Intervention de Pierre Victor Tournier

Réunion du 13 novembre 2014 à 14h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Pierre Victor Tournier, directeur de recherches au CNRS :

La question qui vous intéresse me préoccupe depuis quelques années, puisque je l'ai découverte en février 1979, au moment de mon recrutement par l'administration pénitentiaire.

J'interviens ici en tant que chercheur fonctionnaire d'État et avec grand plaisir. Je suis souvent intervenu devant cette commission et j'ai eu le privilège appréciable, pour un chercheur dont la priorité est d'informer les pouvoirs publics et en particulier le Parlement, d'être écouté et même, parfois, entendu sur des points importants.

J'ai beaucoup écrit sur le sujet. Mes trois livres les plus récents l'abordent de façon approfondie ; ils ont été mis à la disposition de la présidence de la Commission et de certains députés ici présents.

Vous allez entendre tout l'après-midi des données chiffrées, et il serait paradoxal que je ne vous en livre pas moi-même quelques-unes, étant donné que c'est mon métier – j'ai une formation mathématique –, d'autant que les données que je vous présenterai ne sont pas nécessairement celles qu'on va vous livrer. C'est en effet aussi mon métier que d'aborder différemment une administration qui a la responsabilité de gérer les choses.

Je suis un chercheur engagé. Je n'appartiens à aucun parti politique, mais je suis président de l'association « DES Maintenant en Europe », organisation ouvertement politique puisqu'elle s'affirme social-démocrate au sens européen du terme. Au-delà de l'analyse scientifique stricto sensu, mon propos s'appuiera principalement sur la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et en particulier sur son article 3 qui interdit la torture, les traitements inhumains ou dégradants.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je préciserai la philosophie qui sous-tend mes travaux depuis des années. Christiane Taubira l'a dit à La Rochelle : « Je crois à la vertu de la prison républicaine. » Eh bien, après des années passées à avoir étudié ces questions, moi aussi je crois à la vertu de la prison républicaine. Je ne suis pas favorable à l'abolition des courtes peines – je crois donc à leur vertu – ; et je ne crois plus à la nécessité d'abolir la peine perpétuelle, c'est-à-dire que je crois à la vertu de la réclusion criminelle à perpétuité dans certaines conditions, et, à ce titre, je me félicite de la décision annoncée ce matin par la Cour européenne des droits de l'homme.

Ensuite, face à la surpopulation des prisons, traditionnellement, deux positions idéologiques s'affrontent : une partie de la droite réclame plus de places en prison ; une partie de la gauche exige quant à elle qu'il y ait moins de détenus. Pour reprendre à nouveau une expression de Christiane Taubira, je suis opposé à toute démarche de type binaire – comme le veut d'ailleurs mon métier de scientifique. Ma position est donc la suivante : il faut diminuer le nombre de détenus, mais pas n'importe comment, c'est-à-dire à sécurité égale, voire à sécurité supérieure , il faut également construire de nouvelles prisons, mais, une fois encore, pas dans n'importe quelles conditions.

Mon livre La question pénale au fil de l'actualité, publié il y a un mois, reproduit mon article du 31 juillet 2011 paru sur le site leplus.nouvelobs.com. C'était à l'occasion de cette fameuse affaire provoquée par le procureur de la République de Dunkerque, et ma chronique s'intitulait : « La tentative d'un procureur pour limiter la surpopulation carcérale – Une décision de bon sens ? », question à laquelle je répondais par l'affirmative. Ledit procureur avait décidé de repousser de quelques semaines le placement sous écrou d'un certain nombre de condamnés laissés libres, dont la peine était en attente de mise à exécution. Il avait précisé que ces écrous différés ne concernaient pas les auteurs de violences sexuelles ni d'autres violences commises en état de récidive légale. Je concluais ainsi : « Quand sera-t-il possible d'avoir un véritable débat public sur la mise en place du numerus clausus pénitentiaire, l'application, sans plus attendre, de l'encellulement individuel, l'organisation de la détention en espace individuel pour (la nuit) et espace collectif (le jour), la définition d'un optimum de capacité du parc pénitentiaire prenant en compte et les besoins de la société – car on ne peut pas se passer de la prison – et les moyens financiers – forts limités – dont dispose la Nation ? » Cette notion d'optimum de capacité du parc pénitentiaire m'a été « soufflée » par l'un de mes maîtres, Alfred Sauvy, qui a beaucoup écrit sur ce que pourrait être un optimum de la population d'un pays. Il faudra bien, entre modérés – à savoir ceux qui ne se posent pas la question de la nécessité de la prison en République –, lancer une réflexion complexe sur cette notion d'optimum.

