Intervention de Patrick Martin

Réunion du 25 novembre 2014 à 16h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Patrick Martin, directeur du Conservatoire national du saumon sauvage :

Vous me donnez aujourd'hui l'opportunité de pouvoir m'exprimer sur les poissons migrateurs, et en particulier sur le saumon.

Les populations d'espèces migratrices subissent, depuis de nombreuses décennies, un déclin constant, lié en grande partie à la dégradation de leur habitat. De nombreux programmes de sauvegarde ont été mis en oeuvre. Dans le cas du saumon, un premier plan a été élaboré en 1976, suivi en moyenne tous les cinq ans par différents plans qui ont ensuite été élargis à l'ensemble des migrateurs.

Ces plans ont été évalués, d'abord en 1987, puis, à la demande de la ministre de l'environnement Mme Ségolène Royal, en 1992, avec le rapport parlementaire du député Louis Eyraud, qui a conduit à la construction du Conservatoire national du saumon, et plus récemment, en 2006, avec le rapport de l'Inspection générale de l'environnement, confié à Pierre Balland, ingénieur général du génie rural, des eaux et des forêts, et André Manfrédi, inspecteur général de la santé publique vétérinaire.

Quarante ans plus tard, la situation des migrateurs reste, pour un grand nombre d'espèces, des plus préoccupantes et, comme l'a dit M. Rochard, les problèmes liés à l'aspect migrateur de ces poissons sont extrêmement complexes.

Bien entendu, la survie en mer reste une préoccupation et nécessite encore des actions à l'échelle internationale, comme celles menées par le North Atlantic salmon fund (NASF) et l'Organisation de conservation du saumon de l'Atlantique Nord (OCSAN). Mais si l'évolution de l'environnement marin reste incertaine du fait du changement climatique, il est d'autant plus vital de poursuivre les efforts dans les secteurs sur lesquels nous pouvons avoir une emprise directe, et notamment sur la qualité de l'habitat en eau douce.

Pour ce faire, il existe des stratégies nationales : un plan français de mise en oeuvre des recommandations de l'OCSAN dans le cas du saumon, la stratégie nationale de gestion des poissons migrateurs et les plans de gestion des poissons migrateurs (PlaGePoMi), qui sont déclinés en orientations, mais très rarement traduits par des mesures concrètes. Car tous ces programmes ne peuvent être mis en oeuvre que par la volonté de maîtres d'ouvrage et par des financements appropriés.

Voilà la question majeure : qui souhaite réellement voir se maintenir les poissons migrateurs ? Quelle valeur attache-t-on à ces poissons ? Quelle valeur souhaite-t-on leur attacher dans le futur ? Une valeur patrimoniale et culturelle, certes, mais aussi et surtout économique : la reconquête des habitats des poissons migrateurs est une opération longue et coûteuse. Pour information, une opération locale, le simple aménagement par Électricité de France d'un petit barrage de dix-sept mètres de haut coûtera à l'entreprise quelque 20 millions d'euros.

Comme l'a précisé le rapport Balland et Manfrédi, je regrette qu'il soit quasiment impossible, aujourd'hui, de chiffrer le coût de ces opérations « migrateurs » - chiffrage que la mission n'a pas été en mesure de faire.

Sans une expression claire de cette volonté collective, notamment des riverains, on assiste à un désintérêt politique, qui a été souligné dans le même rapport. Ses rapporteurs parlent même d'une grande immobilité et d'une insuffisance d'expression. Cet état s'est amplifié depuis les quinze dernières années, avec la raréfaction des migrateurs. Je salue toutefois la volonté du député Jean-Pierre Vigier de réaliser un bilan des politiques de sauvegarde et de restauration des poissons migrateurs.

Cette insuffisance d'expression politique conduit naturellement à une absence de ligne directrice claire et à des problèmes de gouvernance, et donc d'articulation entre les acteurs, les actions et leur financement. Cela conduit aussi à des difficultés pour mobiliser les financements nécessaires, fiables, pérennes et à la hauteur des enjeux, ce qui consiste à utiliser les bonnes ressources et à les valoriser au mieux. On sollicite de façon récurrente les fonds européens pour pallier ou compléter certains financements, alors que ces fonds sont, dans certains cas, dédiés uniquement à des opérations innovantes. Cette dérive a d'ailleurs été signalée par la Direction générale des finances publiques, qui alerte non seulement sur la bonne utilisation des fonds européens, mais aussi sur le respect des procédures mises en oeuvre, notamment sur les appels à projets et leur compatibilité avec le respect du code des marchés publics, concernant des opérations réalisées dans un secteur concurrentiel.

Je veux conclure en insistant sur la très grande déception et la frustration de nombreux acteurs lorsqu'ils voient la presse faire régulièrement état d'interrogations sur le réalisme des programmes migrateurs. Il me semble nécessaire que cette mission reste centrée sur les aspects méthodologiques, l'équilibre entre les acteurs, la gouvernance et le financement.

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