Intervention de Jacques Krabal

Réunion du 25 novembre 2014 à 18h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Krabal :

Le texte présenté aujourd'hui fait écho au débat relatif à ce que doivent être le progrès et l'innovation et aux risques qu'ils comportent dans notre société, ainsi qu'à notre méfiance contemporaine vis-à-vis de la science. L'exposé des motifs commence par une citation de Victor Hugo : « Oser le progrès est à ce prix ». Le même Victor Hugo, conditionné par son siècle, écrivait aussi dans Les Misérables : « La vie générale du genre humain s'appelle le progrès, le pas général du genre humain s'appelle le Progrès. », ou encore : « Ouvrez une école, vous fermerez une prison ». C'est tout l'esprit du XIXe siècle, fasciné par le progrès et pétri de positivisme qui s'exprime par ces mots.

Mais le XXe siècle a apporté quelques bémols à cette croyance aveugle dans un progrès réputé faire avancer l'humanité. N'oublions pas que l'Allemagne nazie était le pays le plus avancé scientifiquement, celui des prix Nobel, de la connaissance et du progrès technique. Le constat est sans ambiguïté : la science moderne ne se borne plus à être contemplative. C'est pourquoi il ne faut pas opposer principe de précaution et principe d'innovation.

Notre problème pourrait se résumer à cette question : comment concilier ces deux principes qui n'ont rien à voir avec le principe de prévention ? Comme toujours, cela dépend de l'interprétation de chacun. Si les députés PRG et RRDP sont de fervents partisans de la science, la vulgarisation et la diffusion scientifiques n'en doivent pas moins être améliorées à une époque où les disciplines scientifiques sont de plus en plus spécialisées et cloisonnées entre elles – comme vis-à-vis du grand public, ce qui favorise la montée des croyances irrationnelles. Mais si nous pensons que cette méfiance à l'égard de la science doit être combattue, nous n'en sommes pas moins convaincus que le progrès scientifique doit être encadré juridiquement. Il est devenu envahissant et peut paraître incontrôlé. Il bouleverse les structures sociales et pourrait se retourner contre l'humanité comme la créature se retourne contre le docteur Frankenstein.

L'exposé sommaire de la proposition de loi cite Hans Jonas et son ouvrage de référence Le principe de responsabilité. À juste titre, cet auteur considère que nous devons intégrer dans nos raisonnements la préoccupation des générations futures et préconise une logique de prudence propre à préserver l'homme et l'environnement. Il serait vain de résumer ses travaux en quelques phrases alors qu'ils ont pour partie inspiré le principe de précaution inscrit dans notre droit positif. Apparu à la fin des années soixante en Allemagne, le principe de précaution a été consacré dans plusieurs textes internationaux – déclaration de Rio en 1992, deuxième conférence des Nations Unies –, introduit dans le droit communautaire par le traité de Maastricht et c'est la loi dite Barnier, alors député UMP, en 1995 qui l'a intégré dans le droit français avant sa consécration dans le bloc de constitutionnalité avec son inscription dans la Charte de l'environnement en 2004. Sa définition est claire : principe d'action, principe d'inaction, blocage, contrainte juridique et universelle.

Le principe de précaution a-t-il été détourné de sa définition originelle ? Personne ne défend la théorie du risque zéro et nous sommes conscients qu'une part de risque est toujours présente. Mais, compte tenu de son inscription dans le droit international, européen et national, il serait imprudent d'en priver notre Constitution. Nous demeurons exposés à un certain nombre de menaces, de pollutions et de dérives possibles du progrès scientifique et un principe juridique, fût-il constitutionnel, mais sans portée normative, reste une arme par trop faible pour canaliser le torrent du progrès. Voilà pourquoi je soutiens la position de notre rapporteure.

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