Intervention de Anne Houtman

Réunion du 19 novembre 2014 à 17h00
Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Anne Houtman, conseillère principale auprès du directeur général de l'énergie à la Commission européenne :

Les déficits tarifaires existent dans une dizaine d'États membres. En Allemagne et en Italie, il s'agit seulement de déficits temporaires, liés à une sous-estimation préalable des coûts futurs des énergies renouvelables. Le déficit tarifaire observé en Grèce est lui aussi dû, en partie, aux énergies renouvelables. En Bulgarie, en Roumanie, en Hongrie, en Lettonie et à Malte, les déficits tiennent au fait que les tarifs sont inférieurs aux coûts. Telle est également l'une des deux causes du déficit observé en France, l'autre étant les obligations de service public, c'est-à-dire la CSPE.

S'agissant des tarifs, il convient de se poser la question d'une convergence. Dans un marché libéralisé, il faudrait en principe que, à chaque étape – production, transport, distribution, commercialisation –, les prix reflètent le mieux possible les coûts. À défaut, le marché ne peut pas fonctionner correctement. Quant aux coûts liés à la CSPE, une partie d'entre eux provient des subventions aux énergies renouvelables. La France n'est d'ailleurs pas le pays où le soutien aux énergies renouvelables se fait dans les conditions les moins satisfaisantes : elle a essayé de minimiser les coûts en lançant des appels d'offres.

La Commission européenne a examiné la question des subventions aux énergies renouvelables et a constaté que différents problèmes se posaient. Dans certains États membres, les opérateurs ont bénéficié d'une surcompensation, parce que les mécanismes de soutien mis en place n'ont pas tenu compte du fait que les technologies devenaient matures et que leurs coûts se rapprochaient de ceux des énergies traditionnelles. Par conséquent, les subventions n'ont pas été ajustées à la réduction de l'écart avec les coûts du marché. L'autre problème a été que les États membres ont cherché à atteindre leurs objectifs d'augmentation de la part des énergies renouvelables dans la consommation d'énergie en se basant essentiellement sur la production nationale, sans tenir compte du fait qu'il existait un marché européen sur lequel ils disposaient d'un choix plus large et pouvaient éventuellement trouver des énergies renouvelables, notamment éolienne et solaire, produites à des coûts moindres que sur leur propre territoire. En raison de ces deux facteurs, les énergies renouvelables ont coûté plus cher qu'elles n'auraient dû. Cela a beaucoup pesé sur les charges comme sur les taxes, les coûts se répercutant sur l'ensemble du système énergétique.

La Commission européenne a adopté, en avril dernier, de nouvelles lignes directrices concernant les aides d'État en matière de protection de l'environnement et d'énergie. Publiées au Journal officiel de l'Union européenne le 28 juin, elles prévoient notamment la possibilité de subventionner les énergies renouvelables. Les grands principes qui s'appliquent en matière d'aides d'État sont les suivants : l'aide doit poursuive un objectif d'intérêt commun au niveau européen, condition que remplissent incontestablement les aides aux énergies renouvelables ; on doit constater une défaillance du marché, à savoir que le simple jeu des mécanismes du marché ne permet pas d'atteindre cet objectif ; l'aide doit être proportionnée, c'est-à-dire limitée au minimum nécessaire. Les règles détaillées qui figurent dans les lignes directrices découlent de l'application de ces principes.

S'agissant de la problématique de la concurrence internationale, un chapitre particulier des lignes directrices prévoit expressément la possibilité d'exempter les industries électro-intensives de certaines charges ou de certaines taxes liées au soutien aux énergies renouvelables. Si l'électro-intensité de ces entreprises dépasse un certain seuil et si elles sont considérées comme étant exposées à la concurrence internationale – ce critère s'appréciant notamment au regard de la part des exportations dans le chiffre d'affaires du secteur considéré –, elles peuvent bénéficier d'exemptions. Celles-ci ne peuvent cependant pas être totales, la Commission européenne estimant que ces entreprises doivent elles aussi contribuer, même de manière limitée, aux mécanismes de soutien aux énergies renouvelables. La contribution minimale est, en principe, de 15 % des coûts supplémentaires engendrés par ces mécanismes. Elle peut toutefois être limitée à 0,5 % de la valeur ajoutée brute pour les industries électro-intensives, contre 4 % pour les autres entreprises.

Avant de publier ces lignes directrices, la Commission européenne a largement consulté les États membres – qui ont fait part de leurs observations sur le projet de texte – et les différents acteurs du secteur, entreprises, associations et ONG. Le résultat tient donc compte de la problématique dans son ensemble. Les exemptions pour les industries électro-intensives, qui n'étaient pas possibles auparavant en matière d'aides d'État, sont analogues à celles qui existent pour ces mêmes entreprises dans le cadre du système d'échange de droits d'émission de dioxyde de carbone.

Pour ce qui est de la France, le seul dossier pendant en matière d'aides d'État concerne les exemptions dont bénéficient les industries électro-intensives – celui qui portait sur l'aide aux producteurs d'énergies renouvelables est désormais clos. La Commission européenne a ouvert cette procédure à un moment où les nouvelles lignes directrices n'étaient pas encore publiées – les anciennes n'auraient pas permis d'approuver ces exemptions. Ce dossier est d'ailleurs assez comparable au dossier allemand, auquel les Français sont très sensibles. Sur la base des nouvelles lignes directrices, la Commission européenne a récemment approuvé les aides pratiquées en Allemagne, mais après que celle-ci a restreint à la fois leur champ d'application et leur niveau.

Que faudrait-il revoir dans le dispositif français pour réduire les coûts et les tarifs ? Plusieurs composantes entrent en ligne de compte. Les prix de gros de l'électricité à l'intérieur de l'Union européenne sont pratiquement deux fois supérieurs à ceux observés chez certains de nos grands concurrents internationaux. La différence tient essentiellement aux coûts de nos réseaux et aux taxes et prélèvements. Nos réseaux coûtent certes plus cher, mais ils sont aussi, selon notre analyse, beaucoup plus fiables que ceux de nos partenaires : les fluctuations sont moins importantes et les interruptions moins fréquentes, ce bénéfice économique n'étant pas directement pris en compte dans la mesure où il s'agit d'une externalité. Quant aux taxes et prélèvements, ils sont essentiellement destinés à couvrir les coûts des énergies renouvelables. Comme je l'ai indiqué, il faut essayer de limiter les subventions aux énergies renouvelables à ce qui est strictement nécessaire. Ces technologies deviennent progressivement matures et devraient, à terme, pouvoir se passer de subventions. Il conviendrait que les mécanismes de soutien le prévoient. En revanche, cela ne doit pas empêcher d'accorder des subventions à des technologies qui ne sont pas, elles, matures et qui ont besoin d'un soutien pour devenir efficaces. Par ailleurs, des gains peuvent certainement être réalisés si les États membres envisagent le marché de manière plus large, c'est-à-dire s'ils ne s'approvisionnent pas que sur leur marché national.

La concurrence est bien un facteur de réduction des coûts et des tarifs. En France, l'opérateur national détient plus de 90 % du marché de l'électricité ; on ne peut donc pas dire que le marché français soit ouvert, qu'il s'agisse du marché de détail ou du marché de gros. Il est difficile d'apprécier les conséquences de la libéralisation du marché de l'électricité en France : ses effets ne se sont pas encore fait sentir, notamment en raison des tarifs réglementés, qui ont joué un rôle de barrière à l'entrée.

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