Intervention de Sabine Buis

Réunion du 26 novembre 2014 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabine Buis, rapporteure pour avis de la commission du Développement durable et de l'aménagement du territoire :

Ce texte a été examiné hier par la commission du Développement durable qui a appelé l'attention des députés sur le fait que le principe juridique de précaution n'avait rien à voir avec le principe médiatique de précaution employé à tort et à travers, et sur le fait que le principe de précaution, loin de s'y opposer, intègre l'innovation : la Charte de l'environnement précise sans ambiguïté que le principe de précaution appelle « la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques ». En situation d'incertitude scientifique, le principe de précaution ne suppose pas moins de science mais davantage.

La Commission a en outre appelé l'attention sur le fait que l'idée de créer un principe d'innovation responsable et de l'inscrire dans la Constitution revenait à appeler l'État à définir l'innovation responsable, par opposition à l'innovation irresponsable, autrement dit à distinguer la bonne innovation et la mauvaise – et pourquoi pas la bonne science et la mauvaise science ! Paradoxalement, nous sommes invités à décider ce que doit être la recherche. Est-ce à l'État de dire par avance en quoi doit consister l'innovation, la création ou l'invention ?

Troisième point relevé par la Commission : remplacer les mots « principe de précaution » par les mots « principe d'innovation responsable » est source de confusion. Concrètement, un même contenu s'appellera « principe de précaution » en droit international, en droit communautaire et dans la loi française mais, curieusement, s'appellera « principe d'innovation responsable » dans la Charte de l'environnement adossée à notre Constitution… Cette façon de faire bousculera la hiérarchie des normes et suscitera d'interminables débats en séance ou devant le juge pour savoir si ce changement d'appellation induit un changement de sens et si l'appellation « principe de précaution » se concilie ou non avec l'appellation « principe d'innovation responsable ».

En quatrième et dernier lieu, il est faux de prétendre que ce changement de nom permettrait de clarifier l'interprétation du principe de précaution. La lecture attentive de la jurisprudence du Conseil d'État, de la Cour de cassation ou des décisions du Conseil constitutionnel permet de se convaincre qu'un tel risque n'existe pas. Deux cas sont fréquemment cités. Un arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles du 4 février 2009 est souvent cité par les opposants au principe de précaution. Certes, dans cette affaire, les parties au procès avaient beaucoup écrit du principe de précaution, mais ce n'est pas sur ce fondement que la cour d'appel a ordonné l'enlèvement de l'antenne-relais litigieuse, mais bien parce que l'opérateur avait promis de respecter certaines normes d'émission et de distance pour l'implantation de son antenne-relais, et qu'il n'a pas tenu sa promesse.

Second cas de figure : récemment, par une décision du 11 octobre 2013, le Conseil constitutionnel a rejeté une question prioritaire de constitutionnalité par laquelle la société Schuepbach contestait la conformité au principe constitutionnel de précaution, de la loi du 13 juillet 2011 interdisant la fracturation hydraulique. Pour cette société, soucieuse de pouvoir rechercher et exploiter des hydrocarbures non conventionnels, le législateur avait utilisé à tort le principe de précaution en en faisant un principe d'interdiction – ici de la fracturation hydraulique. Or, le Conseil constitutionnel a considéré à très juste titre que cet argument était inopérant. En effet, la loi du 13 juillet 2011 relative à l'interdiction de la fracturation hydraulique, grâce notamment à l'intervention du président Chanteguet, n'est pas fondée sur le principe de précaution, mais sur le principe de prévention.

Voilà les raisons pour lesquelles la commission du Développement durable a décidé d'adopter un amendement de suppression de l'article.

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