Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames et messieurs les rapporteurs, chers collègues, la succession des lectures ne doit pas nous faire perdre de vue l’essentiel : le contenu de ce texte, qui s’inscrit dans la politique de lutte contre le déficit imposée par Bruxelles et porte les stigmates du pacte de responsabilité.
Ainsi, le coût des exonérations de cotisations sociales que vous avez concédées au patronat dans le cadre de ce pacte de responsabilité, sans aucun contrôle ni aucune contrepartie, s’élève à 6,3 milliards d’euros pour la seule année 2015 ; 6,3 milliards d’euros qui sont prélevés sur le budget national ! Autrement dit, ce sont les Français qui, au bout du compte, supportent le coût du cadeau fait par le gouvernement au patronat.
Vous vous étiez engagé à compenser les manques à gagner pour le budget de la Sécurité sociale, et vous le faites, mais, comme je l’ai déjà indiqué en première lecture, cette compensation ne relève que de jeux d’écriture, de mouvements en vases communicants à tuyauterie complexe. Vous transférez à l’État des dépenses aujourd’hui assumées par la Sécurité sociale, et, parallèlement, l’État prive certains budgets de recettes pour reverser celles-ci à la Sécurité sociale, mais, au final, ces 6,3 milliards d’euros manquent, et cela pénalisera d’autres budgets que celui de la Sécurité sociale. Il faudra donc procéder à des coupes, supprimer des aides, demander à nos concitoyens de renoncer à des droits.
S’ajoute à cela un plan d’économies de 21 milliards d’euros pour les seuls domaines de la santé et de la protection sociale. Ainsi, moins plus moins égale beaucoup moins. C’est dans cette équation, qui porte le nom d’austérité, que vous contraignez à l’extrême les politiques publiques.
Il existe pourtant des alternatives à cette insoutenable austérité. Pourquoi refusez-vous obstinément de créer de nouvelles recettes ? Nous vous avons fait des propositions en ce sens en première lecture. Il s’agissait notamment d’appliquer aux revenus financiers, c’est-à-dire aux dividendes et intérêts, les taux de cotisations sociales patronales actuellement appliqués aux salaires, cette mesure devant être complétée par un dispositif incitatif de modulation des cotisations sociales des employeurs en fonction de leur politique salariale d’investissement et de création d’emplois.
Vous avez rejeté nos amendements, alors que leur pertinence est confirmée, ne serait-ce que par la progression des dividendes en France et en Europe durant ces derniers mois. La France est le pays européen où l’on a versé le plus de dividendes au cours du deuxième trimestre 2014 : selon l’étude publiée par la société de gestion Henderson Global Investors, les rémunérations des actionnaires ont en effet augmenté de 30,3 %.
L’un des rapporteurs de ce texte, notre collègue Gérard Bapt, a d’ailleurs déposé et fait adopter – en commission des affaires sociales puis en séance publique – un amendement qui allait dans ce sens, et que nous avons bien sûr soutenu. Il s’agissait de soumettre aux cotisations sociales certains dividendes versés par les sociétés par actions simplifiées – les SAS – et les sociétés anonymes. Mais en moins de quarante-huit heures, l’hystérie patronale aura eu raison de cet amendement que la représentation nationale avait pourtant adopté. En effet, le ministre des finances, plus sensible aux états d’âme des spéculateurs qu’aux réelles difficultés quotidiennes, de plus en plus insoutenables, de nos concitoyens, s’est immédiatement porté au chevet du MEDEF, pour anéantir cette modeste avancée sociale.
Cet épisode illustre bien les véritables intentions du chef de l’État, qui pour se faire élire s’était engagé à s’attaquer à cet « ennemi invisible » qu’est la finance, mais qui, parvenu au pouvoir, retourne sa veste – si vous me passez l’expression. L’ironie de tout cela tient au fait, très accusateur, que M. Hollande a parfaitement conscience du fléau que représente la finance pour notre pays. Bien qu’il l’ait parfaitement décrit lors de son discours du Bourget, le même François Hollande, devenu Président de la République, a décidé de ne pas s’y attaquer. Il ne souhaite pas, entre autres, que les entreprises participent au même titre que les salariés au financement de la Sécurité sociale, dont elles tirent pourtant de nombreux avantages.
