pays. Nous respectons donc nos engagements.

La familialisation de l'allocation fait, je crois, consensus parmi nous. Il faut prendre en considération la demande familiale dans son ensemble, sans laisser de côté les enfants.

L'allocation sera en effet fixée par décret. Certes, cela crée une incertitude ; mais l'évolution dans le temps sera aussi plus facile. Cela me paraît donc la moins mauvaise formule possible. Nous vous tiendrons informés des propositions précises du Gouvernement sur ce futur décret.

L'hébergement directif sera-t-il efficace ? Je l'espère sincèrement. Cette volonté a été partagée par tous lors de la concertation, ce qui m'a surpris : nous avons eu l'accord des collectivités locales, des maires notamment, mais aussi des pouvoirs publics – il reviendra aux préfets de piloter et d'organiser la répartition – et même de la plupart des associations, dont il faut souligner qu'elles sont beaucoup plus impliquées dans notre procédure d'asile qu'elles ne le sont dans d'autres pays. Il est donc essentiel, je le souligne ici, que les associations s'approprient ce projet de réforme. Il sera possible de se soustraire à cet hébergement, mais les demandeurs perdront alors certaines prérogatives.

Certes, certaines zones demeureront sous tension : l'Île-de-France, Calais en sont des exemples. Mais nous devrions néanmoins voir décroître les déséquilibres dans des proportions importantes.

Vous posez la question du budget. Bien sûr, l'augmentation du nombre de place en CADA a un coût, et il faudrait aussi davantage d'agents à l'OFPRA, à l'OFII, voire à la CNDA. Nul n'ignore que nous ne pouvons pas nous montrer dispendieux : nous espérons donc compenser ces dépenses par les économies que permettra le raccourcissement de la procédure – qui est, comme on le voit, vital.

La vulnérabilité, vous avez raison, n'est pas définie par les textes européens, et pas davantage par le projet de loi. Les détails se trouveront donc dans les décrets. La compréhension de la vulnérabilité peut évoluer avec le temps – ainsi, on a davantage conscience aujourd'hui de la gravité extrême des mutilations sexuelles – et le renvoi au décret permettra d'éviter d'avoir à réécrire la loi sous peu, lorsque d'autres vulnérabilités apparaîtront.

Les procédures accélérées ne sont pas examinées dans la précipitation, le travail n'est pas bâclé ; cette formule signifie simplement que les éléments à disposition ne permettent pas d'imaginer qu'il soit nécessaire d'ajouter des pièces au dossier. Certains demandeurs sont acceptés après une procédure accélérée : celle-ci ne constitue donc pas une forme de refus anticipé, mais un moyen de ne pas encombrer nos structures lorsqu'il est possible d'arriver à une décision rapide.

Les CADA débordent, et il est nécessaire, nous en avons tous conscience, d'accroître le nombre de places offertes. En revanche, leur variété ne doit pas être accrue, me semble-t-il. En cherchant à assouplir notre dispositif, nous irions à l'encontre de notre but, qui est avant tout d'être en mesure de donner une réponse rapide à la demande formulée. Si les personnes peuvent être accompagnées là où elles sont logées, et notamment si un interprète est présent, nous y arriverons. Si nous essayons de satisfaire chaque personne de façon laxiste, nous n'y arriverons pas. Cette petite contrainte me paraît très acceptable si elle dure peu : neuf mois ne paraissent pas trop longs – il s'agit tout de même de gens qui veulent entièrement refaire leur vie, dans un nouveau lieu, parce qu'ils sont menacés dans leur propre pays.

Pour fixer l'orientation vers telle ou telle ville, il sera essentiel – le projet de loi l'indique – de prendre en considération l'ensemble des besoins d'une famille. Il y a des besoins familiaux – s'il y a des enfants en bas âge, le CADA doit être proche d'une école. Il y a des besoins sanitaires – proximité d'un hôpital par exemple. Mais il peut aussi exister des difficultés fortes d'insertion, et il ne faut pas multiplier dans un même lieu le nombre de personnes difficiles. Il peut encore exister des conflits ethniques, auxquels il faut prêter attention. Certains doivent être protégés pendant leur séjour en CADA, et certains ne peuvent même pas séjourner en CADA, car il existe des mafias internationales qui en veulent à leur vie. Tous ces impératifs entrent en ligne de compte.

J'en viens à la question de l'évolution dans le temps. Certaines personnes favorisées, qui disposent de moyens financiers et qui avaient une bonne situation dans leur pays, auront des facilités pour s'insérer ; mais, sans travail, sans aide, elles peuvent se trouver rapidement dans des situations de grande précarité. Cela pourra amener à reconsidérer leur hébergement et leur allocation. Mais si nous maintenons le cap des neuf mois, le nombre de cas difficiles devrait diminuer.

Je conclus en vous remerciant à nouveau de ces échanges enrichissants. Nous croyons tous ici au renforcement des droits fondamentaux des demandeurs d'asile, tout en donnant à notre pays les moyens de pérenniser son action. Pour cela, l'asile ne doit pas être confondu avec d'autres voies possibles d'immigration. Notre ambition est de redonner du lustre aux valeurs généreuses de la République. Cette réforme devrait permettre d'accueillir ceux qui le méritent dans les conditions les plus dignes. La France doit redevenir un modèle.

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