Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 8 octobre 2014 à 8h15
Commission des affaires étrangères

Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur :

Je remercie votre commission de m'offrir l'hospitalité pour évoquer la lutte contre le terrorisme. Celle-ci revêt une dimension nationale : nous devons protéger nos ressortissants contre les risques liés aux activités des combattants étrangers, Français pour certains, qui sont partis sur le théâtre des opérations djihadistes en Syrie ou en Irak. Elle présente aussi une dimension européenne et internationale : nos services de renseignement et de police coopèrent avec leurs homologues d'autres pays. Elle a, enfin, une dimension diplomatique et militaire, sur laquelle je ne souhaite pas m'exprimer, car elle relève de la compétence d'autres ministres.

Je souhaite insister, premièrement, sur la dimension exceptionnelle et inédite du problème auquel nous sommes confrontés. La France a déjà eu à affronter le terrorisme au cours des dernières décennies : l'action de groupes politiques radicalisés tels qu'Action Directe ou celle de groupes qui s'étaient structurés de façon très isolée à l'étranger et avaient commis des attentats ponctuels en France avant de repartir à l'étranger – je pense notamment à des groupes qui s'étaient constitués en Algérie au lendemain de la guerre d'Afghanistan tels que le Groupe islamique armé (GIA). Mais nous avons désormais affaire à une nouvelle problématique : celle d'un terrorisme en libre accès. Profitant de la numérisation de la société, les groupes terroristes développent une propagande très efficace sur internet, qui conduit un très grand nombre de ressortissants de l'Union européenne à s'engager dans des actions terroristes non seulement en Syrie et en Irak, mais aussi dans la bande sahélo-saharienne, où le terrorisme a essaimé avec, entre autres, Ansar Al-Charia, Al-Qaïda au Maghreb islamique, Boko Haram et Al-Mourabitoune. Ces groupes, plus ou moins liés entre eux, commettent tous des crimes et des exactions spectaculaires qui choquent les esprits.

De plus, la déréliction de l'État dans un certain nombre de pays permet aux terroristes de développer leur activité sans trop de contrôles. La Libye, en particulier, est devenu l'un des foyers les plus problématiques, à partir duquel le terrorisme essaime, notamment en Afrique du Nord. Elle est, par ailleurs, l'un des principaux pays de départ des migrants vers plusieurs pays de l'Union européenne. Si beaucoup de ces migrants – nous le constatons à Calais – fuient les persécutions, les tortures et les exécutions commises par les groupes terroristes, d'autres sont victimes d'une véritable traite des êtres humains : après avoir prélevé sur eux des sommes considérables, des acteurs de l'immigration irrégulière les poussent à emprunter des embarcations de fortune pour traverser la Méditerranée. Ces migrants sont alors exposés à des dangers considérables – mort, naufrage – et arrivent en Italie dans les conditions que nous savons. Tel est le contexte global et tels sont les risques qui pèsent sur nos pays.

Le ministre des affaires étrangères et le ministre de la défense ont rappelé devant cette commission et d'autres l'action que nous conduisons au sein de la coalition. À cet égard, je souhaite évoquer la mémoire de notre compatriote Hervé Gourdel : c'est parce que la France incarne des valeurs et des principes, en particulier l'attachement à la démocratie et aux droits de l'homme, que des groupes terroristes veulent la toucher au coeur. Les terroristes commettent ces crimes pour impressionner, semer la peur, instiller la terreur au sein des démocraties pour tenter de les déstabiliser. Nous sommes, avec les Français, sous le coup de l'émotion causée par ce crime abject, manifestation de l'horreur absolue. Mais, face à ces événements, nous devons aussi être capables de garder notre sang-froid et notre calme, afin d'arrêter tous les dispositifs qui permettent d'assurer la sécurité des Français.

Je souhaite insister, deuxièmement, sur l'ampleur du phénomène : nous assistons à des départs très importants de ressortissants de l'Union européenne vers le théâtre des opérations djihadistes en Syrie ou en Irak. Pour ce qui est de la France, le nombre de ses ressortissants combattant au sein des groupes terroristes Daech et Jabhat Al-Nosra a considérablement augmenté au cours des six derniers mois : il est passé de 234 à plus de 350, dont 76 femmes et 9 mineurs. En outre, 233 Français ont manifesté des velléités de départ, 184 sont en transit et 199 ont quitté la Syrie. Au total, le nombre de nos compatriotes liés de près ou de loin à des groupes ou a des activités terroristes est passé de 555 à près de 1 000 au cours des six derniers mois, soit une augmentation de 82 %.

