La présidente Dilma Rousseff sort de cette réélection victorieuse mais affaiblie : elle a été réélue dimanche à une courte majorité avec en effet 51,64 % des voix contre 48,36 % pour son adversaire de centre-droit Aécio Neves. Elle l'emporte par 3 millions de voix pour environ 140 millions de votants, soit le score le plus étroit depuis le retour du pays à la démocratie en 1985. En 2010, elle avait gagné avec 56 % des voix.
La présidente l'emporte parce qu'elle gagne dans le Minas Gerais, état pivot du pays, et qu'elle réalise un score meilleur qu'attendu dans le Nordeste, région pauvre qui constitue le socle électoral du PT. L'attachement à l'héritage de Lula a certainement joué. Le clivage traditionnel nord-sud est ainsi renforcé : à l'exception du Minas Gerais, Dilma Rousseff ne mène que dans le nord, alors qu'Aécio Neves renforce l'emprise du PSDB sur les États du sud du pays. Cette élection est un vote de classe des catégories les moins aisées contre les plus aisées.
Cette campagne acharnée va laisser des traces. Elle a été riche en rebondissements et marquée par de violentes attaques personnelles. Dilma Rousseff, malgré un bilan mitigé, notamment sur le plan économique, était jusqu'à l'été dernier créditée d'une victoire sans surprise. L'irruption inattendue dans la campagne de Marina Silva, à la suite du décès accidentel d'Eduardo Campos, a semblé un temps bouleverser les pronostics, mais plusieurs maladresses de sa part ont jeté le trouble chez ses électeurs et offert à Aécio Neves, longtemps relégué en troisième position, une confortable seconde place à l'issue du premier tour.
Les échanges de l'entre-deux-tours ont été, sur le fond, relativement pauvres : Aécio Neves s'est présenté comme le candidat du retour à la prospérité et a vivement critiqué la politique « interventionniste et protectionniste » menée par le PT depuis douze ans ; Dilma Rousseff, de son côté, s'est posée en garante de la politique d'aide sociale initiée sous Lula, qui a permis à 40 millions de Brésiliens de sortir de la pauvreté grâce à des programmes familiaux d'aide au logement et sociaux.
Dilma Rousseff ne sort pas indemne des attaques personnelles dont elle a fait l'objet : critiquée sur son style de gouvernance – sa personnalité austère, son manque de communication, ses prises de décisions isolées –, elle est confrontée à un scandale de corruption dont on n'est pas sûr que toutes les révélations soient sur la place publique. En outre, la presse lui a été en grande majorité défavorable.
Sa courte victoire lui impose de nombreux défis. Malgré un succès personnel et politique, la porte est étroite pour elle, car elle est sommée de se réinventer et devra montrer qu'elle est en mesure d'incarner le changement qu'attend le peuple brésilien.
Elle devra gérer dans les mois à venir le scandale de corruption au sein de la Petrobras, qui risque d'éclabousser les principaux membres de sa coalition. À court terme, elle devra constituer un nouveau gouvernement et former, après le départ de son ministre des finances, une équipe apte à rassurer le monde économique sur sa volonté de ranimer une économie brésilienne atone – avec une stagnation en 2014 et une inflation proche de 6,75 %. D'ailleurs, au lendemain de l'élection, la Bourse de Sao Paulo a plongé de 2,77 % après avoir enregistré une chute libre de 6 % à l'ouverture.
Elle devra en outre négocier sa coalition de gouvernement avec le Congrès, ce qui ne sera pas simple avec des chambres où la représentation s'est fragmentée entre un nombre croissant de partis – il y en a 28 dans le pays –, alors que le dialogue avec les parlementaires n'a jamais été son fort. La négociation avec le PMDB, le parti faiseur de rois, s'annonce ardue.
Les élections générales d'octobre ont donné lieu, en effet, au renouvellement du Congrès – Chambre des députés et Sénat – et des gouverneurs des états fédérés. Or si les grandes constantes sont maintenues s'agissant des gouverneurs et du Sénat, la majorité de Dilma Rousseff à la Chambre des députés s'est fragilisée : elle devrait y perdre 35 députés.
Dans ce contexte, elle devra recourir au dialogue évoqué dans son discours de réélection et sans doute s'appuyer sur les « facilitateurs » de son entourage, tels que l'actuel ministre du développement agricole, Miguel Rossetto, le gouverneur de Bahia, M. Mercandante, ou le nouveau gouverneur du Minas Gerais, M. Pimentel.
