Intervention de Jean Gaubert

Réunion du 19 novembre 2014 à 18h45
Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Jean Gaubert, Médiateur national de l'énergie :

Pour répondre à Mme Valter et à M. Gorges, je vais revenir sur la CSPE. Comme Philippe de Ladoucette, le président de CRE, je compare les engagements que nous avons pris à échéance de quinze, vingt ou vingt-cinq ans avec la surface des « contribuables ». Ces derniers ne sont pas les plus aisés de notre société et ils ne pourront pas tenir. Au mieux, ils arrêteront de se chauffer ce qui fera augmenter mécaniquement la CSPE à l'unité, à un rythme supérieur à celui qui était prévu.

Sans vouloir polémiquer, je rappelle à M. Gorges que ce système n'a pas été inventé par le gouvernement actuel. À présent, notre responsabilité collective est de nous atteler à résoudre ce problème extrêmement important. Pour ma part, je pense que la seule solution est de créer une vraie contribution pour la transition énergétique, en l'appliquant à toutes les énergies sur la même base, quitte à déplaire aux gaziers. Ceux qui contribueraient un peu plus crient au scandale, arguant qu'une telle mesure favoriserait le chauffage électrique. Or la norme RT 2012 interdit, de fait, le chauffage électrique. Le problème du chauffage électrique ne se pose plus que pour les gens qui sont déjà piégés. Nous avons besoin d'un fonds pour financer la transition énergétique et, si nous voulons sauver la CSPE, il faut en élargir l'assiette. Jean Launay avait présenté un amendement en ce sens et le Parlement peut s'en saisir s'il le souhaite.

En parallèle, il faut être très regardant sur la dépense. La CSPE peine déjà à financer les engagements pris, de grâce ne rajoutons pas de nouvelles dépenses si on ne change rien ! Cette vigilance doit s'appliquer aussi aux coûts des énergies renouvelables, j'y insiste. Au mois de juin dernier, j'ai assisté à un colloque auquel participaient tous les opérateurs de l'offshore. Lors d'une table ronde, ils ont tous expliqué qu'il était illusoire de penser que le prix du mégawattheure descendrait au-dessous de 200 euros. Cet épisode m'a marqué et j'ai eu l'impression qu'il y avait entre eux une entente illicite. Nous devons nous poser la question. Lorsque j'étais parlementaire, je pensais aussi que l'on surpayait le photovoltaïque dans certaines régions françaises, voire dans toutes les régions. Nous n'en avons pas fini de payer les scories de cette période-là ! À l'époque, nous n'étions pas très nombreux à tenir ce genre de discours.

Madame Valter, vous m'interrogez sur la relation entre EDF et ses filiales, un sujet que j'ai évoqué à plusieurs reprises. Ces filiales n'ont pas le même statut : contrairement à ERDF, RTE est davantage sous la responsabilité de la CRE que d'EDF. C'est ainsi qu'au printemps dernier, la CRE a décidé de faire redistribuer aux consommateurs et non à la maison mère, la partie des excédents de RTE qu'elle estimait injustifiés.

Instruite par le montage rapide de RTE en 2000, la direction d'EDF s'est arrangée pour ne pas se faire rouler une deuxième fois avec le montage d'ERDF : le poids de la maison mère EDF pèse très lourd sur sa filiale ERDF. Alors que la nomination du président de RTE se fait en conseil des ministres, celle du président d'ERDF a lieu dans le bureau du président d'EDF, ce qui change la nature des rapports. En outre, la direction financière d'EDF intervient en permanence chez ERDF. Si le dernier directeur financier d'ERDF n'a pas donné trop d'explication sur sa récente démission, les interprétations ne manquent pas.

En 2012 ou 2013, la direction financière d'EDF a demandé aux fournisseurs d'ERDF de diminuer de 2 % le prix des marchés qu'ils venaient de signer, ce qui n'est pas très conforme aux règles européennes. Les fournisseurs étant pieds et poings liés à ERDF, ils n'ont pas pu se plaindre. EDF a aussi décidé de diminuer les programmes d'investissements qui avaient permis de définir le TURPE, afin de faire remonter des dividendes. Ce genre d'opérations est possible à ERDF, pas à RTE. Le TURPE doit servir à financer les réseaux et non à faire remonter du cash vers la maison mère, sauf si tous les besoins d'investissement ont été satisfaits.