Ma démarche est donc scientifique et s'accompagne d'un engagement politique de nature modérée et réformiste. Je résous ainsi les problèmes posés par Max Weber sur la contradiction entre un engagement politique et une démarche scientifique. Mes idées sont modérées, mais ceux qui me connaissent savent que leur formulation peut ne pas l'être : nous avons une multitude de raisons de nous révolter. Cette révolte ne doit toutefois pas conduire à la radicalité, mais au contraire à la recherche de la modération et de ce que le regretté président Edgar Faure appelait des majorités d'idées – à savoir des consensus « durs » et non de faux consensus.

Je ne reçois plus, depuis de nombreuses années, d'informations de la part de l'administration pénitentiaire. Je dispose comme nos concitoyens des données délivrées par internet – exception faite d'une information que j'ai reçue ce matin et dont je vous ferai part tout à l'heure. Au 1er octobre 2014 – l'administration pénitentiaire met tout de même quinze jours pour publier ses chiffres – on comptait 77 739 personnes sous écrou, dont 66 494 étaient détenues. Il y en a eu davantage il y a quelque temps.

Premier point : sauf erreur de ma part, je n'ai jamais vu, dans les publications de la Chancellerie, le chiffre que je vais vous donner, à savoir le nombre de places opérationnelles inoccupées, qui s'élevait à 3 724 – et ce chiffre a pu dépasser 4 000 places par le passé – alors que, paradoxalement, il y a bien surpopulation carcérale. Cela représente environ 6 % du total, ce qui n'est pas négligeable, et l'on comprend pourquoi l'administration n'en parle pas et les médias non plus. Il faudrait que la Commission s'interroge sur cette donnée.

Au moins quatre raisons expliquent ce phénomène. D'abord, quand vous mettez en service un établissement, il est évident qu'il ne sera pas complet dès l'instant où l'on aura coupé le ruban le jour de l'inauguration. Ensuite, petit à petit, le nombre de places inoccupées diminuant, est-on assuré de disposer du personnel suffisant ? Certaines parties de ces établissements restent-elles inoccupées faute de personnel ? Troisième raison : dans tel endroit, pour telle maison d'arrêt, il se peut que l'offre soit supérieure à la demande. Enfin, l'existence de ces places inoccupées peut s'expliquer par un dysfonctionnement dans l'affectation des prévenus ou des condamnés à tel ou tel établissement. Je n'ai jamais rien lu de la part de l'administration pénitentiaire sur le sujet. Du reste, la situation est tout à fait différente entre les établissements pour peine et les maisons d'arrêt, les premières étant soumises à un numerus clausus parfois dépassé : les centres de semi-liberté de la région parisienne sont surpeuplés, tout comme certains de ces établissements outre-mer.

En centre de détention et en maison centrale, 10 % des places sont inoccupées. Est-ce raisonnable ? Dans les autres établissements pour peine, une place sur trois reste inoccupée ! Quelle en est la raison ? Dans les maisons d'arrêt, le taux est de 3 %. J'ignore si l'administration pénitentiaire dispose de ces données.

En outre, la proportion des places inoccupées varie considérablement d'une direction interrégionale à l'autre. Je n'ai pas étudié le sujet, aussi ne pourrai-je pas vous en dire davantage. Quand on tient compte du fait que, selon les directions interrégionales, la répartition est différente selon le type d'établissement, on retrouve, lorsque l'on se limite aux établissements pour peine, des écarts importants. Cette différence d'ordre spatial dans la part des places inoccupées varie indépendamment du premier facteur.

Si l'on devait établir un état des lieux – et il serait grand temps –, le premier sujet à aborder serait ces 3 000 à 4 000 places inoccupées. J'ai été amené à m'y intéresser quand j'ai proposé l'indicateur qui me paraît le plus précis pour mesurer la surpopulation des prisons : les fameux détenus en surnombre, que l'administration pénitentiaire ne calcule pas, mais dont les médias font état. Le Monde d'hier cite un chiffre erroné à ce sujet – une coquille –, estimant ce chiffre à 2 164 alors qu'il est de 12 164. Le nombre de détenus en surnombre comprend les détenus en surpopulation apparente, majoré du nombre de places inoccupées.

Ainsi, second point, nous avons 58 054 places opérationnelles, dont 3 724 sont inoccupées, soit 54 330 places dans lesquelles les détenus vont s'installer. L'écart avec le nombre réel de détenus est de 12 164. Selon les critères retenus, ce sont 12 164 détenus de trop, ou bien 12 164 places qui manquent. Selon moi, il s'agit de détenus en surnombre.