Mener la réforme politique annoncée lors du discours de victoire de dimanche soir sera délicat : le projet similaire qu'elle avait essayé de lancer après les manifestations de juin 2013 – fondé sur une réforme constitutionnelle, le recours au référendum et une révision du partage du pouvoir entre l'échelon fédéral et les états – avait capoté au niveau du Congrès, bloqué notamment par le PMDB. Lancer un tel projet ne pourra se faire sans un consensus au sein du Congrès et un véritable dialogue avec l'opposition ; il n'est pas sûr qu'elle y parvienne.
Cette campagne a mis à mal globalement l'image des partis politiques. La désaffection de l'électorat vis-à-vis de la classe politique est confortée : 73 % des Brésiliens déclarent n'avoir de sympathie pour aucun parti politique. Et le PT, qui était à 33 % de taux de sympathie, est descendu à 16 %, ce qui pose la question de la représentativité politique.
Le principal défi de la présidente est de relancer l'économie. Elle a estimé hier qu'elle pourrait éviter le déclassement de la note souveraine du pays et qu'elle serait à même de lui faire connaître une nouvelle reprise.
Reste que le ralentissement économique du Brésil, qui est marqué et profond, témoigne d'un certain épuisement de son modèle de croissance. Les mauvais résultats affichés témoignent d'une dégradation durable des fondamentaux de l'économie.
La croissance n'est en effet pas au rendez-vous : le pays est entré en récession technique et a enregistré au deuxième trimestre un recul de l'activité de 0,6 %. Les perspectives pour 2015 ne sont guère encourageantes.
De plus, l'inflation demeure résistante et les finances publiques continuent de se détériorer, avec un déficit public à 3,8 % du PIB.
La situation de l'emploi reste en revanche satisfaisante, avec un taux de chômage de 4,6 %. Mais celui-ci semble avoir atteint une limite basse : on enregistre de faibles créations d'emplois sur la période récente.
Au total, le modèle de croissance des années 2000-2010 doit se réinventer. La croissance, jusqu'ici largement tirée par la consommation et l'expansion du marché intérieur, y compris à crédit, et par les exportations de matières premières vers les autres pays émergents, notamment la Chine, fait face aujourd'hui à de multiples goulots d'étranglement : faible productivité de la main-d'oeuvre, manque d'infrastructures, insuffisante compétitivité de l'industrie, charges bureaucratiques et fiscales pesantes.
Dilma Rousseff n'a pas d'autre choix que de mettre l'accent sur la poursuite de ce modèle de croissance – elle ne semble pas en tout cas vouloir en développer un autre. Elle a dit qu'elle continuerait à privilégier le pouvoir d'achat des classes moyennes et modestes à travers une politique budgétaire plus accommodante – avec des programmes sociaux ainsi qu'un verrouillage des prix administrés – et une politique monétaire qui, sans être laxiste, sera de nature à préserver la dynamique d'accroissement du crédit. Contrairement à ses adversaires de campagne, elle a prévu que le financement des infrastructures continuerait à reposer sur le crédit subventionné et marginalement sur des concessions au secteur privé. La politique commerciale sera quant à elle examinée avec précaution pour ne pas pénaliser l'industrie, en conservant les mesures protectionnistes, au risque de maintenir celle-ci dans son état de sous-compétitivité.
S'agissant du positionnement du Brésil aux plans régional et international, son rôle au sein du Mercosur et de l'UNASUR est conforté par la reconduction de la présidente. La force d'entraînement du PT brésilien sur les partis de gauche de la région pourrait d'ailleurs peser sur l'élection présidentielle en cours en Uruguay ainsi que sur celle de 2015 en Argentine.
La montée en puissance du Brésil sur la scène internationale est à la recherche de nouveaux équilibres. Brasilia est en quête du juste équilibre entre sa tradition diplomatique, empreinte de souverainisme et de non-interventionnisme, et ses aspirations à peser sur les grands dossiers. Même si les pays hispanophones rechignent à lui reconnaître un statut de porte-parole du sous-continent latino-américain, le Brésil sait que son affirmation diplomatique dépend en grande partie de la stabilité politique et économique régionale : il s'est employé à la renforcer, notamment par la création en 2008 de l'UNASUR, forum de concertation réunissant les douze pays d'Amérique du sud, qu'il met en avant pour le règlement des crises régionales, comme ce fut le cas au Paraguay ou, plus récemment, en se posant comme médiateur dans la crise vénézuélienne.
En précipitant l'élargissement du Mercosur au Venezuela, Brasilia a annoncé vouloir encourager l'intégration économique de la région. Elle cherche aujourd'hui à se rapprocher de l'Alliance du Pacifique, qui regroupe, avec le Mexique, la Colombie et le Chili, quelques-uns des pays les plus dynamiques de la zone. Cette dimension régionale restera au centre de la politique de Dilma Rousseff.
