Intervention de Jean Bizet

Réunion du 28 octobre 2014 à 18h00
Commission des affaires européennes

Jean Bizet, Président :

Comme chacun le sait, le paquet « croissance, emploi et investissement » est d'importance. L'Europe subit une diminution durable du niveau d'investissement, se chiffrant à 500 milliards d'euros depuis 2007. Le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a annoncé dès le 15 juillet 2014 la mise en oeuvre d'un plan d'investissement de 300 milliards d'euros sur trois ans, à savoir sur la période 2015-2017, destinée à relancer l'emploi, la croissance et la compétitivité en Europe. Le détail de ce paquet, annoncé dans un premier temps pour janvier 2015, devrait être présenté avant la fin de l'année.

Les besoins sont considérables dans plusieurs secteurs. En matière de réseaux numériques de haut débit, l'Union européenne s'est fixée pour objectif de couvrir 100 % de son territoire à l'horizon 2020 – je rappelle qu'elle n'en est qu'à 62 % à l'heure actuelle. Pour ce qui est des transports, dans le cadre du nouveau mécanisme pour l'interconnexion en Europe, le cadre financier pluriannuel avait fixé un montant de 26 milliards d'euros pour la période 2014-2020, contre 8 milliards d'euros engagés pour les années 2007-2013. Enfin, en matière d'emploi des jeunes, compte tenu des taux de chômage très élevés pour cette catégorie de population, l'Union européenne avait mis en place en 2012 une initiative pour l'emploi des jeunes comprenant un mécanisme de garantie jeunesse, doté de 6 milliards d'euros, porté ensuite à 8 milliards d'euros, devant être décaissé pour l'essentiel en 2014 et 2015. Or, les présidents Barroso et Van Rompuy ont récemment déploré l'absence de résultat dans ce domaine, en raison de la montée en charge très lente du dispositif.

Plusieurs des secteurs visés sur le plan de l'investissement du plan Juncker font partie des mesures financées par le cadre financier pluriannuel sur la période 2014-2020. M. Jyrki Katainen, futur vice-président « en charge de l'emploi, de la croissance, de l'investissement et de la compétitivité », a indiqué que ce dispositif s'appuierait sur la Banque européenne d'investissement (BEI) et les banques nationales d'investissement. Il a précisé que le plan ne serait pas financé par un recyclage des crédits déjà programmés, les fonds publics devant servir de catalyseur pour mobiliser l'investissement privé.

Cependant, des interrogations demeurent : premièrement, quel sera le montant de ce plan d'investissement ; et les 300 milliards d'euros envisagés seront-ils suffisants ? Il est permis de poser cette question dans la mesure où, à lui seul, le coût de la couverture haut débit est estimé par la Commission à 130 milliards d'euros d'ici à 2020.

Deuxièmement, quelles seront ses modalités de financement ? Le Parlement européen demande des fonds additionnels, et non un recyclage des crédits existants, notamment ceux de la politique de cohésion. Or, les dotations allouées à la croissance au titre du cadre financier pluriannuel 2014-2020 ne peuvent à elles seules assurer le financement du plan d'investissement.

J'ai déjà alerté à deux reprises – notamment mardi dernier, dans le cadre du débat préalable au Conseil européen, Harlem Désir, secrétaire d'État aux affaires européennes – sur le risque de voir s'opérer un détournement des fonds structurels européens au profit du plan d'investissement : ce serait dramatique pour les élus des villes et des campagnes, compte tenu de la baisse annoncée des crédits d'État. Malheureusement, je n'ai pas obtenu de réponse sur ce point, et je crains fort qu'il n'y en ait pas.

Lors du conseil ECOFIN du 14 octobre dernier, les ministres ont soutenu la possibilité d'exploiter pleinement la capacité de la Banque européenne d'investissement à supporter des risques et à étendre davantage la portée de ses outils de financement. Le vice-président Katainen a également évoqué la possibilité d'y injecter de l'argent frais. Je relèverai toutefois que le capital de cette dernière avait déjà été relevé de 10 milliards d'euros en 2012, et qu'elle doit aussi éviter de prendre des risques excessifs. Pour sa part, le président Juncker a évoqué des instruments financiers plus efficaces, sous forme de prêts ou de garanties, avec une capacité plus élevée par rapport aux risques. À ce titre, sont aussi évoqués les project bonds, il s'agit d'obligations de projet financées à partir de crédits du budget communautaire non utilisés, permettant de créer un effet de levier auprès d'investisseurs institutionnels – notamment des fonds de pensions et des compagnies d'assurance. De même, le recours au mécanisme européen de stabilité a été envisagé, mais l'Allemagne s'y oppose fermement. Selon le vice-président Katainen, le montant global de 300 milliards d'euros pourrait ne pas être disponible dès le lancement du plan, et les crédits pourraient être affectés au projet de façon graduelle. Les doutes planant sur la disponibilité des fonds sont assez inquiétants, surtout si l'on considère que c'est un peu la proposition de la dernière chance.

Troisièmement, quels projets pourront être financés ? Lors du conseil ECOFIN du 14 octobre, le vice-président Katainen et le président de la BEI ont évoqué la mise en place d'une task force dirigée par la Commission et la BEI, chargée d'identifier les goulets d'étranglement et les barrières limitant l'investissement public et privé. Il s'agirait d'établir une sorte de réserve, et non une simple liste de projets stratégiques à forte valeur ajoutée. Néanmoins, le manque de projets à fort impact peut constituer la véritable difficulté.

Quatrièmement, enfin, on ne peut ignorer le contexte politique. Les débats, ayant lieu notamment entre la France et l'Allemagne, portent aussi sur les liens entre le soutien à l'investissement et la mise en oeuvre de réformes structurelles au sein des états membres. Le 20 octobre dernier, les ministres de l'économie et des finances des deux pays se sont rencontrés à Berlin afin de rapprocher leurs positions et se sont engagés à élaborer, d'ici au 1er décembre, une proposition commune sur les possibilités d'investissement dans les deux pays, à travers laquelle ils exposeraient une vision commune de l'Europe. Deux personnalités qualifiées ont été approchées, à savoir le Français Jean Pisani-Ferry et l'Allemand Henrik Enderlein, l'un et l'autre étant chargés de définir, chacun pour son pays, les domaines prioritaires d'investissement, de réforme structurelle et d'action commune, par un rapport remis à la mi-novembre qui sera, je n'en doute pas, extrêmement intéressant. Si l'Allemagne a reconnu un déficit d'investissement de 50 milliards d'euros de sa part, elle a aussitôt précisé que le financement serait essentiellement assuré par le secteur privé, et allégué la pyramide des âges de sa société pour ne pas s'engager tout de suite dans de tels investissements.

Pour conclure, je soulignerai que des questions importantes demeurent pour l'instant sans réponse claire : quel ratio entre investissements publics et privés, et entre investissements européens et nationaux ? Quels secteurs privilégier ? Enfin, comment concilier un plan ambitieux avec les contraintes budgétaires que nous connaissons ? Ce sont là des questions importantes sur un sujet fondamental pour la relance de la croissance en Europe.

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