Madame la ministre, madame la secrétaire d'État, je vous ai présenté, il y a deux semaines, quelques cas concrets de la misère des personnels de la recherche publique française. Je n'avais pas eu le temps de citer tous mes exemples : en voici de nouveaux.
J'ai reçu le témoignage d'une doctorante en phytopathologie qui enseigne devant des groupes de plus de quarante étudiants et qui constate que les étudiants motivés sont noyés dans la masse. Des membres d'un laboratoire de génétique m'ont signalé l'abandon d'une salle de microbiologie : leurs paillasses sont inutilisables depuis que le transformateur de la salle est occupé par des pigeons. Ces exemples ne sont pas des dysfonctionnements ponctuels, comme il peut en survenir dans n'importe quelle organisation ; ce sont des situations durables et installées.
Vous avez proposé, il y a deux semaines, de sortir rencontrer des membres de Sciences en marche pour entendre leur parole ; aujourd'hui, ils sont plus près encore, au premier bureau, trois étages au-dessus de nous. Ils nous regardent en ce moment, et je vous invite à nouveau à les rencontrer pour entendre la réalité de leur quotidien et de leurs souffrances.
Le désespoir des personnels de la recherche publique tient à l'absence d'amélioration à court comme à long terme. Vous leur avez annoncé quelques années difficiles, leur demandant de serrer les dents, mais en attendant quoi ? Quelles sont les perspectives d'amélioration de leur triste sort ? Concrètement, que comptez-vous faire pour remédier à ces situations qui anéantissent l'avenir de notre pays ? Vous ne me parlerez pas à nouveau, j'espère, du nombre de postes ouverts : vous savez aussi bien que moi qu'ils n'ont aucune existence réelle.
Il eût été si simple de plafonner le crédit d'impôt recherche (CIR), dont l'effet d'aubaine est amplement démontré. Vous l'avez dit, et c'est vrai, 80 % des entreprises bénéficiaires sont des PME. Mais les multinationales empochent l'immense majorité des milliards d'euros de cette niche fiscale. La vingt-cinquième section du Conseil national des universités (CNU) l'a dit : moins de 2 % du CIR suffirait à boucler le budget des universités. C'est donc par choix politique que l'argent de la recherche est donné au privé.
Vous vous battez, madame la secrétaire d'État, et vous nous l'avez montré, pour augmenter le nombre d'étudiants et leur faciliter l'accès aux études supérieures. C'est vrai : vous avez créé la bourse de niveau zéro plus et vous essayez d'améliorer les conditions de vie estudiantines. Mais comment ces jeunes gens suivront-ils un parcours universitaire avec des professeurs en contrat précaire – dont certains sont payés au noir, comme par exemple à l'université Lyon 2 – et dans des amphis non chauffés ? Est-ce là l'enseignement supérieur que nous voulons pour la France ?
J'aimerais également que vous nous expliquiez l'accord conclu par votre ministère, en secret, avec l'éditeur de revues scientifiques Elsevier, pour 172 millions d'euros sur cinq ans. Voici comment fonctionnent les publications d'articles scientifiques : les chercheurs cherchent et écrivent des articles ; ils sont en très large majorité payés par de l'argent public. Ils envoient ces articles à des revues, qui les envoient à des comités de lecture, composés d'autres chercheurs ; ces derniers évaluent l'intérêt de l'article, non pas de manière bénévole, mais sur leur temps de travail, c'est-à-dire grâce de nouveau à de l'argent public. Ces articles sont ensuite publiés dans des revues, qui sont vendues à des bibliothèques universitaires ou à des laboratoires, donc à nouveau payées par de l'argent public. Quatre éditeurs seulement se partagent ce marché : Elsevier, Springer, Wiley, Informa. Ils dégagent tous des marges de 32 % à 41 %, soit des dizaines voire des centaines de millions d'euros.
Pourquoi cet accord a-t-il été signé sans appel d'offres public ? Avez-vous envisagé une évaluation de la recherche qui ne passerait pas par ces revues dites qualifiantes ? L'Allemagne a fixé à un an l'exclusivité des éditeurs de revues : comptez-vous faire de même ?
Enfin, nous aimerions connaître votre position sur les logiciels libres et les formats ouverts. La loi sur l'enseignement supérieur et la recherche dispose que « le service public de l'enseignement supérieur met à disposition de ses usagers des services et des ressources pédagogiques numériques », et que « les logiciels libres sont utilisés en priorité ». L'association April a lancé, il y a quelques jours, un appel pour l'interopérabilité dans l'éducation nationale ; celui-ci a déjà reçu le soutien de plus de 3 000 personnes et de plus de 100 organisations, dont des syndicats. Ces principes sont importants : favoriser le logiciel libre et l'interopérabilité, c'est aider les étudiants et les personnels à faire des économies ; c'est améliorer la sécurité de leur système informatique ; c'est surtout leur garantir que les documents réalisés durant leurs études leur resteront accessibles indéfiniment, sans qu'ils soient prisonniers d'un logiciel et d'un éditeur. Quels sont vos projets pour faire de ces principes une réalité dans l'enseignement supérieur et la recherche ?