Intervention de Bernard Accoyer

Réunion du 26 novembre 2014 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Accoyer :

Et comme nous n'avons pas prévu de dispositif organique, nous sommes dans une situation dont je ne peux que déplorer la gravité.

La proposition de loi constitutionnelle qui nous est soumise s'inscrit dans une réflexion générale sur la place de la science, de la culture scientifique dans la société, dans la haute fonction publique, dans les médias et au sein du personnel politique. Or, objectivement, cette place, depuis quelques décennies, a diminué de façon dramatique. Ce texte s'inscrit également dans un débat philosophique opposant d'un côté l'objectivité, la rationalité – héritage de la philosophie des Lumières qui ont contribué comme on sait au progrès de l'humanité – et, de l'autre, le relativisme.

La France est le seul pays à avoir, à trois niveaux, un principe de précaution : au niveau européen, au niveau constitutionnel et au niveau législatif avec la loi Barnier. Or, les effets du principe de précaution sont difficilement contestables, qu'il s'agisse des effets sur la recherche sectorielle – biotechnologies, hydrocarbures non conventionnels, recherche biomédicale… –, sur les filières industrielles et d'avenir qui dépendent de ces secteurs – je pense au défi alimentaire, au défi en eau, au défi énergétique –, ou des effets sur ces jeunes qui veulent se consacrer à la recherche : plus aucun jeune chercheur en France ne se forme désormais dans le secteur de la biogénétique végétale. Avant que les faucheurs volontaires ne se mettent en action, il y avait une centaine de cultures en plein champ d'organismes végétaux génétiquement modifiés ; il n'y en a plus une seule aujourd'hui. Avec ces cultures biogénétiques, ce sont les chercheurs qui ont été fauchés et la recherche elle-même !

Et où sont partis les chercheurs dans le domaine des hydrocarbures non conventionnels ? Dans d'autres filières ou à l'étranger.

On sait ce qu'il en est advenu avec la quatrième génération du nucléaire où la France, il y a vingt ans, avait une avance de vingt ans sur le reste du monde, alors qu'aujourd'hui nos chercheurs sont en Inde pour développer la filière qu'un jour nous lui rachèterons !

Je n'ai pas encore mentionné les effets du principe de précaution sur l'investissement. La France est considérée comme un pays où l'utilisation à tort et à travers de ce principe empêche ce moment indispensable qui accompagne le progrès en tous domaines : le saut technologique. Oui, un saut technologique comporte une part d'incertitude, une part de doute, une part de risque. Or, l'usage à tout propos et à tout bout de champ du principe de précaution a, sur le plan psychologique, profondément marqué la France. C'est ainsi que nous sommes devenus un pays gagné par la peur, le pessimisme, le doute, un pays qui remet sans cesse en cause ses réussites, un pays où l'inaction est en train de l'emporter sur l'action.

L'inaction est toujours plus dangereuse que l'action. Nous ne pouvons rester immobiles. C'est précisément pour cette raison qu'a été votée, en 2012, une résolution particulièrement bien calibrée à l'issue d'un travail préparatoire approfondi, avec un rapporteur de droite, Alain Gest et un rapporteur de gauche, Philippe Tourtelier, et que je vous invite à relire attentivement.

Tout récemment, l'Académie des sciences a consacré une de ses séances aux travaux de l'un de nos plus illustres chercheurs, un de ceux que le monde nous envie : le professeur Alain Carpentier, celui qui inventé le système de coeur artificiel CARMAT. Eh bien, sachez qu'il s'en est fallu de très peu qu'à cause du principe de précaution, à cause de ces peurs, la société CARMAT aille s'installer dans un autre pays !

Cette proposition de loi constitutionnelle, je l'ai évoqué, ouvre ce débat qui, parce que difficile et complexe, sera long. Bien sûr, je la soutiens, même si je ne pense pas que ce soit absolument ce qu'il faille faire. Nous commençons seulement un long travail, et celui-ci ne pourra déboucher que si nous savons dépasser les postures, les clivages, les préjugés. Il en va, j'en suis convaincu, de l'avenir de notre pays. Débattons donc de l'adjonction de quelques mots, dans la Constitution, tout en prévoyant une loi organique – ce dont nous avons le plus grand besoin pour éviter l'usage particulièrement préoccupant qui est désormais fait du principe de précaution.

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