Intervention de Paul Molac

Séance en hémicycle du 27 novembre 2014 à 9h30
Délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Molac :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le vice-président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, cette proposition de loi, présentée au Sénat par Muguette Dini et Chantal Jouanno, est inscrite à l’ordre du jour de la niche parlementaire du groupe UDI par notre rapporteure Sonia Lagarde.

Elle revient sur un sujet grave et régulièrement évoqué : la prescription des crimes et délits sexuels. Cette question, très sensible et douloureuse pour les victimes et leur entourage, est en outre difficile à traiter, ce qui explique que le législateur y revienne régulièrement.

En effet, nous parlons des victimes féminines et masculines d’agressions sexuelles, notamment de viols. L’extrême gravité de ces infractions est aujourd’hui unanimement reconnue et le législateur comme l’ensemble de la société doivent s’assurer qu’elles soient lourdement sanctionnées.

Comme le rappelait hier Mme Lagarde lors de la séance de questions au Gouvernement, selon l’ONU, 70 % des femmes dans le monde ont été ou seront au cours de leur vie exposées à la violence en raison de leur sexe. Cette question demeure trop souvent sous-estimée par les autorités. Cela s’explique notamment par le faible nombre de personnes qui portent plainte ; elles représentent environ 12 % des victimes estimées. De nombreuses raisons sont susceptibles d’expliquer ce phénomène ; l’une d’entre elles, certes pas la plus fréquente, est l’amnésie des personnes qui ont été victimes d’agressions sexuelles particulièrement traumatisantes.

Il est avéré que des agressions sexuelles peuvent faire l’objet d’une prise de conscience ou d’une révélation tardive « en raison de leur nature, du traumatisme qu’elles entraînent, et de la situation de vulnérabilité particulière dans laquelle elles placent la victime ». Elles possèdent, en outre, « un énorme pouvoir de sidération et de colonisation du psychisme des victimes ».

Pour remédier à cela, l’intention des signataires de la proposition de loi était à l’origine de reporter le point de départ du délai de prescription au jour de la révélation des faits par la victime. Comme les débats l’ont montré au Sénat, si l’intention était fort louable, une telle mesure posait en pratique de nombreux problèmes. Il aurait notamment fallu prouver la matérialité de la révélation tardive de l’infraction pour la victime, ce qui en pratique est délicat.

C’est la raison pour laquelle, sous l’impulsion du groupe socialiste du Sénat, la proposition de loi a été modifiée pour ne plus contenir que la proposition de porter le délai de prescription de vingt à trente ans après la majorité pour les délits sexuels les plus graves et de dix à vingt ans pour d’autres délits sexuels commis sur les mineurs.

Rappelons que les délais généraux de prescription de l’action publique en matière pénale sont de dix ans pour les crimes, trois ans pour les délits et un an pour les contraventions. Pour les infractions sexuelles, les délais sont différents selon que la victime est mineure ou majeure. Ils sont allongés si la victime est mineure, pour tenir compte, justement, de la plus grande vulnérabilité des enfants et de l’extrême difficulté pour eux d’en parler. Ainsi, le dépôt de plainte peut se faire dix ans après la majorité pour les infractions dites improprement « les moins graves », et de vingt ans après la majorité, soit jusqu’à trente-huit ans, pour les infractions les plus graves ; viol, attouchements sexuels sur mineurs, attouchements commis par un ascendant, par une personne ayant autorité, ou par plusieurs personnes. Si la victime est majeure, le délai de prescription est de dix ans à compter de la date des faits pour le viol et de trois ans pour les autres infractions sexuelles. Il y a également des exceptions pour d’autres crimes – terrorisme, stupéfiants – ou pour les infractions occultes – tromperie, dissimulation de preuve – ou accompagnées de manoeuvres de dissimulation, comme l’abus de biens sociaux.

Toutefois, de manière générale, lorsque l’action publique est déclenchée des années après les faits, il y a deux soucis principaux. Le premier concerne la difficulté de prouver les faits sauf en cas d’aveux du coupable ou de présence de preuves ADN, puisque celles-ci peuvent être fiables même si elles sont découvertes après le délai de prescription. Les enjeux de cette question des preuves ADN méritent d’ailleurs vraiment d’être approfondis. Le second tient au sens d’une justice prononcée des décennies après les faits. Il peut être légitime de se demander si la victime trouvera toujours réparation tant d’années après les faits.

Il s’agirait donc par cette proposition de loi de renforcer l’exception déjà existante pour la prescription des délits sexuels. Or, en vingt-cinq ans, le législateur a déjà modifié le droit de la prescription en matière pénale à au moins six reprises. Cette loi serait donc au moins la septième sur le sujet. Nous sommes ainsi en train de constituer un droit d’exception par petites touches, sans vision globale.

Vous m’objecterez que dans le cadre contraint des niches parlementaires qui sont attribuées aux groupes minoritaires, vous n’avez guère les moyens de présenter un tel travail, chers collègues du groupe UDI. Néanmoins, notre rôle en tant que législateur est de faire le droit et, au besoin, de l’améliorer, en gardant toujours à l’esprit ses principes généraux et un souci de cohérence.

D’ailleurs, l’allongement de la prescription de l’action publique de vingt à trente ans pour une seule catégorie d’infractions et une seule catégorie de victimes semble non conforme au principe constitutionnel de proportionnalité des crimes, des délits et des peines.

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