Si je me permets de vous répondre sur EDF, c'est parce que j'ai été administrateur de cette maison pendant dix ans. En tant que médiateur, je n'ai pas de compétences sur ces sujets et je n'aurais pas été informé sur la manière dont les choses se passent chez EDF ou ailleurs. Pour faire apparaître les marges ou les déficits souhaités, le dirigeant d'entreprise peut jouer sur la durée des amortissements. Cette très vieille technique a toujours cours chez EDF, avec l'aval de Bercy.

Une règle plus précise sur les amortissements permettrait d'agir davantage sur le prix. Le tarif de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) a été fixé à 42 euros – ce que d'aucuns jugent insuffisant – en prenant notamment en compte le calcul des amortissements. Va-t-on accepter l'allongement de la durée de vie de certaines centrales nucléaires ? À quelles conditions ? À quel prix ? En Belgique et aux Pays-Bas, l'allongement de la durée de vie de certaines centrales s'est traduit par le versement d'un pactole à l'État, même quand il s'agissait d'entreprises privées. Le calcul des amortissements est un vrai sujet de réflexion.

Plusieurs questions portaient sur le partage dans la facture entre l'amortissement de l'investissement et la consommation. En tant qu'élu, j'ai toujours considéré que l'abonnement devait couvrir l'amortissement des investissements, partant du fait que la personne raccordée peut demander à tout moment une puissance et une consommation donnée que l'opérateur doit avoir en réserve. Vos interventions me font plaisir parce que j'ai souvent entendu des orateurs plaider dans l'hémicycle pour la suppression des abonnements, pas forcément pour les factures d'électricité mais au moins pour celle de l'eau. Si nous le faisions, nous ferions payer les amortissements à ceux qui sont prisonniers de la consommation d'électricité.

J'utilise souvent un exemple qui parlera à Mme Le Dissez, celui des résidences secondaires qui sont nombreuses dans notre région. Si vous supprimez l'abonnement à l'eau, tous les investissements seront payés par les autochtones alors que les investissements importants et supplémentaires sont faits pour répondre aux besoins des résidents secondaires qui affluent pendant l'été – et nous sommes contents qu'ils viennent. Pour l'électricité, nous sommes dans la même situation.

S'agissant de la construction tarifaire, je suis de ceux qui regrettent que la loi Brottes n'ait pas pu être totalement appliquée, car le système par tranches de consommation était incitatif. Nous devons réfléchir à la répartition des charges d'amortissement et de consommation, c'est tout ce que je peux dire. L'abonnement à la puissance existe déjà. Est-ce que les écarts de prix sont assez importants ? Je ne sais pas mais j'appelle votre attention sur le fait qu'en élargissant les écarts pour les premières tranches, on punirait encore davantage les prisonniers du chauffage électrique. Mais c'est sans doute une piste à explorer.

Est-ce que la concurrence induit une baisse des coûts ? Pour ma part, je n'en ai jamais été persuadé. Nous avons constaté que notre pays avait les coûts d'électricité quasiment les plus bas d'Europe avant l'introduction de la concurrence. Par définition, la concurrence avait vocation à équilibrer les situations par l'ouverture des frontières. Européen convaincu, je suis pour l'ouverture des frontières entre nous à condition que nous ayons les mêmes règles. Quoi qu'il en soit, nous constatons que cela n'a pas été concluant chez nous.

À cet égard, il ne faut pas confondre le gaz et l'électricité. Le gaz est un produit qui se stocke et qui ne réagit pas comme l'électricité à certains paramètres. À part dans les barrages et les ballons d'eau chaude, l'électricité n'est pas stockée dans notre pays. Il existe bien quelques batteries très écologiques fonctionnant au lithium, importées de pays où elles ne sont pas considérées aussi écologiques que cela par les personnes qui les fabriquent. À partir du moment où ce produit ne se stocke pas, il fait immanquablement l'objet de manipulations et de coups.

En 1999 ou 2000, j'étais allé visiter la salle des marchés qu'EDF avait installée à Londres faute d'avoir le droit de le faire en France à l'époque – ce qui était formidable de la part d'un service public – et j'en étais revenu horrifié. Je m'étais rendu compte qu'il y avait des manipulations car les transactions étaient sans rapport avec la réalité physique de la production. Pour des produits stockables, la loi de l'offre et de la demande peut fonctionner assez correctement. Pour des produits non stockables, une forte régulation est nécessaire.