L'administration pénitentiaire donne le nombre de places opérationnelles, celui des détenus, mais ne fait pas la soustraction. Selon les médias qui, eux, la font, la surpopulation apparente est de 8 000 détenus – au lieu de 12 000, donc, selon mon calcul, différence qui n'est pas mince, d'autant que nous n'en sommes pas, aujourd'hui, à un maximum de surpopulation : il est arrivé, il n'y a pas très longtemps, qu'on atteigne le chiffre de 16 000.

Le dernier tableau du document jaune que je vous ai distribué offre une vision bien précise de la surpopulation en maison d'arrêt, en établissement pour peine, en métropole comme outre mer. Les détenus en surnombre se trouvent essentiellement dans les maisons d'arrêt – pour 12 000 d'entre eux – et dans une bien moindre mesure – puisqu'ils ne sont que 364 – dans les établissements pour peine, eux aussi concernés néanmoins par ce phénomène, contrairement à ce que l'on peut entendre ici ou là.

Troisièmement, j'établis mon calcul en m'appuyant sur la définition que donne l'administration pénitentiaire d'une place de prison, et qui date de la circulaire du 3 mars 1988. Jean-Pierre Dintilhac, très grand haut magistrat dont je salue la mémoire et avec qui j'ai eu l'honneur de travailler pendant plusieurs années, constatant l'absence d'une telle définition – vide laissant au chef d'établissement la possibilité de fixer lui-même le nombre de places –, a demandé à ses services de proposer une définition. Si l'on s'en tient à la définition de la circulaire, où situer les cellules de 14 mètres carrés ? Comptent-elles pour deux ou trois places ? Selon les situations, les détenus bénéficient de 10 mètres carrés et dans d'autres cas de 4,7 mètres carrés – plus du simple au double ! Cette circulaire a certes le mérite d'exister mais, ce qui est extraordinaire, c'est que, depuis plus de vingt-cinq ans, aucun garde des Sceaux, de gauche comme de droite, n'a ressenti le besoin de faire travailler son administration sur cette question centrale. Si le travail de la Commission peut contribuer à lancer ce chantier – savoir ce qu'est une place en se référant aux règles pénitentiaires européennes – ce serait un très grand progrès.

Plus grave encore est la divergence des données quand on se réfère à deux rapports que pourtant je considère comme fondamentaux – j'aurais rêvé qu'en janvier 2013 l'ensemble des participants au débat prennent en compte ces deux documents. L'un est signé d'un sénateur UMP et d'une sénatrice communiste ; l'autre d'un parlementaire socialiste – cette diversité aurait permis de construire une majorité d'idées au sens où l'entendait Edgar Faure. Ces deux rapports n'ont pas été lus attentivement par beaucoup. D'après le rapport sénatorial, page 52, on comptait 48 811 places individuelles ; quant au rapport de l'Assemblée, il aboutissait, après différents calculs, au chiffre de 40 867. Nous nous trouvons donc en présence d'une circulaire problématique, car inutilisable faute de définitions opérationnelles, et reposant sur des données publiques insatisfaisantes.

Le Conseil de l'Europe, auprès duquel j'ai travaillé pendant vingt ans, a renoncé à définir ce qu'est une place de prison. Reste que plusieurs textes recommandent l'encellulement individuel la nuit, et permettent d'établir une référence comprise entre 9 et 10 mètres carrés par cellule. En retenant ce critère, je parviens au chiffre de 31 000 cellules individuelles. Je retranche de ce calcul, bien évidemment, les 34 cellules individuelles de moins de 5 mètres carrés, mentionnées dans son rapport par Dominique Raimbourg.

J'ai appris hier, sous le sceau du secret, que l'administration pénitentiaire avait dressé un état des lieux au 28 octobre 2014 – il n'est jamais trop tard pour bien faire. J'ai su ce matin, par le cabinet de la garde des Sceaux, que l'on devait transmettre à votre Commission les résultats de cette enquête selon laquelle il y aurait 26 341 détenus seuls en cellules. Un chiffre isolé n'ayant pas de signification, il convient de préciser que près de 40 000 détenus sont en situation de demander à bénéficier d'une cellule individuelle. Au 1er octobre 2014, 21 773 détenus étaient dans des établissements pour peine où, en général, l'encellulement individuel est la réalité. Si l'on fait la soustraction, on compte donc 4 568 détenus seuls en cellule dans les maisons d'arrêt, sauf exceptions comme dans les centres de semi-liberté.

