Intervention de Patrick Mennucci

Réunion du 26 novembre 2014 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Mennucci :

Mon groupe se prononcera contre cette proposition de loi pour de nombreuses raisons.

Pour commencer, elle pose de sérieuses questions juridiques, et même un problème de constitutionnalité. Vous l'avez vous-même reconnu, monsieur le rapporteur, les amendements que vous avez déposés pour tenter d'y échapper le prouvent. La déchéance de la nationalité ne concernant que ceux qui l'ont acquise, et non tous les Français, il pourrait y avoir une rupture d'égalité entre ressortissants français. Certes, dans une décision du 16 juillet 1996, le Conseil constitutionnel a jugé que, bien qu'elle rompe l'égalité entre ressortissants français, la déchéance de la nationalité n'est pas contraire à la Constitution ; cependant, il a entouré cette sanction de garanties en décidant que l'autorité administrative ne peut retirer la nationalité que pour une durée limitée. L'article 25-1 du code civil prévoit : « La déchéance n'est encourue que si les faits reprochés à l'intéressé et visés à l'article 25 se sont produits antérieurement à l'acquisition de la nationalité française ou dans le délai de dix ans à compter de la date de cette acquisition ». Ce délai est porté à quinze ans en cas de délit, de crime ou de terrorisme. Or, votre texte ne prévoit aucune marge de temps.

Le Conseil constitutionnel a été saisi, ces derniers jours, d'une question préalable de constitutionnalité sur la déchéance de la nationalité par un individu déchu par un décret du 28 mai 2014 après avoir été condamné définitivement par le tribunal de grande instance de Paris pour avoir participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste. Si besoin était, cela prouve que la déchéance de la nationalité existe en France. Le moyen pris par le requérant est que les articles 25 et 25-1 du Code civil méconnaissent le principe d'égalité. Le Conseil d'État a considéré que la question présentait un caractère sérieux et méritait d'être tranchée par le Conseil constitutionnel. Personne ne sait encore quand celui-ci rendra sa décision. Quoi qu'il en soit, cela doit nous inciter à attendre qu'il statue, sous peine de nous retrouver avec une proposition de loi qui risquerait d'être en contradiction avec la décision du juge constitutionnel.

Remarquons que, dans trois cas sur les quatre prévus en l'état actuel du droit, la déchéance est prononcée sur fondement d'une condamnation. Dans le quatrième cas, qui sanctionne le fait de s'être livré au profit d'un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France, la déchéance ne nécessite pas de jugement définitif ; les actes sont appréciés par l'administration, mais sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir. Aucune garantie de ce genre ne figure dans le texte que vous proposez.

D'une manière générale, votre proposition de loi apparaît mal rédigée, comme le montrent les amendements que vous avez été contraint de déposer, qui en modifient profondément l'économie.

En fait, les propos de nos collègues Collard et Bompard en témoignent, votre initiative est fondée sur des préjugés défendus par une partie de l'UMP – un courant du reste très minoritaire, si j'en juge aux effectifs venus vous soutenir. Votre proposition de loi ne correspond pas à la réalité et n'a d'autres buts que d'envoyer des signaux – de très gros clins d'oeil – au Front national. La déchéance de nationalité ne peut être prononcée qu'à l'encontre des binationaux, le droit international interdisant de fabriquer des apatrides. À croire que les signataires de cette proposition de loi ne considèrent les jeunes partants faire le djihad que comme des binationaux, baignés depuis leur plus jeune âge dans la religion musulmane, dont les parents algériens auraient obtenu un peu par hasard la nationalité française… Voilà l'histoire que vous vous racontez !

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