Est-ce que je suis en phase avec la loi sur la transition énergétique ? me demande Jean-Pierre Gorges. Quitte à vous surprendre, je répondrais par l'affirmative. Le leitmotiv principal de cette loi est la baisse de la consommation d'énergie et non pas la baisse de la consommation d'électricité. Nous allons sans doute assister à des baisses de consommation d'énergies diverses – fioul, gaz, charbon et autres – dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, et à une stabilisation voire à une augmentation des consommations d'électricité : non seulement la substitution passe souvent par l'électricité, mais on utilise souvent des appareils électriques pour mieux gérer la consommation d'énergies fossiles.

Qu'est-ce que je pense du nucléaire ? À titre personnel, je n'ai jamais été très opposé au nucléaire car je pense que nous en aurons encore besoin pendant une longue période, tout en étant très content de savoir que mes petits-enfants pourront s'en passer. Cela étant, je vous ferais remarquer que la donne est en train de changer : les débats portaient sur les risques ; ils s'orientent vers des considérations économiques.

EDF vient d'annoncer un nouveau retard d'un an du démarrage du réacteur nucléaire de troisième génération de Flamanville, dont la facture ne cesse de déraper. Nous avons vendu deux centrales EPR (European Pressurized Reactor) en Grande-Bretagne sur la base de coûts de production de 108 et 110 euros du mégawattheure, ce qui est supérieur aux coûts de production de l'éolien terrestre. À l'avenir, les débats sur le nucléaire porteront plus sur son coût que sur sa sécurité.

Que va-t-il nous rester ? L'éolien terrestre, qui ne pose aucun souci de démantèlement, va être moins coûteux que l'électricité nucléaire. On nous dit que cet EPR est une tête de série. Qu'en est-il de ceux qui sont en chantier en Chine et en Finlande ? Un peu comme dans le cas de l'éolien offshore, les prix ne cessent de monter. La question – à laquelle je n'ai pas de réponse – mérite d'être posée.

Madame Dubié, nous ne sommes pas compétents sur les arnaques dans le domaine des énergies renouvelables. Nous aurions aimé l'être parce que nous sommes souvent saisis, mais le Parlement ne l'a pas souhaité pour le moment. Ne noircissons pas le tableau : il existe beaucoup d'opérateurs honnêtes mais on en parle moins que des malhonnêtes. Mais quand un malhonnête a sévi dans un endroit, les actions en faveur de la transition énergétique deviennent difficiles à mener car tous les voisins ont peur de se faire avoir.

Dans notre dernier rapport, nous avons dénoncé l'action d'un opérateur qui n'est pas classé dans la catégorie des margoulins : EDF Bleu ciel. Certains cadres d'EDF sont un peu mal à l'aise par rapport à ce système de labellisation d'entreprises par EDF Bleu ciel qui a une très bonne image. L'entreprise labellisée arrive chez le client avec une société de financement et le contrat est signé. Par la suite, il arrive que le client constate que les installations ne fonctionnent pas et que l'entreprise, plus ou moins compétente, a même disparu. EDF a récupéré les certificats d'économie d'énergie alors même qu'il n'y en a pas. Le particulier, lui, se retrouve Gros-Jean comme devant.

Pour que la transition énergétique réussisse, nous devons donner à nos concitoyens l'assurance qu'ils ne se feront pas avoir s'ils se lancent dans ce genre d'opérations. L'État a créé « reconnu garant de l'environnement » (RGE) qui devra s'imposer comme le seul label véritable dans ce domaine. Chaque grande entreprise créant son label, les gens finissent par se perdre dans le maquis, ne savent plus à qui se fier et n'entreprennent pas les travaux. Le label RGE devrait être le seul à être reconnu comme label.

Nous étions demandeurs de cette compétence que l'on va peut-être nous confier. Au moment du débat, la crainte était que nous ayons besoin de moyens supplémentaires. Nous réfléchissons à des solutions qui nous permettraient de nous appuyer sur des opérateurs locaux pour assumer cette tâche à moyens quasiment constants. La transition énergétique est un processus obligatoire et même exaltant : sous la pression des événements, nous sommes en train de changer de monde. Pour y parvenir, nous devons prendre quelques précautions pour que nos concitoyens ne se fassent pas avoir et pour qu'ils aient confiance.

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