Intervention de Jean-Bernard Lévy

Réunion du 25 novembre 2014 à 17h15
Commission des affaires économiques

Jean-Bernard Lévy :

Mesdames et messieurs les députés, je me présente devant vous en tant que candidat, proposé par le conseil d'administration d'EDF qui s'est tenu il y a deux jours, à la présidence et direction générale de cette société. Je suis heureux de pouvoir partager avec vous ma vision des enjeux d'EDF pour les années à venir. Je suis fier et honoré d'être pressenti pour prendre la tête d'une grande entreprise de service public, une entreprise exceptionnelle qui contribue considérablement au bien-être de nos concitoyens, à la compétitivité de notre pays et à son rayonnement international, EDF étant un symbole de l'excellence française reconnu dans le monde. Je mesure le poids de ces responsabilités à la tête d'une collectivité humaine de 160 000 personnes, qui mettent leurs compétences et leur dévouement au service des près de 40 millions de clients d'EDF.

Je suis un ingénieur et un industriel, et je pense que ceci fait sens pour une entreprise comme EDF. Ma formation m'a conduit à l'École polytechnique et à Télécom ParisTech, puis j'ai passé plus de dix ans dans le service public : sept ans chez France Télécom et quatre ans en cabinet ministériel. J'ai aussi la fibre de l'entreprise, puisque j'ai travaillé ces vingt dernières années dans trois grands groupes privés français : le groupe Matra, où j'ai passé huit ans, le groupe Vivendi, dix ans, dont sept en tant que président du directoire, et le groupe Thales, dont je suis le PDG depuis deux ans.

EDF est une grande entreprise connue de tous, qui possède une image formidable auprès des Français. Ce groupe a toutes les armes pour réussir, au service des Français, des entreprises et des collectivités territoriales, et pour promouvoir la place de la France dans la bataille de la mondialisation. Si vous l'acceptez, je porterai pour EDF une grande ambition, à la mesure du parcours d'excellence de l'entreprise et de ses équipes, ainsi que des enjeux qui sont devant nous.

EDF est tout d'abord une grande entreprise française de service public. Sa première mission est de fournir à tous les Français, en permanence, une énergie à un prix qui respecte le pouvoir d'achat des ménages et contribue à la compétitivité des entreprises. La notion de droit à l'électricité montre combien cette mission de service public participe du contrat social. Grâce au savoir-faire des collaborateurs d'EDF, mais aussi à la perspicacité de mes prédécesseurs ces quinze dernières années, MM. François Roussely, Pierre Gadonneix et Henri Proglio, auxquels je rends hommage, EDF permet à ses clients de bénéficier d'une électricité à un prix modéré en comparaison des prix européens. Selon Eurostat, les ménages français payent l'électricité 35 % moins cher que la moyenne européenne, deux fois moins cher qu'en Allemagne.

La qualité de service est remarquable, y compris dans les moments critiques, où le sens de l'intérêt général des équipes d'EDF permet d'assurer la continuité du service ; chacun a en mémoire la mobilisation exceptionnelle des électriciens lors de la tempête de 1999. En outre, l'électricité produite par EDF est particulièrement peu émettrice de CO2 et respectueuse de l'environnement. Cela permet à notre pays d'être en pointe dans la lutte contre le réchauffement climatique. Le savoir-faire d'EDF est unique au monde, grâce à l'expérience accumulée en matière de sûreté, en particulier de sûreté nucléaire, sujet sur lequel il n'est pas question de transiger. Dans un environnement incertain, où les événements géopolitiques peuvent remettre en cause l'accès d'un pays aux sources d'énergie, EDF offre en outre à la collectivité nationale la sécurité de son approvisionnement énergétique.

EDF est le fruit d'une vision stratégique et d'une excellence technique propres à notre pays. Notre système énergétique est de tout premier ordre. Il entraîne une filière industrielle très active dans de nombreux domaines, en particulier le nucléaire. Le volume d'investissement d'EDF en France est d'environ 9 milliards d'euros par an, et la référence EDF est essentielle à cette filière qui s'appuie sur de grands groupes, comme Areva et Alstom, ainsi que sur plus de 30 000 PME, lesquelles représentent le tiers des achats du groupe.

EDF joue également un rôle essentiel dans le développement équilibré des territoires, notamment grâce à sa filiale ERDF, qui assure un maillage territorial de premier ordre grâce aux efforts de ses 35 000 collaborateurs sur le terrain.

