Intervention de Christian Assaf

Réunion du 26 novembre 2014 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Assaf :

Le principe de précaution n'est pas une création ex nihilo du droit français, mais le fruit d'un long processus qui a accompagné l'importance croissante que nous avons accordée aux questions environnementales et donc au souci du monde que nous léguerons aux générations futures. Apparu dans le droit allemand à la fin des années 1960, le principe de précaution a surtout été pour la France un paradigme inspiré du droit international, un principe consacré dès 1972 par la Convention de Londres et confirmé en 1992 par la Déclaration de Rio qui l'a placé au quinzième rang des vingt-sept principes adoptés lors du sommet de la Terre. La même année, le Traité de Maastricht, approuvé par le peuple français par référendum, l'a fait entrer dans le droit européen : le principe de précaution est donc désormais une composante de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne. La France, en ratifiant ces traités internationaux et européens, a contribué à l'émergence et à la concrétisation de ce principe.

C'est ainsi que sous la présidence de Jacques Chirac, tant en 1995 qu'en 2004, la majorité gouvernementale a choisi, à juste raison, de le faire entrer dans le droit français. Il apparaît donc pour le moins cocasse que la majorité devenue opposition en propose la suppression. Elle l'a d'ailleurs fait à quatre reprises depuis l'alternance de 2012. En 1995, le texte de loi défendu par Michel Barnier consacre le principe de précaution et l'introduit dans le code de l'environnement. En 2004, le choix est fait de l'inscrire dans la Charte de l'environnement et de lui donner, en même temps qu'elle, une valeur constitutionnelle.

La Charte définit tant le principe de précaution que les modalités de son application. Celle-ci précise même, dans son article 6, la nécessaire conciliation à opérer entre la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social. De même que, dans son article 9, elle encourage la recherche et l'innovation.

Pour la quatrième fois depuis 2012, il nous est donc proposé de remettre en question l'équilibre et les acquis de cette Charte de l'environnement qui doit beaucoup à la volonté de Jacques Chirac et au travail de Roselyne Bachelot, ministre de l'Environnement du 6 mai 2002 au 31 mars 2004, de Serge Lepeltier, qui lui a succédé dans ces fonctions, de Dominique Perben, garde des Sceaux, qui l'avait défendue à l'Assemblée, ou de certains de nos collègues comme Mme Kosciusko-Morizet, qui en avait été rapporteure pour la commission des Lois.

La remise en question du principe de précaution proposée par cette proposition de loi constitutionnelle reviendrait donc à renier les engagements de la France au niveau international et à créer un flou juridique puisque, pour un même principe, nous aurions des mots différents aux niveaux national, européen et international. Une telle décision est-elle judicieuse alors que la proposition de loi, qui est de portée constitutionnelle, ne propose qu'un changement sémantique ? Permettez-moi d'ailleurs de m'étonner de cette récurrente volonté de l'UMP de modifier la Constitution sur ce point alors que, depuis le début de la législature, elle s'y est toujours opposée pour des droits tout aussi fondamentaux, préférant alors choisir des motivations politiques au détriment de la possibilité de faire évoluer ensemble notre patrimoine constitutionnel.

Une modification sémantique suffirait-elle à relancer la recherche, l'innovation, l'investissement et la croissance ? Substituer des mots à d'autres changerait-il le droit, son application et la jurisprudence ? Tout indique qu'elle ne changera en rien les perceptions de l'opinion publique tout comme il est difficilement envisageable que cette substitution de mots fasse évoluer la jurisprudence : les juges judiciaire, administratif et constitutionnel demeureront des interprètes de la Charte de l'environnement, de la conciliation entre les principes qu'elle proclame et les principes de portée constitutionnelle.

Parmi ceux-ci figure la liberté d'entreprendre, protégée par le Conseil constitutionnel depuis sa décision du 16 janvier 1982. Du reste, cette liberté d'entreprendre n'est en rien menacée par le principe de précaution. Comme l'a expliqué le professeur de droit Michel Prieur, dans les Cahiers du Conseil constitutionnel, on ne trouve aucun exemple d'utilisation abusive de ce principe du fait de sa valeur constitutionnelle ; l'exposé des motifs de la présente proposition de loi ne contient d'ailleurs aucun exemple de cette nature. Et si l'idée que le principe de précaution s'opposerait au développement économique de la France est présente en filigrane dans le rapport, rien ne vient la démontrer par des données et des exemples concrets : il est évident que le principe de précaution n'obère en rien l'innovation, la recherche, l'investissement ou le développement économique. Au contraire, il en est une composante et un moteur – à moins de penser que l'environnement et le respect que nous lui devons seraient inutiles à l'homme.

Nous pensons donc qu'il n'est ni judicieux, ni justifié d'opter pour ce glissement sémantique, mais que nous devons reprendre la Charte de l'environnement dans sa rédaction actuelle pour en expliquer de nouveau le sens et faire oeuvre de pédagogie pour que la vocation première du principe de précaution soit réaffirmée et concrétisée.

Le groupe Socialiste, citoyen et républicain ne votera donc pas cette proposition de loi constitutionnelle.

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