Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 21 novembre 2012 à 11h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances :

La création de la Banque publique d'investissement répond au premier des soixante engagements pris par le Président de la République durant la campagne présidentielle. Il s'agit d'un élément majeur pour la reconquête de notre compétitivité ; la BPI est d'ailleurs l'un des bras armés du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi présenté par le Premier ministre le 6 novembre dernier. Le présent projet de loi tend à donner vie à un outil offensif, au service de l'économie réelle – et en particulier des très petites entreprises – TPE –, des petites et moyennes entreprises – PME – et des entreprises de taille intermédiaire – ETI – qui souhaitent se développer ; sa vocation première sera de leur apporter un soutien en agissant comme levier pour obtenir des financements privés.

Pour définir les missions de la BPI, nous nous sommes appuyés sur le diagnostic lucide des faiblesses du financement actuel de notre tissu productif, qui constituent un handicap pour la compétitivité française.

Ces faiblesses sont d'abord financières. En France, les TPE, les PME et les ETI se financent difficilement à court terme – la Banque de France souligne ainsi que les crédits de trésorerie sont en baisse de 3,5 % par rapport à l'année dernière – et elles prévoient un accès de plus en plus difficile au crédit bancaire pour leur financement à long terme. En outre, les nouvelles règles prudentielles risquent de peser lourdement sur le crédit aux PME dans les années à venir, car c'est le plus risqué, donc le plus consommateur en fonds propres pour les banques. Quant à l'accès aux fonds propres, il demeure contraint, notamment pour le développement et l'innovation ; dans notre pays, le capital investissement est en recul depuis plusieurs années. Les liens du Mittelstand avec les banques régionales sont une des forces de l'Allemagne ; la BPI s'inspire de ce modèle : nous manquons en France d'instruments de soutien à l'export efficaces, comparativement à nos voisins allemand et italien.

Les faiblesses sont également institutionnelles : l'empilement des outils et des interlocuteurs brouille la lisibilité du dispositif, et en réduit donc l'accessibilité et la facilité d'usage. Nous savons tous que, sur le terrain, les chefs d'entreprises n'arrivent pas à se retrouver dans le maquis des outils de l'État, de la Caisse des dépôts et consignations et des régions.

Des faiblesses stratégiques renforcent ces faiblesses institutionnelles. L'éparpillement des dispositifs limite la mobilisation des financements nécessaires pour soutenir les filières stratégiques. Aujourd'hui, l'État n'est pas capable d'articuler correctement ses actions de financement des entreprises et d'investissement dans certains secteurs. La réforme que nous proposons a pour objectif de rétablir la prééminence de l'État stratège, capable de piloter l'ensemble des instruments de financement au service d'une stratégie commune mise en oeuvre par un même opérateur.

Il existe enfin des faiblesses opérationnelles, et il importe que la BPI soit capable d'apporter une réponse précise et exigeante à chacune de ces défaillances.

Le présent projet de loi a trois ambitions : créer juridiquement la BPI ; préciser ses missions ; définir son mode de gouvernance, au niveau tant national que régional.

Donner chair et vie à la BPI relève d'un effort qui dépasse ce texte ; les opérations de nature capitalistique et humaine sont menées en parallèle, à travers notamment une mission de préfiguration, afin de rendre la BPI opérationnelle le plus rapidement possible, dès le début 2013. Les équipes sont déjà au travail, et je souhaite que le premier conseil d'administration se réunisse en janvier prochain.

À quoi servira la BPI ? Tout d'abord, elle ne sera pas et ne devra pas être une banque comme les autres. Elle sera la banque des entreprises de croissance – TPE, PME, ETI –, qui leur permettra de se financer, de se développer, d'exporter. Pour la première fois, une banque distribuera l'ensemble des outils de soutien financier et de conseil nécessaires au développement des entreprises : des prêts, des garanties, le financement de l'innovation, le financement de l'internationalisation – bref, tout ce qui est aujourd'hui éclaté entre OSÉO, le FSI, le FSI Régions, CDC Entreprises, Ubifrance et la COFACE.

Néanmoins, la BPI ne fera pas exactement la même chose que les structures précédentes : elle sera l'instrument financier des nouvelles politiques que nous lançons, notamment dans le cadre du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi. La BPI ne sera pas un guichet devant lequel les entreprises feront la queue, mais un outil d'accompagnement des entreprises ; le pacte prévoit notamment un programme d'accompagnement individuel à l'export de 1 000 PME et ETI. Elle développera de nouveaux services : un dispositif de trésorerie sera ainsi mis en place dès le 1er janvier. Elle garantira le préfinancement du crédit d'impôt recherche – CIR –, que nous nous sommes engagés à pérenniser pour cinq ans, afin de le rendre plus efficace : une PME pourra toucher l'argent du CIR en amont et développer son projet grâce à un crédit à court terme garanti – certaines grandes banques s'y sont aussi engagées. La BPI garantira également, suivant des modalités à définir, le préfinancement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi. Enfin, elle gérera les fonds consacrés à l'investissement dans les secteurs d'avenir.

La BPI sera également la banque du tissu économique de nos territoires, qui accompagnera, au plus près du terrain, celles et ceux qui, hors des grands groupes, sont porteurs de projets de développement, d'expansion, d'innovation, mais qui peinent à trouver des financements sur le marché. Elle permettra à ces graines de germer et d'atteindre une taille critique.

