Intervention de Jean Bizet

Réunion du 28 octobre 2014 à 18h00
Commission des affaires européennes

Jean Bizet, Président :

J'estime que nous devons également attendre de prendre connaissance du rapport confié à Jean Pisani-Ferry et à Henrik Enderlein, qui contiendra certainement des propositions très intéressantes. Tout le monde s'inquiète de l'origine des 300 milliards d'euros, une somme d'autant plus considérable qu'elle est censée s'ajouter aux fonds structurels d'un montant sensiblement équivalent. Pour ma part, je crains tout de même, comme Alain Richard, que l'on n'échappe pas à un recyclage. L'idée selon laquelle l'argent public doit servir de levier pour dégager des investissements privés se répand de plus en plus largement, et je me félicite de voir cette idée innovante commencer à s'imposer. Même s'il est généralement un peu plus cher au début, le partenariat public-privé permet de faire avancer les choses un peu plus vite.

Je suis tout à fait d'accord avec Alain Richard et Gilles Savary sur la nécessité de s'orienter le plus vite possible vers des technologies déjà au point. Partir du début, c'est-à-dire de la R&D fondamentale, pour ensuite définir des projets servant de débouchés aux avancées technologiques obtenues, constitue un processus demandant trop de temps : nous devons privilégier des programmes intégrés dans des domaines d'avenir. Je me félicite également de cette avancée considérable – acquise notamment grâce à l'opiniâtreté du commissaire Barnier – que constitue le brevet communautaire, dont nous disposons enfin après trente ans d'efforts.

Si l'on s'inspire de ce qui se passe aux États-Unis, on peut noter trois choses. Premièrement, le prix de l'énergie reste une donnée fondamentale, et force est de constater que l'exploitation du gaz de schiste a permis de le faire baisser outre-Atlantique. J'ai relevé, dans mon rapport relatif à la coopération énergétique franco-allemande que j'appelle de mes voeux, que sur les 12 milliards d'euros investis au cours des deux dernières années par l'industrie chimique allemande, 10 milliards d'euros ont été mobilisés à l'étranger – pour une bonne part aux États-Unis.

Deuxièmement, en ce qui concerne le financement des investissements, on constate une dichotomie totale entre le financement des entreprises aux États-Unis et celui qui se fait en Europe. Si aux États-Unis, c'est au moyen du marché boursier que les choses se font, en France, c'est en passant par les banques. Or, depuis la crise de 2008 et la faillite de Lehman Brothers, de nouvelles règles prudentielles sont apparues, notamment sous la forme d'une obligation de 20 % de sécurisatio qui conduisent les banques à ne plus prêter – ce qui explique en grande partie la chute de 500 milliards d'euros du niveau d'investissement –, ainsi que par une pénalisation par la Banque centrale européenne des fonds prêtés par les banques nationales. En résumé, les règles de sécurisation qui s'appliquent en matière bancaire ont pour effet de freiner les investissements réalisés en passant par les banques : on notera d'ailleurs que les États-Unis se sont bien gardés de s'appliquer à eux-mêmes les normes Bâle II et Bâle III, qu'ils ont imposées à l'Europe. Ne soyons donc pas naïfs sur ce point, et prenons conscience du fait que nous sommes parfois desservis, sur le plan économique, par des règles nous imposant un comportement vertueux auquel nous sommes seuls à nous astreindre. De ce point de vue, ce qui est vrai en matière de financement l'est aussi en ce qui concerne la politique agricole commune, où les Européens s'efforcent d'ajuster leur production à la demande dans le cadre d'une politique de quotas, tandis que les Américains, eux, s'en tiennent à une logique de production et de revenus garantis.

Troisièmement, enfin, il est permis de se demander si l'application du principe de précaution – dont j'ai été, je le reconnais, le rapporteur – ne va pas un peu trop loin. Comme je l'avais confusément senti dès le départ, ce principe s'est révélé avoir pour effet de nous maintenir dans une posture d'inaction. Si le principe de précaution, inscrit dans la Constitution, n'a pas à être remis en cause, j'ai lancé, avec quelques-uns de mes collègues, un principe d'innovation ayant pour but de contrebalancer l'aspect négatif de ses effets dans l'esprit de nos concitoyens.

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