En ce qui concerne les autres pays, d'après des chiffres du mois de mai, sur environ 8 600 volontaires étrangers engagés dans les groupes terroristes en Irak et en Syrie, 2 000 seraient des Européens, soit 10 % de l'effectif global de ces groupes. Les principaux contingents proviendraient du Liban et de la Jordanie – 2 000 combattants pour chacun de ces deux pays –, de la Tunisie – 1 500 à 2 000 combattants –, de l'Égypte – 1 000 –, du Maroc – 800 –, mais aussi de pays européens, en particulier du Royaume-Uni – entre 300 et 400 –, de l'Allemagne – 300 –, de la Belgique – de 200 à 300 –, de l'Espagne – autour de 100. Le Canada, l'Australie, les États-Unis et un certain nombre de pays d'Asie du Sud-Est sont également concernés. À l'occasion de mon récent déplacement à Ankara, les autorités turques m'ont indiqué avoir effectué des contrôles sur des combattants étrangers de 83 nationalités différentes.

Face à cette réalité, il faut que nous parvenions à prendre des dispositions qui permettent de protéger les Français. C'est ce que nous avons voulu faire, en agissant dans trois domaines : la prévention ; la répression, qui passe à la fois par un contrôle plus efficace des départs et par la judiciarisation de la situation de ceux qui reviennent des théâtres d'opérations terroristes ; une action européenne et internationale forte. Si la France n'agissait pas en coopération avec ses partenaires de l'Union européenne et avec un certain nombre de d'autres pays, les mesures que nous arrêtons perdraient une grande partie de leur efficacité.

S'agissant de la prévention, aussitôt après la communication que j'ai présentée en Conseil des ministres le 23 avril dernier, c'est-à-dire un mois à peine après ma prise de fonctions, nous avons mis en place une plate-forme de signalement permettant aux familles de faire part au ministère de l'intérieur du risque de basculement d'un de leurs membres, jeune ou moins jeune, vers des groupes ou des activités terroristes. Les parents peuvent avoir constaté des phénomènes de radicalisation ou bien détecté des informations témoignant de la volonté de leur enfant ou de leur proche de s'engager dans un groupe avec lequel il est entré en relation. L'activité de cette plate-forme est montée en puissance : nous en sommes à 450 signalements depuis le mois d'avril. Il s'agit d'un dispositif à vocation strictement préventive : aux termes de la circulaire que j'ai adressée à tous les préfets, lorsqu'un cas est signalé, le préfet compétent, en liaison avec le procureur de la République, réunit l'ensemble des administrations de l'État et des collectivités territoriales concernées, y compris les services qui dépendent de mon ministère, afin d'arrêter des dispositions sur mesure qui visent à éviter le basculement. Cette réponse préventive peut consister à mobiliser l'éducation nationale, des compétences médicales – le basculement est parfois le résultat de problèmes psychologiques ou psychiatriques – ou encore les services d'accompagnement de l'enfance relevant des conseils généraux. Les familles sont associées très étroitement à ce travail : nous avons mis en place, autour de la mission dirigée par Serge Blisko, un dispositif qui permet d'être à leur écoute et de les accompagner.

J'ai souvent lu dans la presse que j'avais arrêté des dispositions exclusivement répressives. C'est faux et cela traduit une méconnaissance totale de notre action, en dépit de l'effort pédagogique que je déploie pour la faire connaître. Tout ce que nous faisons n'apparaît pas nécessairement dans la loi : certains sujets ne relèvent pas de la compétence du législateur, et certaines administrations n'avaient pas besoin d'une loi pour être mobilisées. Nous avons donc agi en amont de l'adoption de la loi. Les préfets de tous les départements dans lesquels résident des jeunes concernés par les phénomènes de radicalisation m'adressent chaque semaine des rapports, que nous lisons méticuleusement et qui sont analysés par l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT). Nous menons un travail préventif très fin.

