Intervention de Jean Gaubert

Réunion du 19 novembre 2014 à 18h45
Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Jean Gaubert, Médiateur national de l'énergie :

N'ayant pas la science infuse, je ne pourrai peut-être pas répondre à toutes les questions : maintenant que je ne suis plus parlementaire, j'ai moins de domaines de compétence et davantage de temps pour creuser les sujets sur lesquels des responsabilités m'ont été confiées.

Sachez que j'ai bien conscience que les sujets qui nous valent de nous exprimer devant la représentation de la nation sont toujours extrêmement importants.

Lors de vos précédentes auditions, vous avez déjà abordé certains thèmes sur lesquels je ne vais pas m'étendre. J'approuve notamment les propos tenus par le président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) sur nombre de sujets et ceux tenus par le président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) sur le chèque énergie et les tarifs sociaux. À quelques petites nuances près, je partage l'analyse de Bruno Léchevin.

Le prix de l'électricité dépend de trois composantes essentielles et définies : la production, le transport et la distribution. Dans le coût de la distribution, la part du fournisseur inclut des frais commerciaux qui suscitent des interrogations. La part variable du prix de l'électricité est relativement faible ; ensuite, il y a ce que l'on appelle improprement des taxes. La contribution au service public de l'électricité (CSPE) est-elle une taxe ? J'entends dire qu'il s'agit d'un impôt de toute nature et, en tout état de cause, il s'agit davantage d'un instrument de péréquation et de répartition que d'une taxe. Si c'est une taxe, elle est affectée. S'y ajoutent la taxe sur la consommation finale d'électricité (TCFE) et la taxe à la valeur ajoutée (TVA).

Arrêtons-nous sur les rémunérations et les marges diverses. Les textes font référence à la notion de « marge raisonnable » qui est très difficile à comprendre, qui a d'ailleurs beaucoup évolué au fil des ans et qui est aussi imprécise que celle du temps de refroidissement du canon du fusil. Elle évoluait aux alentours de 6 % avant 2006, à une époque où le loyer de l'argent se situait à 4,5 % ou 5 % ; curieusement, elle atteint quelque 10 % actuellement, alors que le loyer de l'argent est tombé à moins de 1 %. L'État est schizophrène : à chaque fois qu'EDF réalise un euro de marge, l'État est intéressé à hauteur de 84,5 centimes d'euros.

Vous noterez donc que la marge raisonnable a évolué récemment de façon inversement proportionnelle au taux de rémunération de l'argent sur le marché. À ce prix-là, je serais disposé à m'endetter pour prêter de l'argent à EDF. Il y a de quoi s'interroger, d'autant qu'il s'agit d'investissements peu risqués. Qu'un entrepreneur en capital-risque demande un retour sur investissement important, on peut le comprendre sinon l'approuver. Quand il s'agit d'activités régulées, par conséquent peu risquées, cette rémunération qui va être payée par le consommateur apparaît extrêmement importante.

Lors d'une autre audition préparatoire à la loi sur la transition énergétique, j'ai eu à m'exprimer sur les prélèvements effectués sur Réseau de transport d'électricité (RTE) et Électricité réseau distribution France (ERDF). De quelle nature est la rémunération de RTE et d'ERDF ? C'est le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE), dont le niveau est défini par la CRE en concertation avec les opérateurs et dont la vocation est de couvrir les besoins de développement, de maintenance et d'entretien des réseaux. Curieusement, elle génère aussi des bénéfices relativement importants qui remontent à la maison mère, ce qui doit nous inciter à nous poser des questions. Le Parlement peut décider de conserver ces niveaux de prélèvement mais en connaissance de cause : c'est là où se trouvent les marges, même si la ministre de l'environnement a eu raison de demander à ce que soit recalculée l'élévation des prix.

La responsabilité d'EDF est largement partagée parce que les administrateurs d'État ont une position prépondérante au sein du conseil d'administration. Cela étant, je m'interroge sur le fait que les coûts commerciaux soient répartis au prorata entre les prix de marché de l'électricité et les tarifs réglementés. Dans le domaine des tarifs réglementés, les vrais coûts commerciaux sont les frais de gestion de dossier puisqu'il n'y a pas de coûts de communication, de publicité ou de démarchage de clients nouveaux. Pourtant, la CRE a je crois confirmé l'application d'une règle de trois. Je ne peux pas croire qu'à l'intérieur de l'entreprise on ne sache pas faire la différence entre les uns et les autres. Certains se battent pour une hausse des tarifs réglementés qui leur fera gagner plus d'argent – ce qui nous conduit parfois devant le Conseil d'État où nous ne gagnons pas toujours – et cela doit nous interpeller.