On peut se demander pourquoi, si les PME et les ETI sont la priorité, intégrer à la BPI le Fonds stratégique d'investissement, qui possède des participations dans les grandes entreprises. L'objectif est de donner à la BPI un maximum de moyens ; cela ne signifie pas pour autant qu'elle interviendra dans les grands groupes. Sa structure même reflète le souci de servir l'économie réelle et les entreprises de croissance ; elle distribuera ses produits via un réseau unique, par l'intermédiaire de directions régionales, au plus près des territoires. Une marque unique, un interlocuteur proche, une offre « tout compris » : voilà ce qu'elle doit être.

La BPI sera enfin la banque de la stratégie industrielle du Gouvernement. Il s'agit d'une banque nationale et publique, qui répondra à une logique propre. Si nous avons choisi de placer l'ensemble des outils de soutien public au financement des entreprises sous une même autorité, c'est notamment pour structurer et consolider le développement des filières stratégiques – dont la transition énergétique. Le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi a dénombré cinq nouvelles filières prioritaires, dont les ressources seront confiées à la BPI au titre du programme des investissements d'avenir.

Pour résumer, la BPI sera un instrument au service de l'avenir et de la croissance. Elle devra être, non pas un baume pour nos territoires en souffrance, mais un facteur de dynamisation de l'ensemble du tissu productif.

J'en viens maintenant à sa structure et à sa gouvernance.

La BPI sera constituée d'une holding, dont l'État et la Caisse des dépôts et consignations seront actionnaires à parité, et de filiales spécialisées, dont une chargée du financement en fonds propres. À la holding reviendra la charge de définir la stratégie globale du groupe, le pilotage du réseau régional, le contrôle des risques et l'affectation des ressources en fonction des priorités du groupe.

Nous avons nommé un préfigurateur, M. Nicolas Dufourcq, qui travaille activement à la constitution et à la définition du statut juridique du groupe, afin de rendre celui-ci le plus homogène possible, de manière à assurer une meilleure circulation du capital et à accroître la puissance de frappe de la nouvelle banque.

Nous souhaitons une gouvernance opérationnelle intégrée, qui associe l'ensemble des forces vives du pays. Le conseil d'administration exécutif comprendra 15 membres ; il sera présidé par un président non exécutif, et les représentants des actionnaires y détiendront la majorité ; deux représentants des salariés du groupe y siégeront, conformément au pacte de compétitivité. Sur le plan opérationnel, la BPI sera dirigée par un directeur général exécutif, qui présidera notamment les conseils d'administration des filiales ; sa nomination sera soumise à l'avis des commissions des Finances des deux assemblées. Des représentants des salariés, des employeurs et des secteurs d'intervention prioritaire siégeront au comité national d'orientation. Quant aux régions, elles occuperont une place centrale, tant au conseil d'administration qu'au comité national d'orientation – qui sera présidé par l'un de leurs représentants.

Je le répète : la BPI ne sera pas une banque comme les autres. Je présenterai dans quelques semaines le projet de loi sur la réforme bancaire, mais la présente structure est déjà une institution financière exemplaire. Elle l'est dans ses activités, qu'elle exerce non pour son compte propre ou à des fins spéculatives, mais uniquement pour le compte d'autrui. Elle l'est dans son organisation : afin de prévenir tout conflit d'intérêt en son sein, nous avons décidé de séparer les activités de crédit et les activités d'investissement. Elle est exemplaire enfin dans son fonctionnement, puisque nous avons souhaité que sa gouvernance soit large et partenariale. Je suis certain que l'examen du texte à l'Assemblée et au Sénat contribuera à renforcer ce caractère exemplaire – je serai ouvert aux amendements allant en ce sens.

J'ai souhaité faire de la BPI un instrument puissamment ancré dans les territoires. Conformément aux engagements du Président de la République, elle est fondée sur un partenariat entre l'État et les régions, qui pourront mettre leurs moyens en commun au service du financement des entreprises. Les régions participeront directement à la gouvernance opérationnelle de la BPI : le président de l'Association des régions de France – ARF –présidera le comité national d'orientation, tandis que deux représentants des régions siégeront au conseil d'administration ; sur le terrain, le président du conseil régional présidera le comité régional d'orientation. BPI et régions pourront ainsi agir de manière cohérente et investir ensemble dans des entreprises de croissance. Nous souhaitons en définitive que 90 % des décisions financières soient prises au niveau régional.

Il s'agit d'un projet politique. L'acte III de la décentralisation est devant nous. Si les régions sont appelées à être demain les chefs de file du développement économique, il est normal que la BPI participe à la mise en oeuvre des schémas régionaux de développement économique. Et si cela ne doit pas aboutir à favoriser un territoire par rapport à un autre – c'est pourquoi nous avons souhaité créer une banque nationale pilotée par l'État, plutôt qu'un réseau de 22 banques régionales –, créer la BPI sans associer les régions serait commettre une grave erreur.

Pour conclure, je voudrais changer de focale et situer le présent projet de loi dans le champ plus large de mon action en faveur d'un meilleur financement de l'économie. La création de la BPI en est un élément central, mais elle sera associée à d'autres mesures, comme la réforme bancaire – qui vise à mettre la finance au service de l'économie réelle et qui sera présentée le 19 décembre au conseil des ministres –, la création en 2013 d'une nouvelle bourse pour les PME et les ETI, ou la réforme de la fiscalité de l'épargne, qui sera engagée sur la base des travaux de Karine Berger et de Dominique Lefebvre et qui vise à canaliser l'épargne des Français vers l'économie productive et à encourager le renforcement des fonds propres en favorisant le développement de l'épargne financière à long terme.

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