Je vous rappelle pour mémoire qu'il y a 17 000 prévenus, et qu'un prévenu est présumé innocent ; or le traitement que lui fait subir l'administration pénitentiaire est souvent plus lourd que celui des condamnés. Est-ce bien raisonnable ? Dans certains pays, ces deux populations sont systématiquement séparées. Je n'affirme rien, mais je pose la question suivante : l'encellulement individuel ne devrait-il pas prioritairement bénéficier à ces 17 000 prévenus ? Certains sont en détention alors qu'ils n'ont rien fait et seront déclarés innocents au terme d'un processus contradictoire. C'est leur faire courir un risque considérable. Si 4 568 prévenus sont seuls en cellule dans les maisons d'arrêt, pensons aux 12 000 prévenus restants. Dernier chiffre : dans les maisons d'arrêt, prévenus comme condamnés bénéficient pour 10 % d'entre eux seulement d'un encellulement individuel.

Quatrième point, la question de l'encellulement individuel ne peut être posée indépendamment de celle de l'organisation de la détention, thème totalement absent des débats parlementaires de 2009. Laisser dans une cellule individuelle une personne qui va y rester vingt-deux heures sur vingt-quatre sans rien avoir à faire peut être considéré comme un traitement dégradant – la plupart d'entre nous ne le supporteraient pas. On a eu tendance à considérer – ce fut le cas de Mme Dati – que, pour les occuper, il n'y avait qu'à les mettre à plusieurs par cellule, ce qui présenterait en outre l'avantage de prévenir le suicide. On avance aussi l'argument selon lequel certains détenus demandent à n'être pas seuls ; or c'est à la représentation nationale de définir la sanction pénale.

Les règles pénitentiaires européennes, dans leur ensemble, disposent que le respect de la dignité d'un détenu – et c'est ce qui justifie la prison en République – dépend de son encellulement individuel la nuit et, sauf exceptions, de sa participation, le jour, dans des lieux adéquats, à des activités diverses, pourvues de sens, et fortement encadrées car la prison n'est pas le Club Méditerranée. Il faut se souvenir que la très grande majorité des détenus le sont pour des atteintes directes ou indirectes aux personnes, ce qui n'était pas du tout le cas en 1975 quand Michel Foucault a publié Surveiller et punir. La majorité des détenus ont un rapport au corps de l'autre que la plupart de nos concitoyens, Dieu merci, n'ont pas. L'espace carcéral est donc très difficile à organiser, d'où la nécessité de disposer d'espaces adaptés et d'un encadrement à même d'assurer le fonctionnement de ces lieux d'activités, de socialisation, de responsabilisation. Vous avez repris, sur ce dernier point, dans la loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, et en les reformulant, un certain nombre de dispositions de la loi de 2009. Il est d'ailleurs intéressant de noter qu'en 2009 la gauche n'était pas favorable à la responsabilisation, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui ; il y a donc de toute évidence une majorité d'idées, dépassant les clivages politiques, pour estimer que l'objectif de la peine est de préparer ces condamnés à une vie responsable. Eh bien, cette idée, j'y insiste, repose sur cette organisation d'encellulement individuel nocturne et d'activités diurnes dans des lieux de sociabilité.

Évidemment, cela coûte très cher. Je ne connais pas de maison d'arrêt qui fonctionne ainsi, contrairement, pour l'essentiel, aux établissements pour peine. Je souhaite qu'on réfléchisse à ce schéma, que cette question soit au centre de vos préoccupations. Si les personnes sortent le matin de leur cellule individuelle et exercent des activités communes pourvues de sens, je ne connais pas de meilleure protection contre le suicide – les surveillants vont pouvoir les observer et repérer ceux qui ne vont pas très bien –, contre la violence – une grande partie des violences entre détenus ont lieu en cellule –, mais aussi contre l'oisiveté. C'est donc la meilleure façon de préparer à la réinsertion et, j'y insiste, à une vie responsable.

Bien sûr, je ne suis pas à votre place, mais le fruit de vos réflexions ne devrait pas être très différent de l'idée de bon sens que je viens d'exposer.

