Intervention de Adeline Hazan

Réunion du 13 novembre 2014 à 14h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté :

Merci de me fournir ce chiffre qui confirme notre impression : c'est extrêmement peu.

Voilà pour l'état des lieux. Faut-il tout simplement attendre 2017 ? Certainement pas et vous avez eu raison de refuser cette option. L'encellulement individuel ne doit pas être le seul paramètre, dit la garde des Sceaux qui insiste sur les conditions de détention, la préservation des liens familiaux, l'accès au droit, au travail et à la santé. En fait, il n'y a pas lieu de choisir entre ces différents critères qui doivent tous faire partie des objectifs de la politique du ministère de la justice : tous ces droits sont prévus par les textes en vigueur.

Selon la circulaire de l'administration pénitentiaire de 1988, la taille minimum des cellules individuelles et collectives est respectivement de neuf et de douze mètres carrés. Actuellement, les détenus sont souvent contraints de cohabiter à trois dans des cellules de neuf mètres carrés et à six dans des cellules prévues pour quatre personnes. En plus, malgré cette surpopulation assez effrayante, le personnel pénitentiaire rajoute des matelas par terre. C'est indigne, et en totale contradiction avec la loi, les règles pénitentiaires européennes et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Il ne vous aura pas échappé que, l'an dernier, la CEDH a condamné l'Italie dont le taux de surpopulation des prisons atteignait 150 % en moyenne, et qu'elle l'a mise en demeure de se mettre en règle. Je ne souhaiterais pas que l'on attende que la France soit aussi condamnée.

Le 22 mai 2012, mon prédécesseur, Jean-Marie Delarue, avait rendu un avis spécifique sur la surpopulation carcérale. Il montrait qu'au-delà de la question de la dignité des personnes, cette surpopulation avait des conséquences très négatives en termes d'accès à la santé et aux droits familiaux des détenus, et qu'elle créait des conditions de travail tout à fait insupportables pour les agents pénitentiaires.

Depuis cet avis, vous avez adopté la loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, dont diverses dispositions devraient faire baisser le nombre d'entrants en prison : l'instauration de la contrainte pénale ; la suppression des peines-plancher ; la libération sous contrainte, avec un rendez-vous judiciaire obligatoire aux deux tiers de la peine. Cette dernière mesure va permettre de revoir la situation des condamnés et de multiplier les sorties : semi-liberté, placements en milieu ouvert, placements sous surveillance électronique, libérations conditionnelles. Actuellement, seulement 7 % des personnes éligibles à la libération conditionnelle bénéficient de ce régime.

Cependant, ces mesures positives ne suffiront pas à assurer un encellulement individuel en maison d'arrêt pour tous les détenus qui le souhaitent. Selon le Gouvernement, elles feront baisser le nombre de détenus de 2000 personnes d'ici à 2017. Comment aller plus loin ? Jean-Marie Delarue avait émis un avis le 24 mars 2014, publié au Journal officiel du 23 avril 2014, dans lequel il écartait l'hypothèse d'un nouveau moratoire, jugée inopportune, pour prôner l'établissement progressif de l'encellulement individuel sur une durée de cinq ans, au bénéfice de certains détenus : les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans, malades, handicapées ou étrangères. Il proposait d'en définir la liste par voie réglementaire.

Cette proposition, qui n'a pas donné lieu à un examen par les pouvoirs publics, me paraît intéressante car elle rend possible l'encellulement individuel dans la rigueur des principes de la loi, au bénéfice de certaines catégories de personnes détenues, déterminées par les autorités. Je veux la reprendre à mon compte, tout en souhaitant prolonger la réflexion afin d'en évaluer la faisabilité. Comment libérer de la place pour que les personnes définies comme prioritaires puissent bénéficier d'un encellulement individuel.

Avant d'envisager une solution, je voudrais vous faire part d'une réflexion. Comment se fait-il que, dans notre pays, les prisons soient les seuls établissements où, pour le dire trivialement, « quand il n'y a plus de place, il y en a encore » ? Ce n'est pas le cas pour les maisons de retraite, les centres éducatifs fermés ou les hôpitaux : quand c'est complet, c'est complet. Une telle notion n'existe pas dans les prisons, où le taux de surpopulation grimpe jusqu'à un niveau indéfini.

Les prisons seraient-elles une zone de non-droit où l'on puisse entasser les gens à l'infini ? Non, évidemment. Pourtant, quand il y a déjà deux ou trois personnes dans une cellule de neuf mètres carrés, ou bien quatre, cinq ou six personnes dans une cellule de douze ou treize mères carrés, on rajoute parfois un matelas par terre. Le matin, il faut ranger le matelas pour que les autres détenus puissent poser le pied par terre. Cette pratique est absolument intolérable. Selon les chiffres officiels, publiés en octobre 2014, il y a 1 046 matelas de ce type dans le parc pénitentiaire français. Je propose donc d'interdire purement et simplement cette pratique, au nom de la dignité.

