Intervention de présidente élisabeth Guigou

Réunion du 8 octobre 2014 à 8h15
Commission des affaires étrangères

présidente élisabeth Guigou :

Il est assez rare que la commission des affaires étrangères accueille le ministre de l'intérieur : c'est, en tout cas, une première au cours de cette législature. Merci d'avoir accepté notre invitation, monsieur le ministre. Il était indispensable que nous vous entendions, tant la sécurité extérieure et la sécurité intérieure de notre pays sont liées, à plus forte raison avec la menace terroriste très importante qui pèse actuellement sur lui.

Les succès militaires de Daech en Irak et en Syrie – les djihadistes viennent de prendre les faubourgs de Kobané, à la frontière turque – en ont fait un pôle d'attraction pour une nouvelle génération de terroristes. Ceux-ci viennent du monde entier, ils sont souvent très jeunes et très radicalisés, en général par une propagande active diffusée sur internet – à cet égard, nous avons pu lire récemment le témoignage d'une très jeune fille. Même si elle n'est pas la seule concernée, la France est particulièrement exposée au péril que représentent ces combattants étrangers qui reviennent au pays après s'être formés au djihad en Syrie ou en Irak et qui risquent de commettre des attentats sur le sol national. À votre initiative, monsieur le ministre, l'Assemblée nationale a adopté le mois dernier un projet de loi visant à renforcer notre arsenal législatif en matière de lutte contre le terrorisme. Ce texte est actuellement examiné par le Sénat. D'autre part, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté à l'unanimité, le 24 septembre dernier, une résolution qui demande à tous les États membres de prendre des mesures préventives afin d'empêcher les départs, de coopérer entre eux et de sanctionner les djihadistes à leur retour.

Le nombre de Français candidats au djihad qui sont partis combattre en Syrie ou en Irak n'a cessé d'augmenter au cours des derniers mois. Le ministre de la défense, que nous avons reçu récemment, nous a communiqué des chiffres, qui ont sans doute encore évolué depuis lors. Nous souhaiterions connaître les dernières estimations : combien de Français se trouvent actuellement en Syrie ou en Irak ? Combien sont prêts à partir, en transit ou revenus ? Combien ont été tués au cours des combats ? Dans quelles circonstances ? Dans l'attente de l'adoption définitive du projet de loi, quelles mesures avez-vous mises en oeuvre pour appréhender ces individus ? Quels résultats avez-vous pu obtenir ? Vos services ont procédé à de nombreuses arrestations, soit à titre préventif, soit en vue de sanctionner des Français de retour du djihad.

Les ratés dans l'arrestation de trois djihadistes français revenus de Syrie en passant par la Turquie ont suscité de nombreuses questions. Vous vous êtes expliqués à deux reprises, monsieur le ministre, sur les problèmes de transmission de l'information. Sans doute reviendrez-vous sur ce sujet. Quel est, en premier lieu, le rôle de la Turquie ? Ce pays est la porte d'entrée de 90 % des combattants étrangers en Syrie et en Irak. Or les autorités turques semblent avoir réagi tardivement à ce phénomène, en mettant en place des listes de combattants étrangers à expulser vers leur pays d'origine et en renforçant leur coopération avec les services de renseignement des pays concernés. À la suite des dysfonctionnements que j'ai rappelés, vous avez rencontré votre homologue turc à Ankara. Quelle analyse faites-vous de notre coopération avec la Turquie ? Avez-vous pu prendre des mesures concrètes pour prévenir de nouveaux dysfonctionnements ? Quelles sont nos attentes à l'égard des Turcs et, réciproquement, quelles sont leurs attentes à notre égard ?

Cette affaire a aussi révélé l'urgente nécessité d'une réponse européenne à la menace terroriste au sein de l'espace Schengen. En application des accords de Schengen, la suppression des frontières intérieures de l'Union européenne entre la plupart des États membres devait s'accompagner d'un contrôle accru aux frontières extérieures et d'un renforcement de la coopération entre États membres. Vous l'avez vous-même souligné, monsieur le ministre : notre dispositif national serait voué à l'inefficacité en l'absence d'initiatives européennes. Vous avez notamment précisé que les trois djihadistes ne seraient pas passés à travers les mailles du filet si nous avions disposé, au niveau européen, d'un registre de données des dossiers passagers – passenger name record (PNR) – permettant de partager des informations sur les personnes qui transitent par les plates-formes aéroportuaires. La mise en place d'un tel registre tarde en raison, semble-t-il, d'obstacles au Parlement européen. D'autre part, l'interdiction de sortie du territoire prévue par votre projet de loi à l'encontre des personnes suspectées de vouloir partir faire le djihad ne pourra être efficace que si le système d'information Schengen (SIS) est adapté de telle façon que cette interdiction y soit signalée. Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, où vous en êtes de vos démarches pour mobiliser nos partenaires européens sur ces deux sujets cruciaux pour notre sécurité ?

Le point fort des terroristes de Daech est leur communication via les sites internet et les réseaux sociaux, sur lesquels ils affichent des images d'une cruauté inouïe. Ils parviennent ainsi à recruter d'autres jeunes. Le projet de loi que vous avez présenté comporte des mesures qui permettront de bloquer les sites faisant l'apologie du terrorisme, mais rien n'est prévu pour les réseaux sociaux. Vous semble-t-il possible de mettre en place une véritable contre-propagande, susceptible de faire pièce au message terroriste ? Vous êtes aussi le ministre chargé des cultes. Comment associer à cette communication les responsables religieux, en particulier musulmans ? Ceux-ci se sont déjà exprimés publiquement et ont participé à des manifestations contre le terrorisme. Mais peut-on faire plus et mieux de ce point de vue, en évitant cependant de tomber dans la stigmatisation des communautés musulmanes ? C'est, bien sûr, la communauté nationale dans son ensemble qui doit réagir.

Enfin, en matière de politique d'asile et d'immigration, que faisons-nous pour les minorités qui sont persécutées par Daech ? Les Kurdes en particulier, dont les compatriotes sont pris en étau dans la ville de Kobané, ont manifesté devant l'Assemblée nationale.

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