Intervention de Charles Giusti

Réunion du 13 novembre 2014 à 14h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Charles Giusti, directeur-adjoint de l'administration pénitentiaire :

C'est cela.

Dans les établissements pour peine, le taux d'encellulement individuel est de 88 %, mais c'est un chiffre à prendre avec prudence, car il s'agit d'une photographie à l'instant T et la partie outre-mer souffre de surpopulation, y compris dans les établissements pour peine. Si l'on se limite à l'Hexagone, le taux est de 93,3 %. Je rappelle qu'il s'agit d'un travail mené ligne par ligne, pour identifier qui est seul en cellule à l'instant T.

J'en viens à l'évolution, depuis 2009, du nombre de places dans les établissements pénitentiaires.

Correspondant au solde entre les nouveaux établissements et les établissements fermés, 3 250 places ont été créées en net en 2009, 1 961 en 2010, 1 617 en 2011, 216 en 2012 – du fait d'une baisse conjoncturelle –, 466 en 2013 et 397 en 2014. Il est prévu de créer 1 817 places en 2015, 356 en 2016, 1 180 en 2017, 808 en 2018 et 117 en 2019. Le nombre de places prévu pour 2018 correspond à la réouverture de la maison d'arrêt de Paris-La Santé et celui prévu pour 2019 au nouvel établissement de Lutterbach, qui s'accompagnera de la fermeture de l'établissement du Bas-Rhin. Le programme immobilier vise à augmenter la capacité d'accueil, mais aussi à améliorer les conditions de la détention, et donc, à fermer les établissements vétustes.

L'objectif de 63 500 places fixé par la garde des Sceaux à l'horizon 2020 permettra de disposer de 54 400 cellules environ – s'agissant de programmes immobiliers, il y a des ajustements au fil des études –, dont 35 800 dans les maisons d'arrêt et 27 700 dans les établissements pour peine.

La garde des Sceaux a également annoncé, à l'occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2015, un nouveau programme immobilier concernant l'Hexagone, plus particulièrement orienté vers l'outre-mer, avec un horizon de livraison sur une dizaine d'années, qui devrait aboutir à 65 000 places de détention, pour 57 000 cellules. Il s'agit, là encore, de chiffres arrondis.

Quant à la population pénale, elle est estimée, dans le cadre du plan triennal, à 66 200 au 1er janvier 2017. C'est un chiffre théorique, qui a servi à la construction budgétaire.

Sans préjuger des évolutions qui peuvent intervenir ni de l'efficacité de la loi pénale, davantage orientée vers la prévention de la récidive que vers la baisse des effectifs dans les prisons, on estime, au regard des statistiques générales, que la population pénale restera à ce niveau. Elle atteindra peut-être le chiffre de 68 000 à l'horizon 2018. Depuis une vingtaine d'années, on constate des baisses conjoncturelles, liées, notamment, à des lois pénales et, éventuellement à des décrets de grâce, antérieurement à 2007. Le taux d'incarcération par rapport à l'ensemble de la population française évolue très peu, mais globalement, la tendance est à l'augmentation de la population pénale.

Sans faire de prospective poussée en la matière, je rappelle l'objectif, à l'horizon d'une dizaine d'années, de 57 000 cellules, pour une population pénale qui comptera environ 68 000 personnes. Cela signifie que nous ne serons pas, dans une dizaine d'années, au rendez-vous de l'encellulement individuel.

Sur le plan qualitatif, je reprendrai le propos de la directrice de l'administration pénitentiaire à l'occasion de la présentation du projet de budget 2015 : « L'encellulement individuel n'est pas l'alpha et l'oméga des conditions de détention ». Par-delà cette formule choc, les textes existants et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) mentionnent la notion d'encellulement individuel de nuit – c'est ce que l'on trouve dans les règles pénitentiaires européennes (RPE) – ou la notion de places multiples, sous réserve que les conditions d'hébergement soient correctes.

La CEDH n'introduit pas la notion d'encellulement individuel. En revanche, elle fixe des critères de dignité pour les conditions de détention, en termes de superficie, de luminosité, de séparation des lieux d'hygiène, etc. La jurisprudence n'insiste pas sur la notion d'encellulement individuel.

Sur le plan international, nous avons observé ce que faisaient nos voisins européens.

Hormis les Scandinaves, notamment les Suédois, qui ont atteint un taux satisfaisant d'encellulement individuel, mais qui ont des taux d'incarcération assez faibles, ce principe n'est pas appliqué ou n'existe pas dans le reste de l'Europe.