Nous avons ensuite voulu prendre un certain nombre de dispositions à caractère législatif afin de protéger les Français. J'ai lu là aussi des commentaires très approximatifs, qui relèvent de la posture adoptée de manière traditionnelle, voire systématique dès qu'un texte antiterroriste est examiné par le Parlement, mais qui sont sans rapport avec le contenu réel du projet de loi que j'ai présenté.

Une première mesure vise à empêcher les départs : nous pourrons prononcer une interdiction administrative de sortie du territoire dès lors que nous disposerons, de la part de nos services, d'éléments concordants et significatifs témoignant de la volonté d'un ressortissant français de s'engager dans des opérations terroristes à l'étranger. D'une part, nos compatriotes s'exposent lorsqu'ils s'engagent dans de telles opérations : entre 37 et 40 Français ont perdu la vie sur les théâtres d'opérations djihadistes. D'autre part, lorsqu'ils reviennent après avoir été témoins d'exécutions, de crucifixions et autres décapitations, ils ont été à ce point détruits dans leur être et se trouvent dans un état psychologique tel qu'ils sont en situation de commettre des crimes. Je lis ou j'entends parfois que l'interdiction de sortie du territoire porterait gravement atteinte à la liberté d'aller et venir. Je précise que nous prendrons ces décisions pour les raisons que je viens d'indiquer, qu'elles seront destinées, comme toutes les mesures de police administrative, à prévenir des troubles graves à l'ordre public, et qu'elles seront soumises au contrôle du juge administratif qui pourra être saisi en référé à tout moment. Le recours de la personne qui fait l'objet d'une interdiction de sortie du territoire sera examiné dans le cadre d'une procédure contradictoire, et son avocat se verra communiquer la totalité des éléments sur lesquels les services de l'État se sont fondés pour prononcer cette interdiction. Tel est le contenu du projet de loi, que l'on ne retrouve guère dans les commentaires qui prétendent dénoncer son caractère liberticide.

Selon l'une des critiques qui a été formulée, l'avocat n'aurait pas accès aux documents détenus par les services de l'État. C'est faux : de même qu'en matière de droit des étrangers, nous communiquerons sous la forme d'une note blanche, sans qu'il soit besoin de procéder à aucune déclassification, les éléments dont l'avocat a besoin pour assurer la défense du requérant. Nous avons d'ailleurs tout intérêt à le faire : si nous ne communiquions pas ces éléments, nous affaiblirions nous-mêmes notre position devant le tribunal administratif et risquerions de ne pas voir reconnue la légitimité de la mesure préventive que nous avons arrêtée.

Selon un autre argument fréquent, qui a été quelquefois repris, à ma grande surprise, dans le débat parlementaire, le juge administratif ne serait pas un juge des libertés. En France, le seul juge des libertés serait le juge judiciaire. Or le juge administratif est, je le rappelle, l'un des juges qui a le mieux défendu les libertés publiques au cours de notre histoire, y compris dans les moments les plus compliqués. De très nombreux arrêts de la jurisprudence administrative en témoignent, tels que les arrêts Benjamin et Canal, rendus respectivement en 1933 et en 1962. L'idée que le juge administratif serait le bras armé de l'État et lui permettrait de porter atteinte aux libertés publiques relève absolument de la posture et totalement de la méconnaissance du droit.

Une deuxième mesure du projet de loi vise à bloquer l'accès aux sites internet qui diffusent des images et de la propagande incitant à basculer dans le terrorisme. Elle suscite des interrogations légitimes. Je réponds d'abord à celles qui portent sur les libertés publiques. Nous avons décidé de sortir de la loi sur la liberté de la presse les délits de provocation aux actes de terrorisme et d'apologie de ces actes pour les introduire dans le code pénal. L'objectif est d'améliorer la clarté et l'efficacité des procédures. De plus, les appels à la décapitation, au meurtre des Juifs à la sortie des synagogues ou à l'engagement dans des groupes terroristes qui commettent les crimes les plus abjects et les plus barbares n'ont rien à voir avec la liberté d'expression. Loin d'être choquante, la pénalisation de ces actes est une nécessité dans le contexte actuel : il faut prendre la mesure du problème auquel nous sommes confrontés. J'assume totalement cette position devant votre commission, de la même manière que je l'ai fait en séance publique et que je le ferai devant le Sénat. Je l'assume d'autant plus volontiers que la décision de bloquer l'accès aux sites sera soumise là aussi au contrôle du juge administratif. En outre, elle ne sera prise qu'après l'intervention d'une personnalité qualifiée et que si les opérateurs, informés par nos services, n'ont pas procédé aux démarches que ceux-ci leur ont demandé d'accomplir.

