Dans mon unité, une équipe de recherche travaille spécifiquement sur les poissons migrateurs. Il y a quelques années, j'ai initié, à l'échelle européenne, un réseau de laboratoires de recherche travaillant sur les poissons migrateurs.
On dénombre vingt-huit espèces de poissons migrateurs à l'échelle européenne, et onze en France, de deux types : huit du type saumon, qui se reproduisent en rivière et vont grandir en mer avant de revenir, et trois du type anguille, qui naissent en mer et reviennent en rivière pour grandir. La spécificité des poissons migrateurs tient à ce passage nécessaire entre l'eau douce et l'eau de mer. Si l'on place un obstacle infranchissable entre les deux, tout s'arrête.
À l'échelle géographique, la situation est difficile à appréhender en termes de gestion, car il faut prendre en compte tout un bassin versant et une zone maritime plus ou moins vaste. Au niveau du bassin versant, cela implique qu'il y ait, entre l'amont et l'aval, dialogue et coordination en matière de gestion.
Si nous nous préoccupons de ces espèces, c'est qu'elles ont un intérêt économique pour la pêche commerciale et pour la pêche de loisir, et un intérêt symbolique pour des régions, des pratiques, des coutumes ou de la gastronomie. En outre, elles contribuent au fonctionnement de l'écosystème : c'est le seul flux de matière qui vienne de la mer pour aller vers les eaux douces, tous les autres flux allant dans le sens inverse. Les écosystèmes ne seraient pas les mêmes s'il n'y avait pas les poissons migrateurs.
S'agissant des priorités de la recherche associées à la conservation et à la restauration de ces espèces, des questions se posent, anciennes pour certaines, plus récentes pour d'autres.
La première, que l'on se pose depuis longtemps, porte sur la fragmentation, les obstacles qui empêchent les individus de passer et peuvent poser des problèmes de fonctionnement des populations, voir l'arrêter. Dans le cas d'un barrage infranchissable, les individus devant se reproduire en amont ne peuvent plus le faire et tout s'arrête. Nous avons beaucoup travaillé, en termes de génie écologique, sur l'installation de passes à poissons de plus en plus efficaces. Nous en voyons aussi les limites : lorsque plusieurs obstacles se succèdent, même avec le plus grand savoir-faire, les résultats restent médiocres. La meilleure solution consiste à enlever l'obstacle, mais ce n'est pas toujours faisable.
Autre vieille question, celle de la surexploitation. Nous pêchons trop de poissons, si bien qu'il n'en reste pas assez pour maintenir le système. C'est le cas, notamment, pour la civelle d'anguille. Les autres espèces sont touchées par les captures accidentelles ou accessoires. Pour les aloses, par exemple, que ce soit en Europe ou en Amérique du Nord, les captures accidentelles liées aux pêcheries sont très importantes. Nous les avons mal prises en compte dans le fonctionnement des populations, alors qu'elles peuvent induire des effets importants.
Parmi les questions plus récentes, se pose celle de la contamination des milieux et, au-delà, de ses effets sur les espèces. Ils sont particulièrement visibles au stade des embryons. Jusqu'à présent, on avait mesuré le degré de contamination des individus. Aujourd'hui, on observe les effets de cette contamination, qui se traduisent par de la mortalité, des déformations ou des malformations. Nous ne parviendrons pas à résoudre le problème à court terme, car nous ne pouvons pas améliorer, d'un coup, l'état des sédiments ou la qualité de l'eau, mais il faut le prendre en compte.
La dernière question récente est celle du changement climatique. En ce qui concerne l'effet de la température, nous nous sommes demandés, en tenant compte de divers scénarios, jusqu'à quel point les différentes espèces étaient aptes à se maintenir dans un bassin versant donné. Nous commençons à avoir des réponses. Chaque espèce va s'adapter localement jusqu'à un certain point ; ensuite, l'espèce devra se repositionner, c'est-à-dire qu'elle fasse glisser son aire de répartition, en gros, plus au nord. À l'échelle de l'espèce, ce n'est pas forcément un problème. À l'échelle des acteurs du territoire, en revanche, cela peut en être un, parce qu'il ne sera peut-être pas toujours possible de restaurer les conditions de vie qui prévalaient au début du XXe siècle.
Nous nous interrogeons donc sur la façon d'accompagner ce changement, pour permettre aux espèces de se repositionner et maintenir une biodiversité à large échelle, avec des mesures dites « sans regrets », autrement dit qui, quel que soit le système, seront bénéfiques.
En matière de recherche, enfin, nous sommes relativement coordonnés au niveau national. Nous avons un groupement d'intérêt scientifique (GIS), le GRISAM, groupe d'intérêt scientifique pour les amphihalins, qui regroupe l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), l'IRSTEA, l'ONEMA, le Museum d'histoire naturelle et l'Institut de recherche pour le développement (IRD), dans le but de réaliser des expertises scientifiques collectives.
Enfin, dans les appels d'offres actuels pour la recherche, notamment de l'Agence nationale de la recherche (ANR), nous n'avons pas de clé d'entrée spécifique pour les poissons migrateurs. Ce qui fait que les équipes vont chercher des financements pour la recherche sur des clés d'entrée qui ne sont pas directement en appui à la gestion ou à la conservation des espèces migratrices.