Intervention de Philippe Kemel

Réunion du 18 novembre 2014 à 17h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Kemel, rapporteur :

Le président de la mission vient de rappeler l'ensemble des auditions auxquelles nous avons procédé et le contexte dans lequel le rapport avait été demandé, à un moment où nombre d'observateurs pointaient un certain reflux des investissements étrangers en France, rendant nécessaire de vérifier l'existence de ce phénomène et d'en cerner les causes éventuelles.

L'ensemble des auditions auxquelles nous avons procédé montre que les investissements directs étrangers (IDE) se sont surtout développés parallèlement à l'essor des échanges commerciaux internationaux, et selon une logique propre aux systèmes de production qui, plutôt que d'exporter ou d'importer de la marchandise, se sont mis progressivement à exporter machines et outils – ce que l'on appelle les facteurs de production. C'est à partir des années 1980, notamment entre 1985 et 1990, que les flux d'investissements étrangers entrants et sortants ont quadruplé en valeur, passant de 50 à 200 milliards de dollars courants, et cette évolution n'a pas cessé jusqu'à ce jour, à l'exception de deux périodes de crise : 2000-2003 et 2008-2009. On sait qu'il y a investissement étranger dans un pays lorsqu'il y a une logique d'approche commerciale, lorsque la présence d'un facteur de production est susceptible de conférer un avantage compétitif à la firme, ou lorsque celle-ci doit adapter le système de production aux contingences locales.

La logique des IDE relève, pour la France comme pour l'Europe occidentale et pour les États-Unis et pour l'Europe, de ce que l'on peut appeler la maturité économique. Le « stock » accumulé des investissements étrangers en France détermine une partie de son système productif, particulièrement dans l'industrie, où l'on estime qu'ils représentent 30 % de l'activité. L'évolution récente vers une économie-monde fait cependant que de plus en plus de pays émergents, notamment asiatiques, arrivent à leur tour à maturité, si bien que le poids relatif des États-Unis et de l'Europe dans le total des IDE tend à diminuer, même si les résultats français sont stables en valeur absolue.

Il existe une multitude de définitions et d'approches permettant d'estimer la contribution des IDE à l'économie réelle. Ces définitions varient fortement selon les organismes, les uns s'intéressant surtout aux flux de capitaux, les autres aux flux, nettement plus faibles – de l'ordre de 10 % du total – qui alimentent directement l'économie réelle. Pour notre part, nous avons retenu la seconde option, partagée notamment par l'Association française de finance (AFFI) et par la direction générale du Trésor, et considéré les opérations en termes de valeur, de production industrielle et de nombre d'emplois générés, plutôt que, par exemple, les mouvements de capitaux ou les mouvements financiers en provenance des fonds souverains. Il peut s'agir de prises de participations ou de créations de site ex nihilo, comme dans le cas de Mars ou de Toyota.

Parmi les pays européens, la France est incontestablement l'un de ceux qui attirent ce type d'investissement. Son système productif est davantage tourné vers les services, la logistique, l'activité bancaire, tandis que la part de l'industrie a fortement diminué au cours des dernières années a fortement diminué, jusqu'à ne plus représenter aujourd'hui que 13 à 14 % du PIB. Or, il n'y a d'attraction des IDE que dans les secteurs où nous existons et sommes compétitifs : Toyota investit en France parce qu'il y a une industrie automobile qui dispose d'un réseau de développement européen, Mars, parce qu'il existe une industrie agroalimentaire. Ce sont donc les conditions mêmes de notre système productif qui font notre attractivité.

Nous avons aussi des atouts objectifs : notre situation géographique privilégiée en Europe, notre vitalité démographique, la qualité de notre cadre de vie, de nos infrastructures, de notre système éducatif, universitaire et de recherche, la productivité de notre main-d'oeuvre – dont on aurait tort de ne considérer que le coût. Quant à notre environnement juridique et fiscal, dont le président Brottes a souligné qu'il pourrait être amené à évoluer, une constante demeure, que toutes les personnes auditionnées ont mentionné comme un élément déterminant de l'attractivité de la France : le crédit d'impôt recherche (CIR).

Il existe donc incontestablement un environnement favorable, fondé sur les atouts de la France et sur la substance de l'économie française – et c'est pourquoi, dès lors que celle-ci a perdu de la richesse en termes de production réelle, elle a du même coup de sa capacité d'attraction, qu'il s'agit aujourd'hui de reconquérir, en analysant le type d'investissements étrangers dont nous avons besoin. Nous pouvons distinguer entre trois catégories.

La première est celle des investissements « vertueux », tels ceux de Mars ou de Toyota – mais ce ne sont pas les seuls exemples. Vertueux, ils l'ont été parce que les valeurs et le métier de l'investisseur ont rencontré ceux du territoire. Ainsi, lorsque Toyota vient à Valencienne, l'entreprise, qui apporte sa culture japonaise des « flux tendus » et a un réel projet de long terme, sait nouer de bonnes relations de dialogue avec les représentants des salariés comme avec les élus de la ville – dont Jean-Louis Borloo est alors le maire. Il en a été de même pour Mars : le partage du projet économique avec les salariés et le soutien inconditionnel du territoire donnent des résultats particulièrement positifs.

Il existe, inversement, des investissements destructeurs d'activité, voire prédateurs, dont le but ultime est de phagocyter la substance de l'entreprise, dans une logique de pure rentabilité financière. Nombre d'opérations de leverage buy-out (LBO), par exemple, visent en fait à racheter les actifs pour les revendre ensuite, ce qui peut être très déstabilisant pour le territoire.

Enfin, les start-up constituent une troisième catégorie d'investissement, qui s'appuie sur la recherche. Cependant, ces entreprises n'ont souvent pas les moyens de développer leur activité en France et le font donc à l'extérieur, de sorte qu'il n'y a pas d'effet d'entraînement sur l'économie réelle.

C'est l'ensemble de ces éléments qui servira de base au rapport dont nous allons maintenant discuter les éléments. Il nous faudra pour cela dire quelle vision nous avons de l'avenir de notre système productif, à travers les trente-quatre plans industriels, le développement de notre innovation, la stabilité de notre système fiscal et les signaux que nous adressons à l'extérieur. Notre indépendance nationale repose sur la maîtrise de certains secteurs essentiels pour notre production de valeur ajoutée, pour la création d'emplois, d'activités et de richesses.

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