D'autres interrogations portent sur l'efficacité de cette mesure. Nous avons eu un débat transpartisan sur ce point lors de l'examen du texte en première lecture à l'Assemblée. Je ne nie pas qu'il existe des problèmes techniques et que le dispositif peut être contourné. Néanmoins, quand bien même je ne parviendrais à empêcher l'accès à ces sites qu'à 20 % de ceux qui les fréquentent, cette disposition serait encore utile. D'autre part, elle a une vocation pédagogique à l'égard de tous les acteurs du numérique. Contrairement à ce que vous avez dit, madame la présidente, elle s'appliquera également aux réseaux sociaux. Je rencontrerai d'ailleurs demain, avec mes homologues de l'Union européenne, les responsables de grands groupes du secteur internet, notamment Google, Facebook et Twitter. Nous leur ferons part des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Nous ferons valoir que nous sommes attachés au grand espace de liberté que constitue internet et que nous ne souhaitons nullement mettre en place des dispositifs attentatoires aux libertés publiques, mais que la liberté va selon nous de pair avec une responsabilité collective. Si, dans les rues de Paris, des individus brandissaient des pancartes appelant à la décapitation ou à la crucifixion, vous me demanderiez légitimement, toutes tendances politiques confondues, ce que j'entreprends pour faire cesser ces troubles à l'ordre public. De tels actes seraient-ils donc légitimes dès lors qu'ils sont commis sur internet ? J'appelle chacun à la réflexion sur ces sujets complexes. Les équilibres en jeu méritent d'être analysés au fond et à fond par la représentation nationale. Je me livre bien volontiers à ce débat, mais je souhaite en poser tous les termes, car il en va de l'efficacité de notre action face aux terroristes.

Une troisième disposition du projet de loi consiste à incriminer l'entreprise individuelle terroriste. Les nombreux juges antiterroristes que nous avons consultés dans le cadre de la préparation du texte nous ont expliqué qu'ils étaient confrontés à un nombre croissant de cas qui ne relevaient pas de l'association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste : de plus en plus d'actes terroristes sont préparés dans un cadre strictement individuel, sans aucun lien avec des groupes organisés. Il sera donc de plus en plus difficile aux juges d'engager des poursuites contre les personnes suspectées de tels actes. D'où la nécessité de créer le délit d'entreprise individuelle terroriste. Là encore, j'ai entendu des choses curieuses, dans des émissions ou au cours des débats : il suffirait de consulter un site internet provoquant au terrorisme pour tomber sous le coup de cette nouvelle incrimination pénale. C'est faux : pour que tel soit le cas, il faut que plusieurs éléments soient cumulés, tels que la détention d'armes, la fabrication d'explosifs et la consultation de sites. Si la consultation de sites était à elle seule constitutive du délit, nous créerions un climat qui fragiliserait les équilibres démocratiques que nous souhaitons préserver.

D'autres dispositions du projet de loi permettront, en outre, la perquisition des données stockées à distance – clouds – et l'intervention sous pseudonyme de nos services sur les forums et les réseaux sociaux pour essayer d'identifier et de démanteler les filières.

S'agissant, enfin, des interceptions de sécurité, j'ai parfois lu ou entendu que nous allions désormais écouter tout le monde. Il n'en est rien : le projet de loi ne contient aucune mesure qui viserait à étendre le champ des interceptions de sécurité. En revanche, il comprend une disposition qui allonge la durée de conservation des enregistrements réalisés dans le cadre de ces interceptions, afin de permettre leur traduction et leur exploitation lorsque les locuteurs utilisent des langues rares. En contrepartie, j'ai souhaité que la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) puisse exercer un contrôle accru. Nous en avons d'ailleurs discuté avec elle. D'une manière générale, avec ce projet de loi, chaque fois que nous renforçons une disposition visant à assurer la sécurité des Français, nous renforçons aussi, en contrepartie, les contrôles exercés soit par le juge administratif soit par la CNCIS, afin de maintenir, en dépit du contexte exceptionnel, l'équilibre qui a toujours prévalu dans les lois antiterroristes en France.