En matière de politique étrangère, les grandes orientations traditionnelles devraient être confirmées, même si la présidente a annoncé récemment vouloir se rapprocher des États-Unis et mettre un terme à la période de refroidissement qui a suivi les révélations sur les écoutes de la NSA au Brésil.
S'agissant des questions internationales – Ukraine, Syrie, Moyen-Orient –, le Brésil devrait continuer à défendre ses positions traditionnelles, fondées en principe sur la non-ingérence et le strict respect de la souveraineté, mais caractérisées dans la pratique par une approche plus pragmatique. Ainsi, l'extrême discrétion des autorités brésiliennes sur la crise ukrainienne révèle une approche mesurée vis-à-vis de la Russie, alliée majeure au sein des BRICS. De même, la présidente a évité des prises de position tranchées sur la situation au Moyen-Orient, à l'exception du conflit israélo-palestinien – dossier sur lequel le Brésil a vivement critiqué Israël, qui a réagi en qualifiant ce pays de « nain politique ». Interrogée sur les frappes américaines en Syrie, Dilma Rousseff a déclaré les « regretter énormément » et indiqué que le Brésil préférait « toujours le dialogue et l'intermédiation de l'ONU ».
Se sachant très sollicité et regrettant de ne pas trouver aux États-Unis la reconnaissance de son statut de « nouveau grand », le pays s'applique à maintenir un équilibre entre plusieurs cercles de solidarités : le dialogue en formation BRICS ou IBAS lui offre une caisse de résonance dans sa contestation de l'ordre international actuel ; il attend de ses affinités culturelles avec l'Europe les investissements et les transferts de technologie nécessaires à son développement, mais critique volontiers un continent considéré comme sclérosé et passéiste ; il met aussi en avant ses origines africaines pour proposer aux pays du sud un nouveau type de coopération.
Au plan multilatéral, il poursuivra sur sa ligne visant à encourager une réforme du Conseil de sécurité de l'ONU. Dilma Rousseff appelle de façon constante à une meilleure représentativité au sein de ce conseil pour éviter la paralysie. Cela étant, la diplomatie brésilienne semble ouverte à nos vues sur l'encadrement du veto en cas de crimes de masse,
Dès lors, comment aborder ce nouveau mandat et que peut-on en tirer s'agissant de nos relations bilatérales ?
Le partenariat stratégique lancé en 2006 sur des bases très ambitieuses doit trouver un nouveau souffle. Au-delà de certaines déceptions s'agissant de grands contrats, notamment le contrat des avions de chasse remporté par Saab, le dialogue politique doit être amélioré, tant au plan du contenu que de la fréquence des contacts.
Cette élection nous donne l'occasion de reprendre un dialogue plus soutenu, notamment sur le climat – dans la perspective de la COP21, qui est pour nous une priorité –, mais aussi sur les questions multilatérales et la réforme du Conseil de sécurité.
La priorité doit aller à l'approfondissement de notre partenariat stratégique, dans la lignée de la visite d'État du Président Hollande en 2013. Il s'agit notamment de renforcer notre coopération industrielle et de défense, d'assurer la concrétisation de plusieurs partenariats clés pour notre diplomatie économique et de redonner de l'impulsion à notre coopération universitaire en matière de recherche. Ce sera aussi l'occasion de mettre en oeuvre la région transfrontalière entre la Guyane française et l'Amapá.
Concernant nos relations commerciales et d'investissement, l'enjeu de la pénétration du marché brésilien est majeur pour nos grandes entreprises, comme pour nos PME. Les échanges commerciaux franco-brésiliens ont presque triplé par rapport à 2003 et ont représenté plus de 8 milliards d'euros en 2013. Nos entreprises investissent aujourd'hui plus au Brésil qu'en Chine et en Russie cumulées et elles y emploient près de 500 000 salariés.
Néanmoins, compte tenu du ralentissement économique du pays, l'objectif d'un doublement de nos échanges en dix ans défini lors de la visite d'État du Président Hollande ne pourra être pleinement tenu que si le dialogue économique franco-brésilien, vigoureusement relancé depuis décembre, continue à se développer.
À cet égard, nous souhaitons que la troisième édition du forum économique France-Brésil puisse se tenir au premier semestre 2015.
S'agissant de la recherche et des échanges universitaires, la coopération se traduit par de nombreux succès, en particulier dans le cadre de du programme brésilien « Science sans frontières » : nous escomptons à ce titre accueillir 10 000 étudiants brésiliens boursiers en France d'ici 2015. L'exemple du Franco-Brésilien Artur Ávila, qui a obtenu cette année la médaille Fields, est emblématique de ces succès.