EDF est en outre un employeur de référence. Elle est une des entreprises préférées des Français, toujours classée au sommet des tableaux de choix des ingénieurs à la sortie de nos grandes écoles. EDF accueille 6 700 alternants, un chiffre élevé, et a décidé récemment de relever son niveau d'embauche de manière à former dans les meilleures conditions la nouvelle génération d'opérateurs, de techniciens et d'ingénieurs, dans le domaine du nucléaire, principalement, mais aussi dans la production d'énergies renouvelables et les technologies de l'efficacité énergétique.

Vous avez récemment voté la loi de transition énergétique ; je voudrais dire quelques mots sur le rôle qu'EDF jouera en la matière. La transition énergétique est une opportunité essentielle pour EDF, qui a toujours su relever les lourds défis auxquels elle a été confrontée depuis sa création. Avec la transition énergétique, s'ouvre une nouvelle page, et je suis certain qu'EDF en sera un acteur majeur. La transition énergétique, tout comme la transition numérique qui impacte directement notre vie quotidienne, nos activités et nos métiers, est une opportunité enthousiasmante pour innover et développer de nouveaux savoir-faire, produits et services, et je suis sûr qu'EDF saura remplir cette mission.

Mon projet est tout d'abord qu'EDF devienne un acteur important des nouveaux services énergétiques. Ce marché croît en Europe de 5 à 10 % chaque année. EDF y est déjà présente, notamment grâce à l'acquisition récente de Dalkia. La vocation d'EDF est d'être présente sur l'ensemble de la chaîne de valeur, notamment la rénovation des logements, le conseil aux collectivités et aux industriels, la production décentralisée.

Il s'agit aussi de développer la production d'énergies renouvelables. EDF Énergies Nouvelles permet déjà à EDF de se positionner parmi les dix plus grands acteurs mondiaux des énergies renouvelables. Son socle historique est le formidable parc hydraulique construit tout au long du vingtième siècle. Ce parc est à présent relayé par des investissements dans le solaire et le photovoltaïque.

La transition énergétique, c'est aussi le renouvellement et l'optimisation du parc nucléaire. Le premier objectif est de réussir le chantier de l'EPR de Flamanville, qui doit être mis en service en 2017. Nous avons également à lancer un programme majeur dit de grand carénage, qui permettra d'allonger la durée de vie des centrales nucléaires construites entre le milieu des années soixante-dix et le milieu des années quatre-vingt-dix. Il comporte des bénéfices économiques majeurs pour notre pays et pour sa réindustrialisation. Il faudra bien sûr que ce programme respecte les prescriptions de l'Autorité de sûreté nucléaire.

La transition énergétique répond également à une contrainte environnementale et à des aspirations sociétales ; je pense en particulier au traitement de la précarité énergétique. Il est fondamental pour EDF d'être au rendez-vous de la transition énergétique. C'est une opportunité pour le développement du groupe et pour la pérennité du service public. La transition énergétique sera de même un levier pour fonder une nouvelle croissance permettant d'améliorer la compétitivité de notre filière énergétique au service des entreprises et de l'emploi.

EDF a devant elle des mutations d'une ampleur probablement sans précédent. J'évoquerai à cet égard cinq enjeux principaux. Le premier, qui me semble le plus important, est l'assainissement de la situation économique du groupe. Nous observons des retards préoccupants entre la trajectoire des tarifs, convenue avec les gouvernements successifs, et les tarifs constatés. C'est vrai des tarifs de gros, tels que l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH), comme des tarifs de détail. Cet écart conduit EDF à augmenter chaque année sa dette : c'est par l'augmentation de l'endettement que le dividende peut être versé aux actionnaires. À mes yeux s'impose donc un rééquilibrage tarifaire. Celui-ci passe entre autres par une stabilisation, ou en tout cas une mise sous contrôle, de la contribution au service public de l'électricité (CSPE), dont la croissance rapide est un souci. C'est à la condition de rééquilibrer son compte d'exploitation en France qu'EDF pourra rester l'un des tout premiers énergéticiens mondiaux. Un objectif difficile mais primordial.

