Je vous remercie d'avoir invité un représentant de la Commission pour une audition.
Je commencerai par vous faire part d'éléments de cadrage : les orientations générales de la politique de l'énergie, dont ma direction générale est responsable ; le cadrage législatif, qui est lié à la politique du marché intérieur de l'énergie, laquelle relève également de la compétence de ma direction générale ; les aspects se rapportant à l'application des règles de la concurrence.
La politique de l'énergie menée depuis une vingtaine d'années dans l'Union européenne poursuit trois objectifs indissociables. Chaque fois que nous prenons des mesures visant à atteindre l'un de ces objectifs, nous tenons dûment compte des deux autres. Le premier objectif est de mettre à la disposition des consommateurs une énergie à un prix à la fois abordable pour les ménages et compétitif pour l'industrie. Le deuxième a trait au développement durable, la consommation d'énergie représentant 80 % des émissions de gaz à effet de serre dans l'Union européenne. À cet égard, nous nous sommes donné un cadre jusqu'à 2020, avec les objectifs « 20-20-20 ». En préparation de la conférence « Paris Climat 2015 », le Conseil européen vient de le compléter en fixant des objectifs pour 2030 : réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990 ; augmentation de la part des énergies renouvelables dans la consommation d'énergie jusqu'à 27 % au moins ; amélioration de l'efficacité énergétique en réalisant des économies d'énergie à hauteur de 27 % au moins. Le troisième objectif de notre politique est la sécurité de l'approvisionnement au sens large, puisque cela comprend la fiabilité des réseaux et les conditions techniques de l'approvisionnement. À la suite de la crise russo-ukrainienne, la Commission européenne a publié un rapport sur le sujet et réalisé des tests de résistance.
Pour atteindre ces trois objectifs, la politique de l'Union a notamment consisté à créer un marché européen intégré de l'énergie, en particulier dans les secteurs de l'électricité et du gaz, où il n'existait pas, les réseaux ayant été largement organisés sur une base nationale, avec des opérateurs en situation de monopole. Il s'agit d'une politique indispensable. L'ouverture des marchés s'est faite de façon très progressive, au moyen de trois paquets législatifs, en 1996, 2003 et 2009. Les étapes les plus tangibles ont été l'ouverture du marché aux clients non résidentiels – c'est-à-dire essentiellement industriels – en 2004, puis celle à tous les clients le 1er juillet 2007. Les clients peuvent désormais choisir librement leur fournisseur. Les chefs d'État et de Gouvernement de l'Union ont rappelé à plusieurs reprises leur intention d'achever le marché intérieur de l'énergie en 2014, les progrès étant plus lents que prévu.
Sur la base du deuxième paquet législatif, la Commission européenne avait engagé des procédures contre neuf États membres à propos de tarifs réglementés appliqués aux clients résidentiels – aucune ne portait sur les tarifs appliqués aux particuliers. Elle a mis un terme à toutes ces procédures – sauf à l'une d'entre elles, qui concerne les tarifs du gaz en Pologne –, en tenant compte soit de décisions qui ont prévu une suppression progressive des tarifs réglementés pour les industriels, soit de promesses, comme cela a été le cas pour la France, avec la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME), adoptée en 2010. Une procédure demeure pendante devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) concernant ces tarifs. Elle devrait apporter des clarifications s'agissant de leur compatibilité avec la directive relative au marché intérieur de l'électricité.
Quant au troisième paquet, il aurait dû être transposé en mars 2011. Or tel n'a pas été le cas dans de nombreux États membres. La Commission européenne termine son examen de la transposition ; elle vérifie actuellement si l'intégralité des textes de transposition est conforme au cadre législatif européen.