Le législateur allemand avait posé le principe de l'encellulement individuel dans les années 1970. Cela étant, compte tenu du surpeuplement carcéral, la loi précisait que l'encellulement collectif était autorisé aussi longtemps que les conditions matérielles des établissements le rendaient nécessaire. Il s'agissait d'une approche très pragmatique de l'encellulement individuel.

Toutefois, la Cour constitutionnelle fédérale a considéré, en 2002, que les établissements pénitentiaires pouvaient déroger à la règle de l'encellulement individuel seulement si la situation ne portait pas atteinte à la dignité de la personne détenue. On en revient aux conditions qui figurent fréquemment dans la jurisprudence du Conseil d'État ou dans les RPE.

Au milieu des années 1980, les Pays-Bas appliquaient la règle de l'encellulement individuel. À partir de 1985, la population carcérale a fortement augmenté du fait d'un durcissement des politiques pénales, et le taux de détention, supérieur à celui de la France, a atteint 113 détenus pour 100 000 personnes en 2007. Les tout derniers chiffres sont assez proches. Les Pays-Bas ont lancé un programme immobilier pour tenter de maintenir la règle de l'encellulement individuel, mais ils l'ont abandonnée dans les années 2000 et ont procédé à un réaménagement des cellules existantes pour pouvoir accueillir deux personnes.

La règle de l'encellulement individuel n'existe pas au Royaume-Uni. Il n'y a pas non plus de politique officielle en la matière. Les Britanniques évitent de mélanger des personnes qui ne seraient pas « compatibles » et la plupart des cellules, construites pour accueillir une à deux personnes, en accueillent, en réalité, deux ou trois.

J'en arrive à la méthode de nos voisins italiens pour alléger la surpopulation carcérale, qui est particulièrement importante. Il s'agit de l'indulto, que l'on peut traduire par « indulgence ». Il s'agit d'une sorte de décret de grâce, qui vide largement les établissements. Ce sont environ 20 000 détenus qui sortent de prison, mais qui y reviennent très vite, du fait de la récidive.

On retrouve par exemple, en Autriche, des règles aux termes desquelles il n'y a pas d'encellulement individuel pour les courtes peines. On y essaie en revanche d'appliquer la règle de l'encellulement individuel aux peines plus longues. Il s'agit de concepts approchants, mais je n'ai pas d'informations précises en la matière.

Je voudrais maintenant souligner l'importance des activités. L'hébergement en cellule n'est peut-être pas l'élément essentiel, dès lors que le détenu peut en sortir dans la journée et avoir des activités. Nous suivons à peu près le même raisonnement que nos voisins européens, notamment espagnols, qui développent fortement les activités extérieures dans certains de leurs établissements, les cellules n'étant occupées que la nuit. Pour le reste, il y a des locaux communs. Les repas, par exemple, sont pris en commun. C'est un autre concept, mais l'idée est la même : faire sortir les détenus de leur cellule.

Pour conclure sur les éléments qualitatifs, j'évoquerai le sous-amendement présenté par M. Coronado dans le cadre du débat budgétaire et allant dans le sens de la proposition du contrôleur général des lieux de privation de liberté en matière d'encellulement individuel pour les personnes vulnérables. La difficulté réside dans la définition de ce que sont les personnes vulnérables. Il peut s'agir de personnes âgées, de personnes à mobilité réduite, éventuellement de personnes fragiles parce qu'en butte à des comportements malveillants de la part de leurs codétenus.

La réponse n'est pas forcément univoque. Si l'on fait le point sur les personnes vulnérables que sont les personnes âgées et celles en situation de handicap, notamment physique, les personnes de plus de soixante ans représentaient, en 2013, 3,6 % de la population pénale, soit 2 409 personnes, dont 115 en perte d'autonomie et 896 en maison d'arrêt. Les personnes en situation de handicap physique représentaient, toujours en 2013, 0,5 % de la population pénale, soit 329 personnes.

Il est intéressant d'observer la façon dont l'administration pénitentiaire a pris en compte l'accueil des personnes souffrant d'un handicap physique. Au 1er octobre de cette année, 352 places dites « places pour personnes à mobilité réduite » disposaient de tous les aménagements nécessaires. Je cite, en outre, même si elles ne sont pas totalement aux normes requises pour l'accueil des personnes handicapées, 243 places adaptées, dans environ quatre-vingt-dix établissements. Ces places n'ont peut-être pas les largeurs de porte parfaitement aux normes, mais des aménagements ont été faits, tels que des barres dans les toilettes et des sièges dans les douches.

S'agissant de la prise en charge des personnes handicapées ou des personnes âgées ayant des problèmes de mobilité, il y a, pour les nouvelles constructions, une norme de 3 % des places théoriques destinées aux personnes à mobilité réduite.