Est-ce à vous de reconnaître que l'échéance du 25 novembre 2014 n'a techniquement été préparée ni par la droite ni par la gauche ? Nous avions cinq ans, la continuité républicaine devant en l'occurrence l'emporter sur les alternances politiques. Or, autant le reconnaître, la question n'a été préparée, techniquement, ni par les uns ni par les autres. Dans cette situation, le moratoire doit évidemment être prolongé. L'idée d'une prorogation de trois ans, avancée notamment par certains députés écologistes, me choque : l'échéance tomberait ainsi en novembre 2017, à savoir après un événement majeur, l'élection présidentielle. Aussi semble-t-il plus sérieux de proposer une prolongation de deux ans, ce qui nous conduit au 26 novembre 2016, date à laquelle nous ne devrions pas avoir changé de président de la République ni de Gouvernement.

Pendant ces deux années, il conviendra d'approfondir ce que vous allez faire en quinze jours ou trois semaines. Il serait intéressant de confier l'affinement de l'approche scientifique à une structure indépendante comme l'Observatoire de la délinquance et des réponses pénales, rattachée directement au Premier ministre. Il s'agirait de disposer d'une base de données sur les établissements et centres pénitentiaires, sur le nombre de places opérationnelles, sur l'état des cellules, sur le nombre d'encellulements individuels, sur les populations susceptibles, à l'avenir, de bénéficier de la loi du 15 août 2014. Il paraît nécessaire de se donner deux ans pour faire un peu de prospective – peut-être conviendrait-il d'aider, à cette occasion, le bureau de la prospective de l'administration pénitentiaire.

Ensuite, la droite avait proposé la construction de milliers de places de prison. J'avais demandé au garde des Sceaux de l'époque, qui ne m'a jamais répondu, si ces places correspondaient à mon schéma d'encellulement individuel la nuit et d'activités collectives le jour. Il ne faudra pas aborder la question de la construction sans se poser la question de savoir ce qu'on construit. La gauche a adopté une autre démarche à travers la loi du 15 août 2014, visant à réduire le nombre d'entrées, à sécurité égale, au moyen de la contrainte pénale. Certains travaux montrent en effet que la prise en charge en milieu ouvert est plus efficace contre la récidive que certaines courtes peines. Nous avons, même s'ils sont très insatisfaisants, un certain nombre d'instruments qui devraient permettre de prévenir davantage la récidive et de réduire aussi, ce n'est pas incompatible, le nombre de détenus.

J'ignore combien de contraintes pénales ont été prononcées au mois d'octobre. Qui sont ces condamnés, et pour quelles infractions ? J'ai également demandé qu'on me précise les instruments mis en place pour suivre cette question. Je n'ai pas obtenu de réponse. Je vous rappelle que, lorsque le travail d'intérêt général (TIG) a été créé, nous avons mis au point un système d'évaluation qui a permis de savoir très rapidement qui étaient les condamnés au TIG – je me trouvais à l'époque à l'administration pénitentiaire. Lorsque le placement sous surveillance électronique a été instauré, nous avons, de la même manière, créé un système permettant d'en savoir plus sur l'application de ce dispositif.

Ces deux années doivent aussi permettre de vérifier que la représentation nationale et l'ensemble de nos concitoyens savent exactement quels sont les instruments mis en place, et d'assurer un suivi très précis des résultats que l'on souhaite obtenir. La question de l'encellulement individuel se posera en d'autres termes si l'on parvient à réduire de façon raisonnable – à sécurité égale, j'y insiste – la population détenue.

Enfin, je sais bien que, dans tous les journaux, les titres ne sont pas de la main des auteurs, mais je n'ai pas été très heureux de celui d'un article du Monde sur « l'inexorable croissance carcérale ». Le mot « inexorable » signifie : qui résiste aux prières. J'ignore si vous priez pour résoudre les problèmes de la société, mais cela ne me paraît pas suffisant. J'ai la conviction, au contraire du titre de l'article, qu'il est possible d'infléchir la croissance de la population carcérale. Au 1er janvier 2012, le taux de croissance annuelle de cette population était de 7 %. Depuis, ce taux ne cesse de diminuer et, à partir de janvier 2014, il est tombé à 0,8 % – on ne peut donc plus parler d'inflation carcérale, même si ce taux est deux fois supérieur encore à celui de la croissance de la population en général. Depuis octobre 2014, on note une diminution de 1,2 %. Ce phénomène nouveau devrait être analysé même si l'on sait d'ores et déjà qu'il s'explique en partie par une baisse des entrées.

Il semble donc que cette croissance « inexorable » ne le soit pas tant que cela, et il faut rappeler qu'au cours de certaines périodes on a assisté à une baisse assez importante du nombre de détenus. Encore une fois, dans mon esprit, il ne s'agit aucunement de vider les prisons : la prison est une nécessité pour la République. Il faut réduire, par des moyens sûrs, le nombre de détenus, mais aussi, dans certaines conditions, construire.

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