J'en viens à la dimension européenne et internationale de la lutte contre le terrorisme. La politique que nous menons en France n'a aucune chance d'être efficace si elle ne s'accompagne pas d'une action volontariste et coordonnée au niveau européen. Les terroristes, d'où qu'ils viennent, transitent par de multiples pays. D'où la nécessité d'une coopération entre les services de renseignement et de police de ces pays. Quant aux individus qui feront l'objet d'une interdiction administrative de sortie du territoire, ils seront probablement tentés, afin d'échapper aux contrôles dans les aéroports, d'emprunter des moyens de transport dans d'autres pays de l'Union européenne pour se rendre en Turquie. Nous devons donc nous doter des instruments qui nous manquent pour faire face au risque terroriste.

Vous avez très bien présenté les accords de Schengen, madame la présidente : il s'agit non seulement d'une liberté de circulation à l'intérieur de l'espace Schengen pour les ressortissants européens, mais aussi d'un contrôle aux frontières extérieures de cet espace, ainsi que d'une sécurité. Une responsable politique française a proposé de suspendre d'urgence l'application des accords de Schengen. Pour être efficaces dans la lutte contre le terrorisme, je propose pour ma part que nous suspendions d'urgence la démagogie sur ces questions ! Il serait absurde de suspendre Schengen : nous n'aurions plus alors la possibilité de partager les éléments qui figurent dans le SIS avec les autres pays européens, ce qui reviendrait à rendre notre pays totalement aveugle !

Les individus qui feront l'objet d'une interdiction de sortie de territoire en raison de leur projet de participer à des opérations terroristes seront inscrits au fichier des personnes recherchées et feront l'objet d'un signalement Schengen, visible par les autres pays européens. Toutefois, mes collègues européens et moi-même considérons que ce dispositif n'est pas suffisant : il faudrait que l'on puisse inscrire dans le SIS un signalement spécifique « combattant étranger », afin d'exercer une vigilance particulière sur ceux qui se rendent sur les théâtres d'opérations djihadistes ou qui en reviennent. Telle est notre première proposition. Cela permettrait une coopération approfondie et constante entre les services de renseignement et de police des pays de l'espace Schengen, ainsi qu'avec Europol. Non seulement Schengen n'est pas le problème, mais c'est la solution !

D'autre part, nous avons besoin de disposer d'informations précises qui nous permettent de repérer les djihadistes lorsqu'ils transitent par les aéroports, notamment lorsqu'ils reviennent des théâtres d'opérations. La France a décidé la mise en place d'un PNR, qui sera opérationnel en 2016. L'enregistrement des données sera encadré. Il s'agira donc non pas d'un Big Brother destiné à faire intrusion dans la vie privée des citoyens, mais d'un instrument utile dans la lutte contre le terrorisme. Cependant, s'il n'y a pas de connexion entre les fichiers européens, nous n'aurons aucune possibilité de retracer l'itinéraire d'un terroriste en dehors de notre propre espace aérien. Il convient donc de créer un PNR européen. Ainsi que vous l'avez rappelé, madame la présidente, la proposition de la Commission européenne a été rejetée par la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (commission LIBE) du Parlement européen, mais cela s'est produit dans un contexte très différent de celui qui prévaut aujourd'hui. J'ai rencontré le nouveau président de la commission LIBE, un travailliste britannique, avec qui j'ai eu une conversation très franche et directe. J'ai proposé à mes collègues européens de nous rendre ensemble devant la commission LIBE pour exposer les difficultés auxquelles nous sommes confrontés et les raisons qui justifient une nouvelle mobilisation sur ce sujet. Nous devons avancer à partir de la proposition du Conseil, qui est plus équilibrée que celle de la Commission. Elle doit permettre de préserver un équilibre entre la mise en place de nouveaux instruments de lutte contre le terrorisme et le respect des libertés.

Enfin, nous devons examiner de manière méthodique les modifications à apporter au Code frontières Schengen, de manière à renforcer les contrôles dans les aéroports, y compris pour nos propres ressortissants, sans remettre en cause l'esprit de Schengen lui-même. Les discussions au Conseil Justice et Affaires intérieures qui se tiendra ce soir et demain à Luxembourg devraient nous permettre d'avancer sur les trois dossiers que j'ai évoqués : renforcement du SIS, création d'un PNR européen et modification du Code frontières Schengen.