Outre ce cadre législatif, les règles de la concurrence s'appliquent dans le secteur de l'énergie. Certaines d'entre elles s'adressent aux entreprises, notamment l'interdiction des cartels et des abus de position dominante. D'autres s'adressent aux États membres, telles les règles en matière d'aides d'État. À cet égard, je souhaite mentionner deux décisions importantes prises par la Commission européenne en ce qui concerne les tarifs de l'électricité. D'une part, à la suite de l'arrêt Association Vent de colère ! qui a été rendu par la CJUE, la Commission européenne a approuvé cet été les aides d'État octroyées aux producteurs d'énergies renouvelables, tout en ouvrant une procédure d'enquête approfondie sur les exemptions à la CSPE dont bénéficient les industries électro-intensives. D'autre part, en 2012, elle avait considéré que les tarifs réglementés jaune et vert – elle ne s'était pas intéressée au tarif bleu appliqué aux ménages – constituaient des aides accordées par l'État aux entreprises, mais qu'elles étaient compatibles avec le droit européen sous certaines conditions.
La première de ces conditions était la mise en place de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH). Elle était assortie de l'exigence que la France soumette à la Commission européenne son projet de méthode de calcul du tarif de l'ARENH, ce qu'elle a fait cet été avec un certain retard, l'échéance initialement prévue étant le début de l'année 2013. Ce projet est en cours d'examen par la direction générale de la concurrence. Ma collègue Céline Gauer, qui travaille dans cette direction générale, pourra certainement vous en dire plus lorsque vous l'auditionnerez, la semaine prochaine. La deuxième condition était une réduction progressive de l'écart entre les tarifs réglementés et les coûts totaux de production. La troisième était la fin de ces tarifs réglementés pour les grands et moyens consommateurs, au plus tard le 31 décembre 2015, ce qui est prévu par la loi NOME.
La réglementation des tarifs est une question très complexe, qui préoccupe de nombreux États membres. Il est bon qu'ils en discutent. À cet égard, je ne peux que me féliciter du travail de votre commission d'enquête, d'autant qu'elle s'est fixé des objectifs en matière de transparence des tarifs. Comme vous l'avez indiqué dans votre introduction, monsieur le président, les tarifs doivent refléter les coûts. Si tel n'est pas le cas, non seulement cela conduit à accumuler des déficits – qui constituent, selon les cas, un problème pour les finances de l'État ou pour celles de l'entreprise –, mais cela crée aussi des obstacles à l'entrée sur le marché de l'électricité, qui perd alors son caractère contestable. Les tarifs réglementés ont des effets négatifs particulièrement marqués lorsqu'ils sont inférieurs aux coûts de production. En effet, les prix doivent en principe donner un signal non seulement aux investisseurs, mais aussi aux consommateurs. Avec des prix artificiellement bas, les consommateurs ne sont pas incités à modérer leur consommation. D'autre part, des tarifs réglementés inférieurs aux coûts constituent une barrière pour les nouveaux entrants sur le marché. Et, même lorsqu'ils sont supérieurs aux coûts, ils peuvent constituer un obstacle, dans la mesure où les consommateurs ne sont pas incités à changer de fournisseur, soit parce qu'ils estiment que le gain n'en vaut pas la peine, soit parce qu'ils ont l'impression d'être protégés par ces tarifs.
Protéger les consommateurs contre les fluctuations de prix excessives est une bonne chose ; il s'agit même d'une obligation s'agissant des consommateurs en situation de précarité énergétique. Mais peut-on le faire sans entraver la concurrence, sans décourager l'innovation en matière de services de l'énergie et sans accumuler les déficits ? Tel est le défi. Certains États membres, en particulier la Belgique récemment, ont choisi d'apporter une aide ciblée aux consommateurs les plus vulnérables, tout en surveillant très étroitement l'évolution des prix. Cela nous paraît une excellente solution. À ce stade, la Commission a choisi de coopérer avec les États membres en matière de tarifs réglementés appliqués aux clients résidentiels. Elle a mené des dialogues approfondis très constructifs avec eux afin de trouver la meilleure façon de répondre à ce défi en tenant compte des objectifs qu'ils se sont eux-mêmes fixés, notamment celui d'achever le marché intérieur de l'énergie.