Comment faire baisser la surpopulation carcérale ? Le gouvernement précédent avait envisagé de créer 24 000 places supplémentaires pour porter la capacité du parc pénitentiaire français à 80 000 places. À mon sens, ce n'est pas la bonne démarche. Que nous soyons professionnels, élus ou sociologues, nous savons tous que le taux d'incarcération dépend davantage de l'évolution de la politique pénale que de celle de la délinquance. De même, au fil des décennies, nous avons tous constaté que l'accroissement des capacités de détention encourage à incarcérer.

Il faut donc poursuivre deux objectifs qui n'ont rien d'incompatibles, bien au contraire : moderniser le parc pénitentiaire tout en rejetant la politique du tout carcéral. Le plan de la garde des Sceaux de construire 2 881 nouvelles places nettes entre 2015 et 2017 m'apparaît amplement suffisant.

Comme le prévoit la loi du 15 août 2014, il faut augmenter le nombre d'aménagements de peines, ce qui sera néanmoins insuffisant pour parvenir à l'encellulement individuel de tous les prévenus ou condamnés qui sont incarcérés en maison d'arrêt. C'est pourquoi je suis amenée à faire une proposition supplémentaire, qui permettra de rendre effective et réalisable la solution proposée par mon prédécesseur : il faut non seulement interdire les matelas par terre, mais aussi fixer une capacité maximale pour chaque établissement pénitentiaire, ainsi que l'avait d'ailleurs proposé le député Dominique Raimbourg dans son rapport de janvier 2013.

Rappelons qu'en 1999 le comité des ministres du Conseil de l'Europe faisait cette recommandation : « Il convient, pour éviter des niveaux de surpeuplement excessifs, de fixer pour les établissements pénitentiaires une capacité maximale. » Pour les avoir rencontrés lors de ma prise de fonction, je sais que les syndicats de directeurs de prison sont parfaitement d'accord avec ce principe. Ils estiment que la moitié des problèmes des maisons d'arrêt découle de l'absence d'encellulement individuel et que les trois quarts des détenus souhaitent une cellule individuelle.

Comme je le constate sur le terrain depuis ma prise de fonctions, des expériences sont conduites autour de certains établissements via des accords entre les parquets, les juges de l'application des peines et les directions des établissements pénitentiaires. À Dijon, le procureur de la République reçoit tous les matins un état de la population carcérale. Dès qu'il voit que l'on commence à rajouter des matelas au sol, il alerte les magistrats du parquet et les juges de l'application des peines pour que des procédures d'aménagements de peines soient accélérées et que, si possible, la mise à exécution de courtes peines soit légèrement différée.

Pour intéressantes qu'elles soient, ces pratiques tiennent à des personnes et sont donc fragiles. Il faut les généraliser et aussi prévoir une accélération des sorties de condamnés qui approchent de leur fin de peine : celui dont le reliquat de peine est le plus court bénéficierait non pas d'une sortie sèche mais d'un aménagement de peine. Dans son rapport de 2013, M. Raimbourg indiquait qu'au 1er octobre 2012, 2 557 condamnés – soit 10 % des condamnés détenus en maison d'arrêt – n'avaient plus qu'un mois de peine à effectuer. Cette accélération des sorties permettrait de désengorger de façon significative les établissements pénitentiaires.

Cette solution nécessite du volontarisme et du courage. À dessein, je n'ai pas employé la notion de numerus clausus, qui est clivante et peut suggérer un certain automatisme. Plus que l'appellation, c'est l'esprit qui compte. En tout cas, il me semble que cette régulation de la population carcérale est la seule façon de désencombrer les prisons et donc de parvenir à l'encellulement individuel progressif que nous appelons de nos voeux. Ajoutée à l'effet des nouvelles mesures prévues par la loi du 15 août 2014, cette régulation fera baisser le nombre de détenus et nous permettra d'atteindre notre objectif dans un délai raisonnable et non pas dans plusieurs décennies.

Le moratoire pourrait être prolongé jusqu'au 1er janvier 2017 dans les conditions suivantes : interdiction de la pratique des matelas au sol ; mise en oeuvre d'une régulation de la population carcérale qui permette d'appliquer l'encellulement individuel par étape, en commençant par les détenus les plus fragiles. La France rétablirait la dignité des détenus et des conditions de travail du personnel de l'administration pénitentiaire ; elle se mettrait enfin en conformité avec les textes européens, la loi votée depuis des décennies et la jurisprudence administrative.

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