Je reviens, pour finir, sur les dysfonctionnements qui sont apparus la semaine dernière, ainsi que sur nos relations avec la Turquie. Il est tout à fait légitime que le Parlement pose des questions sur ces sujets dans le cadre de sa mission de contrôle du Gouvernement, et je souhaite communiquer à votre commission tous les éléments d'information pertinents.

Il convient d'abord de prendre la mesure de la situation en Turquie, ce que n'ont pas fait les articles parfois très mal informés que j'ai pu lire récemment sur les relations franco-turques. D'une part, une pression considérable s'exerce sur les frontières de la Turquie, qui gère seule – sans concours significatif de la part de l'Union européenne – près de 1,5 million de réfugiés syriens, ce qui lui a d'ailleurs valu les félicitations du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). D'autre part, une grande partie des 8 600 combattants étrangers que j'ai mentionnés précédemment transitent par la Turquie. Lorsque les autorités turques constatent, à l'occasion de contrôles aux frontières, qu'ils sont en infraction aux règles d'entrée et de séjour des étrangers, elles les placent dans des centres de rétention administrative, comparables à ceux qui existent en France. De plus, elles ne reçoivent pas nécessairement d'informations sur le profil ou le parcours de ces combattants de la part de leur pays d'origine. Mon homologue turc m'a fait part de ces éléments lorsque je me suis rendu à Ankara à la suite des dysfonctionnements constatés. Il m'a dit comprendre parfaitement l'émotion suscitée par cette affaire en France, mais il a jugé impossible de mette en place des dispositifs spécifiques pour toutes les reconduites à la frontière, compte tenu de la charge qui était celle de ses services. Dans notre pays, on examine souvent les problèmes au regard de considérations franco-françaises, sans voir la réalité globale dans laquelle ils s'inscrivent !

Que s'est-il passé dans l'affaire dont il est question ? Les trois djihadistes français se trouvaient dans un centre de rétention administrative au titre d'une infraction aux règles d'entrée et de séjour des étrangers en Turquie. Les autorités turques les ont enregistrés sur un vol de la compagnie Pegasus qu'elles nous ont signalé. Cependant, le pilote a refusé de les embarquer, et les autorités turques les ont alors enregistrés sur un autre vol sans nous prévenir de la nouvelle destination. Je précise que la Turquie a toujours refusé que des agents de police étrangers soient accrédités dans les zones d'embarquement pour ce type d'opération.

Pourquoi les trois djihadistes n'ont-ils pas été arrêtés à l'aéroport de Marseille ? Ils ne faisaient l'objet d'aucun mandat d'arrêt international, et seule la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui disposait d'une commission rogatoire, pouvait légitimement les arrêter. Certains ont alors estimé qu'une information aurait pu être diffusée à l'ensemble des services du ministère de l'intérieur pour que les djihadistes soient neutralisés à leur arrivée. Cependant, ne disposant d'aucune commission rogatoire, la police aux frontières (PAF) n'aurait pas pu les arrêter, ni même les retenir. Plutôt que de conclure de manière hâtive à l'incompétence des services de police français – ce qu'ont fait un petit nombre d'acteurs intéressés davantage par la polémique que par la vérité –, il convient d'analyser l'enchaînement des faits, la réalité du droit et la capacité des services à intervenir dans ce contexte. Nous agissons toujours, en la matière, sous l'autorité du juge. Si la PAF avait retenu les djihadistes à Marseille, on nous aurait fait un autre procès : au nom de la défense des libertés publiques, on nous aurait reproché de ne pas avoir respecté le cadre juridique.

En revanche, il y a bien eu un dysfonctionnement dans la relation entre services turcs et français. À l'occasion de ma visite à Ankara, nous avons décidé d'élaborer un protocole afin d'éviter qu'une telle situation ne se reproduise. Il est en cours de finalisation par nos services.

1 commentaire :

Le 16/09/2015 à 15:48, oliver wallas (auteur compositeur poète ) a dit :

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Monsieur Je découvre de nombreuses vidéos sur facebook de ce styles https://www.facebook.com/appolinairenoel.koulama/videos/447990345385867/?fref=nf

Comment peut on interdire ce genre de propagande qui nuit à la notoriété de notre pays

Merci de votre aide

Olivier

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