Le second enjeu porte sur la conduite des projets et le développement des produits, en particulier dans le domaine nucléaire. L'ensemble de ces sujets seront pour moi une priorité essentielle, dès mon arrivée. Le premier est l'EPR de Flamanville 3, dont les délais, et sans doute les coûts, dérivent, et qu'il s'agit de livrer dès que possible. Le deuxième sujet est le projet britannique Hinkley Point, très important pour le succès d'EDF au Royaume-Uni, mais aussi dans le cadre du partenariat avec la Chine, un partenaire de trente ans d'EDF. Le troisième, dont il est beaucoup question actuellement, est la relation avec Areva, sur les produits comme sur les projets : Philippe Varin, pressenti pour présider prochainement aux destinées d'Areva, et moi-même auront à améliorer l'efficacité du partenariat entre EDF et Areva. Il s'agit désormais de coopérer. Le quatrième sujet, qui nécessite également une coopération avec Areva, est l'optimisation du coût des EPR. Nous constatons aujourd'hui des coûts élevés pour le prototype ; il faut parvenir à les faire baisser pour les EPR suivants. Enfin, des décisions devront être prises pour compléter le produit à 1 600 mégawatts par une offre dans la catégorie des centrales dites de moyenne puissance, autour de 1 000 mégawatts.

Le troisième enjeu porte sur les activités aval. EDF doit jouer tout son rôle dans la production décentralisée, les énergies renouvelables, les relations avec les collectivités territoriales, les services énergétiques. La révolution numérique aura également un impact fort sur EDF, lui permettant d'optimiser l'efficacité énergétique. De ce point de vue, le compteur Linky est une première application prometteuse, qu'il s'agit de déployer rapidement.

Le quatrième enjeu porte sur l'international. EDF est déjà très présente en Europe, principalement en Grande-Bretagne, en Italie, en Pologne, en Belgique et dans quelques autres pays. Au-delà, il s'agit de déployer une politique internationale en cohérence avec ses objectifs stratégiques, en particulier dans la relation avec nos partenaires chinois. Il me reviendra, si vous l'acceptez, de préciser ces objectifs et de concentrer les efforts et les moyens d'EDF sur quelques pays, dans une stratégie internationale cohérente.

Cinquième enjeu : la gestion des déchets à longue durée de vie. Le projet Cigéo est un dossier économique et technologique très important, notamment parce qu'il s'agit d'un legs aux générations futures. Il me semble nécessaire que soit rapidement trouvé un consensus entre EDF et l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), de manière à développer une filière du démantèlement et du traitement des déchets à longue durée de vie, filière qui n'existe pas aujourd'hui dans le monde et qui est pourtant une nécessité.

Je conclurai ce propos liminaire en évoquant mon projet managérial pour EDF. L'avenir du monde dépend pour beaucoup du secteur de l'énergie. EDF a de multiples potentiels de développement, en France comme à l'international. Les femmes et les hommes d'EDF, leurs talents, leurs compétences, leur engagement et leur passion du service public, leur sens du collectif, tous ces atouts permettront à l'entreprise de bâtir son avenir. Il faudra savoir mobiliser ces compétences au service d'une nouvelle aventure exaltante, pour que l'entreprise puisse continuer à innover, à entreprendre et à aller toujours plus loin. À mes yeux, EDF, grand énergéticien mondial, doit se doter d'un projet à moyen terme ambitieux. Il faudra tenir compte d'un nouvel environnement exigeant, stimulant, marqué par la loi de transition énergétique, le paquet européen climat-énergie et les résultats de la Conférence de Paris, COP21, fin 2015.

Pour rassembler l'entreprise autour d'une stratégie partagée, je compte engager un projet de transformation, qui impliquera un effort de transparence et de prospective. Les programmations pluriannuelles de l'énergie prévues par la loi de transition énergétique en seront une contribution essentielle. Dans ce cadre, le dialogue social aura toute sa place ; il permettra aussi de mobiliser les énergies dans le groupe. Je compte veiller à la transparence, laquelle est due aux actionnaires, en particulier l'État, de même qu'à la représentation nationale, et je serai heureux, si vous voulez bien m'inviter, de venir régulièrement devant vous.

EDF est le fruit d'une aventure humaine engagée il y a plus de soixante ans. Les femmes et les hommes qui ont fait son histoire sont fiers à juste titre des succès de l'entreprise et du service public. Les technologies et les savoir-faire développés en France grâce à EDF, qui nous sont enviés dans le monde entier, justifient l'attachement exceptionnel des collaborateurs à l'entreprise. Si vous l'approuvez, il m'appartiendra de relever avec eux tous ces nouveaux défis.

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