Chez EDF, j'ai le sentiment que l'amélioration des marges tient plus à l'augmentation de la rémunération des capitaux qu'à une vraie amélioration de la performance technique de l'entreprise. Il suffit d'augmenter le taux de rémunération des capitaux pour faire de la marge. La situation de l'entreprise – des capitaux bien rémunérés pour une activité régulée – est relativement confortable. Si je ne sais pas analyser la performance d'EDF, je vois bien que les décisions prises entre 2006 et 2010 ont des conséquences très importantes sur le secteur.

Autre composante : la fameuse CSPE qui n'est plus du tout indolore après une douzaine d'années d'existence et qui le sera encore beaucoup moins à l'avenir. Son montant qui atteignait environ 6 milliards d'euros en 2013 se répartissait de la manière suivante : 3,8 milliards d'euros pour les énergies renouvelables, 1,7 milliard d'euros pour les systèmes insulaires, 400 millions d'euros pour la cogénération et 300 millions d'euros pour l'aide aux plus démunis. Contrairement à ce que d'aucuns laissent croire, ce n'est pas « l'aide aux pauvres » qui coûte cher, y compris parce que les 300 millions d'euros ne sont même pas dépensés en raison d'une absence de croisement de tous les fichiers. Le chèque énergie sera un peu plus souple mais pas plus opérant si l'on n'y consacre pas davantage de moyens.

En fait, la CSPE alimente le seul fonds contributif à la transition énergétique. Lors de la création de cette contribution, il y a eu débat : faut-il une taxe sur l'ensemble des énergies pour financer l'ensemble des énergies renouvelables ou chaque énergie doit-elle financer sa propre énergie renouvelable ? Les pétroliers et les gaziers ont gagné en imposant l'idée que chacun devrait financer son énergie renouvelable. Résultat : pratiquement toutes les énergies renouvelables existantes, notamment le photovoltaïque, l'éolien terrestre ou offshore, sont électriques. Dans bien des cas, même le biométhane finit en électricité car le lieu de production est trop éloigné des réseaux de gaz et que le raccordement relève de l'entreprise productrice. Au lieu d'avoir des énergies renouvelables diversifiées, nous allons vers une production d'électricité renouvelable.

Qui paie la CSPE ? Lors des débats, on a culpabilisé les utilisateurs de chauffage électrique, ces « tarés » qui n'ont rien compris et qui paient le plus de CSPE. Vous qui êtes des parlementaires, vous savez comme moi que ceux qui se chauffent à l'électricité se répartissent entre trois catégories : les locataires du parc locatif privé dont les propriétaires ont fait le choix de « grille-pain » qui ne coûtent pas cher ; nombre de locataires du parc locatif public en milieu rural et périurbain ; les petits accédants à la propriété qui sont limités par le volume de leur prêt bancaire.

Est-ce que ce sont des riches ? Non, et pourtant ils vont devoir subir une hausse continuelle de la CSPE au vu des chiffres dont nous disposons et qui ont été donnés par Philippe de Ladoucette, le président de CRE, et qui confirment les nôtres. Pensez-vous que la CSPE va pouvoir tenir longtemps ? Pour ma part, je ne le pense pas comme je l'ai dit lors de mon audition par la commission spéciale sur la transition énergétique. Nombre de nos concitoyens ne se chauffent déjà plus ; ils vont consommer moins alors que la CSPE va devoir rapporter davantage pour financer les engagements pris dans les énergies renouvelables. La contribution devra donc augmenter plus vite, avec les conséquences que je vous laisse imaginer.

Pendant ce temps, que paient les autres énergies pour financer les renouvelables ? Le pétrole a dépensé entre 100 et 200 millions d'euros pour financer essentiellement ce que l'on appelle, à tort, le pétrole vert. Le gaz a payé 4 millions d'euros en 2013. Je comprends que le PDG de GDF-Suez continue de défendre l'idée selon laquelle chacun doit payer pour son énergie renouvelable. Je voudrais vraiment que vous mesuriez à quel point la CSPE sera incapable d'assumer l'ensemble des charges engagées et à venir.

