Intervention de Patrick Martin

Réunion du 25 novembre 2014 à 16h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Patrick Martin, directeur du Conservatoire national du saumon sauvage :

Le saumon va globalement mal. En 1974, on en capturait environ 12 000 tonnes sur l'ensemble de l'Atlantique nord ; aujourd'hui, c'est 1 300 tonnes. Le déficit est particulièrement fort dans la zone sud-est, et nous sommes en dessous des seuils de conservation pour les grands saumons. En France, on prend chaque année une dizaine de tonnes de saumon à l'intérieur des terres : environ 3 000 poissons, dont 1 800 pris à la ligne et 1 200 au filet. On pêche le saumon dans quarante et un cours d'eau déclarés comme tels, et qui font l'objet d'un suivi ; mais dans 75 % de ces rivières, on pêche moins de cinquante par an, et dans 10 % moins de dix.

S'agissant du bassin de l'Allier, des élus de toutes sensibilités se sont mobilisés pour s'opposer à la stratégie mise en place. Sur l'enjeu, la reconquête des habitats, nous sommes tous d'accord ; c'est sur la façon d'y parvenir que les avis divergent alors que nous avons besoin d'une mobilisation de tous les acteurs, et cela prend du temps. Dans le haut-Allier, par exemple, le parc régional aura pour emblème un poisson d'eau douce : cela a pris plus d'une quinzaine d'années. Mais cela révèle l'acceptation par ce territoire des contraintes nécessaires pour sauver cette espèce. Sans cette appropriation, nous ne pourrons pas mobiliser les acteurs pour agir sur le franchissement des ouvrages, sur l'entretien des passes à poissons, etc., et nous ne parviendrons pas à maintenir les populations de poissons et à valoriser leur présence.

Quel est l'élément fort qui valorise la présence d'une espèce ? Son retour. Les questions posées sont toujours les mêmes : combien y a-t-il de poissons ? Y en a-t-il plus, y en a-t-il moins ? Heureusement pour le bassin de l'Allier, la tendance depuis le démarrage des programmes est à la hausse : les opérations de soutien contribuent, directement ou indirectement, pour plus de 80 % au taux de retour de ces poissons. Je ne vous cache pas néanmoins la surprise, sinon le désarroi que nous éprouvons par moments : les années précédentes, on nous disait que nos actions ne fonctionnaient pas puisque nous n'arrivions pas au taux de retour attendu ; voilà maintenant qu'on reproche à notre projet de faire revenir trop de saumons au risque d'impacter les autres poissons sauvages et d'arrêter tout cela ! Il ne faut pas mésestimer le risque de démobilisation des acteurs et donc de rechute. Et allez expliquer qu'il faut investir 20 millions d'euros sur un barrage pour y faire monter cinq poissons dans les années futures !

Le saumon est l'une des premières espèces qui ait fait l'objet d'un plan, et c'est un exemple révélateur de l'attention qu'il faut porter aux problèmes de gouvernance, d'acceptation par tous les partenaires, de mobilisation des financements adéquats. Pour les autres espèces, les problèmes, et donc les méthodes, sont à peu près les mêmes. Si nous avons du mal à atteindre les objectifs pour cause d'avis divergents, c'est parce que nous avons, me semble-t-il, perdu l'équilibre entre le politique et le technique. Les premiers projets étaient très politiques, mais pâtissaient souvent d'une méconnaissance technique ; heureusement, la recherche est venue ensuite apporter de nombreux enseignements. Aujourd'hui, le phénomène est inverse : la technique est prépondérante, mais la voix politique ne se fait plus entendre pour fixer clairement les objectifs et les enjeux. Ce serait pourtant le seul moyen de réussir, d'autant que nous ne pourrons de toute façon totalement sauver ces espèces avant un horizon lointain.

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