J'en termine avec la question des personnes vulnérables, qui était le sujet de préoccupation lorsque nous avons travaillé sur le sous-amendement de M. Coronado. Si la règle de l'encellulement individuel devait s'appliquer aux personnes vulnérables, sous réserve de pouvoir définir précisément ce que sont les personnes vulnérables, compte tenu de la situation actuelle de surpopulation et au regard des places disponibles, il serait très difficile d'aménager des cellules individuelles dans certaines maisons d'arrêt, sauf à mettre en oeuvre des procédures de transfert, avec un fort risque de rupture des liens familiaux.

Pour conclure sur les aspects quantitatif et qualitatif, de manière macroscopique, même si ce n'est pas satisfaisant et que cela peut masquer des disparités au sein des établissements pénitentiaires, l'encellulement individuel ne peut être envisagé dans la dizaine d'années à venir. Cela ne veut pas dire que l'administration pénitentiaire ne fasse rien. Toutes les nouvelles constructions tiennent compte des normes indispensables à l'accueil des personnes à mobilité réduite. Au-delà, il y a la règle fixant à 90 % le taux d'encellulement individuel. Les constructions neuves sont donc soumises à des règles permettant d'aboutir à ce taux.

Par ailleurs, l'idée est de promouvoir des activités au sein des établissements. Cette conception est centrée sur les publics accueillis. À l'avenir, nous essaierons d'éviter les architectures répétitives pour élaborer des projets en lien avec la population accueillie. Il faut travailler sur les flux, limiter les facteurs anxiogènes de l'enfermement en améliorant les matériaux et la luminosité et en « végétalisant » les cours de promenade. Concernant l'accueil des détenus condamnés à de longues peines, un vrai travail a été fait dans les centres de détention, où l'on peut trouver aujourd'hui des cours de promenade assez vastes et arborées.

Dans les futurs établissements, des unités de confiance pourraient être mises en place pour des catégories de détenus en voie de réinsertion, au comportement exemplaire, qui bénéficieraient de conditions de détention adaptées. Ce type de dispositif existe dans certains établissements et sa mise en oeuvre dans les futurs établissements doit continuer à faire l'objet d'une réflexion.

Outre les questions architecturales, la volonté de la garde des Sceaux est de développer les activités, dont la durée quotidienne moyenne est aujourd'hui d'une heure trente par détenu. Le budget du plan triennal devrait nous permettre d'augmenter progressivement, jusqu'à trois heures par jour, cette durée moyenne, l'activité étant soit du travail, soit de la formation professionnelle, soit de l'enseignement général ou spécialisé.

S'agissant de l'encellulement individuel, il convient de s'appuyer sur un principe de réalité. La population pénale devrait se stabiliser grâce à la loi pénale. Cela étant, depuis vingt ans, statistiquement, il y a toujours eu une tendance à la hausse. En tout état de cause, l'administration pénitentiaire, qui est le réceptacle de toute l'activité de la chaîne pénale, ne fait qu'exécuter des décisions de justice. La surpopulation doit donc être considérée à l'aune de toutes les politiques pénales. Le principe de réalité, ce sont les 57 000 cellules prévues dans le dernier programme annoncé par la garde des Sceaux à l'horizon d'une dizaine d'années. Nous ne pourrons donc pas assurer l'encellulement individuel pour tous.

Cela étant, l'encellulement individuel n'est pas une fin en soi, y compris pour les personnes vulnérables, qui demandent, pour certaines d'entre elles, à être doublées en cellule. Je pense notamment aux personnes suicidaires ou aux personnes âgées, qui ont besoin d'une présence. Lorsque les auxiliaires de vie quittent les lieux pour la nuit, il est important que des détenus volontaires puissent prêter assistance à des personnes ayant des difficultés particulières.

Je vais vous raconter une petite anecdote. La prison Charles-III, qui disposait, en règle générale, de cellules de quatre personnes, a été remplacée par le nouveau centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville. La perspective pour les détenus était de rejoindre un centre pénitentiaire neuf ne souffrant pas de surpopulation carcérale, et donc, d'être hébergés dans une cellule individuelle. Pourtant, 30 % d'entre eux environ ont souhaité être doublés en cellule. C'est un chiffre anecdotique, qui permet toutefois d'illustrer le souhait d'un certain nombre de détenus de ne pas être seuls dans une cellule.

Il est important de fixer, dans les travaux sur l'encellulement individuel, des objectifs atteignables, dans une approche englobant la problématique de l'encellulement de nuit en tant que tel, et les activités qui vont avec. C'est un travail sur le long terme, car il faut des moyens pour développer les activités, mais c'est aussi la possibilité pour les établissements pénitentiaires de parvenir à un équilibre entre encellulement et activités.

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