Evidemment, après ce glorieux épisode, les sénateurs de droite se sont sentis pousser des ailes. La version de ce PLFSS que nous examinons aujourd’hui est donc largement dégradée par rapport à celle initialement déposée par le Gouvernement, laquelle était déjà lourde de régressions. Il aura suffi aux sénateurs de l’UMP de marcher dans vos pas, et de pousser un peu plus loin votre logique. J’en veux pour preuve les modifications du texte adoptées par le Sénat, qui ne font qu’accentuer les restrictions que vous avez entamées. La droite diminue l’ONDAM d’1 milliard d’euros, quand le vôtre était déjà au plus bas. La droite porte à 64 ans l’âge de la retraite quand vous l’avez porté à 62 ans. La droite supprime l’assujettissement aux charges sociales des dividendes versés aux dirigeants de sociétés à responsabilité limitée, quand vous avez retiré l’amendement soumettant aux cotisations sociales les dividendes dans les SA et les SAS. La droite rejette l’exonération des participations forfaitaires et des franchises pour les bénéficiaires de l’aide à l’acquisition d’une assurance complémentaire santé, quand vous n’avez pas eu le courage de supprimer le principe même de ces forfaits et franchises. La droite instaure trois jours de carence pour les agents de la fonction publique hospitalière, quand vous avez gelé le point d’indice des fonctionnaires depuis des années.
J’arrête cette liste désastreuse : la convergence de votre politique avec celle de la droite nous atterre. Vous n’avez pas seulement brouillé les cartes : il s’agit d’une haute trahison, que les citoyens qui vous ont fait confiance ressentent profondément. Cette attitude les pousse d’autant plus vers l’abstention ou les votes extrêmes que vous vous attachez à cultiver leur désespérance en leur martelant, à longueur de journée, qu’aucune alternative à cette politique d’austérité n’est possible, ce qui est faux ! Nous savons – et vous aussi – que d’autres choix sont possibles. Nous appelons les députés du groupe majoritaire et, au-delà, les militants socialistes et écologistes, et l’ensemble des citoyens, à se rassembler pour s’élever contre les décisions politiques actuelles, et surtout afin de se donner les moyens de mettre en oeuvre la véritable politique de gauche pour laquelle les Français se sont majoritairement prononcés.
Le Sénat a apporté deux modifications positives à ce texte : la suppression de la modulation des allocations familiales, d’abord, et l’augmentation du taux de la contribution des employeurs sur les retraites chapeaux les plus élevées.
Nous sommes satisfaits de la suppression de la modulation des allocations familiales, mais je tiens à souligner que notre critique de cette mesure relève d’une démarche radicalement opposée à celle de l’UMP. Notre préoccupation est de préserver notre modèle social, et non de défendre une conception à la fois dépassée et intolérante de la famille et du couple.
Nous avions proposé à l’Assemblée nationale, en première lecture, d’augmenter la taxation des retraites chapeaux très élevées : vous aviez refusé cette proposition. Permettez-moi de regretter que ce soit la majorité de droite du Sénat qui ait fait adopter cette mesure.
À l’exception de ces deux dispositions, le texte dont nous sommes saisis a été très nettement aggravé. En première lecture, je vous avais fait part de mon scepticisme s’agissant des établissements publics de santé : alors qu’ils sont déjà fortement endettés, pourront-ils supporter les économies exorbitantes que vous leur imposez ? L’augmentation de l’ONDAM a été limitée à 1,6 %, afin de réaliser 1,2 milliard d’euros d’économies supplémentaires, qui s’ajouteront aux 3,2 milliards d’euros que vous projetiez pour 2015. Dans ces conditions, comment les hôpitaux publics pourront-ils s’en sortir, et se désendetter sans appauvrir l’offre et la qualité des soins ? Comment pourront-ils opérer le virage ambulatoire dont vous parlez, alors qu’ils n’auront pratiquement aucune capacité d’investissement ? Vous savez comme moi que c’est impossible !
Ce PLFSS porte donc un nouveau coup à l’offre de soins, et au fonctionnement des hôpitaux. Il met plus que jamais en danger les établissements publics de santé qui, écrasés par les économies à réaliser, sont contraints de réduire leur personnel et de fermer des services, sans pouvoir se moderniser ni répondre aux besoins de santé de la population.