Or la transition est d'autant plus nécessaire que la consommation d'électricité va augmenter et non pas diminuer, contrairement aux schémas envisagés par certains il y a dix ans. Tous les régulateurs, tous ces petits moteurs installés dans les maisons fonctionnent à l'électricité, au point que le poste « autres usages de l'électricité » tend à devenir parfois plus important que le poste « chauffage ». S'il est une priorité, c'est bien de trouver un financement pérenne pour les engagements passés et à venir dans le domaine des énergies renouvelables et qui nous permettront d'atteindre les objectifs fixés.

N'oublions pas que ces énergies renouvelables sont financées par de l'argent du public et que les sur-rémunérations ne sont pas forcément de bonnes solutions. L'effet d'aubaine n'a pas davantage sa place dans ce domaine que dans d'autres et les taux de rémunération de 10 à 12 % ne devraient plus être de mise dans l'éolien terrestre. Quelques chiffres montrent l'iniquité du système qui avait été élaboré dans le secteur du photovoltaïque : les appels d'offre actuels tournent autour de 140 ou 150 euros du mégawattheure alors que certains contrats ont été signés sur la base de 450 euros entre 2006 et 2010-2011.

Personnellement, j'habite près d'un centre éolien offshore réalisé au prix d'un investissement formidable de 2 milliards d'euros et qui produira de l'électricité pour un coût, beaucoup moins formidable, de 200 euros du mégawattheure. Si l'on persiste dans cette voie, nul besoin de s'interroger sur l'évolution des prix de l'électricité : ils vont continuer de fortement monter. Les consommateurs m'intéressent mais je n'oublie pas que la France compte aussi des industries électro-intensives qui risquent d'être affectées par une hausse des prix de l'électricité. Ce centre éolien a été réalisé sur appel d'offre, mais nous avons pris des marges : les promesses aux pêcheurs – la députée du secteur ne me contredira pas – frisent l'indécence. Le consommateur paiera ! Mais pourra-t-il continuer de payer ?

Les tarifs d'électricité ont augmenté de 15 à 17 % depuis 2010-2011, et de quasiment le double avec la CSPE. Les tarifs sociaux ne compensant pas la hausse, les bénéficiaires n'ont pas du tout conscience d'avoir été aidés. Il ne faut pas s'attendre à des remerciements de leur part, sous prétexte que leur facture augmente un peu moins que celle des autres. Si nous voulons vraiment que ces aides sous forme de tarifs sociaux ou de chèque énergie – auquel je suis favorable car il couvrira toutes les énergies - soient efficaces, elles doivent s'élever à un milliard d'euros au minimum. Sinon, inutile d'y consacrer beaucoup de temps : personne ne se rendra compte de leur existence. Et si le chèque énergie se réduit à 100 euros comme aujourd'hui, vous aurez en plus la situation particulière de ceux qui utilisent à la fois de l'électricité et du gaz et qui touchent actuellement deux fois les aides et qui n'auront plus que le chèque énergie. En revanche, ceux qui sont détenteurs d'un contrat de vente de gaz réparti (VGR) seront connus dans le système de chèque énergie alors qu'ils ne le sont pas dans celui des tarifs sociaux. Cela conduira donc à des transferts.

Quoi qu'il en soit, si l'enveloppe ne passe pas de 300-400 millions d'euros à 1 milliard d'euros, ce qui correspond à un chèque de 200 à 250 euros par famille, l'aide sera invisible et inefficace. Pour avoir participé au colloque de l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), j'ai pu constater l'unanimité de vue des associations sur le sujet, certaines estimant même que l'aide devrait être portée à 400 à 450 euros par famille, ce qui me semble impossible.

Avons-nous été consultés sur les évolutions tarifaires ? Non et nous n'avons d'ailleurs pas à l'être, ce qui ne m'empêche pas de porter un jugement positif sur l'action menée qui a démontré qu'une hausse annuelle de 5 % n'est pas inéluctable. C'est aussi une question de volonté politique.

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