Intervention de Jean-Louis Roumegas

Réunion du 25 novembre 2014 à 17h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Roumegas :

Comme je l'expliquais dans mon précédent rapport d'information, il y a neuf mois, les perturbateurs endocriniens font peser un risque majeur non seulement sur la santé humaine mais aussi sur les générations futures. Présents dans un large panel de produits de consommation courante, ils se caractérisent en effet non pas par une toxicité directe mais par des modifications du système de régulation hormonale susceptibles de provoquer des dérèglements des fonctions vitales.

Un consensus international est désormais acquis pour leur reconnaître plusieurs spécificités : premièrement, leur toxicité n'est pas fonction de la dose de produit ingéré dans l'organisme d'un individu mais du stade de développement auquel celui-ci se trouve à l'instant de l'exposition ; deuxièmement, l'intoxication consécutive à l'exposition à ces substances est susceptible de ne se manifester par l'apparition de maladies graves que plusieurs décennies plus tard, voire sur les générations futures ; troisièmement, compte tenu de la multiplicité des biens de consommation contaminés, leur nocivité tient à deux effets multipliant le risque, l'effet cumulatif et l'effet cocktail.

Les plus éminents représentants des communautés scientifiques européennes compétentes ont formellement adhéré à ces conclusions, coupant court aux polémiques quant à l'opportunité de légiférer, nourries par certains milieux industriels et manifestement encouragées par certaines instances de la Commission européenne.

Je crois effectivement que l'Union européenne n'a que trop tardé pour agir. L'urgence est au demeurant non seulement sanitaire mais aussi juridique, dans la mesure où les règlements en vigueur relatifs aux phytosanitaires et aux biocides prévoyaient de manière expresse l'édiction d'une définition des perturbateurs endocriniens avant la fin 2013, afin de prendre correctement le problème en compte, sur la base de critères adaptés et non plus temporaires.

La première étape a enfin été franchie avec la publication, en juin dernier, d'une feuille de route de la Commission européenne.

Ce document propose d'abord quatre options scientifiques pour définir les critères d'identification des perturbateurs endocriniens : option 1, pas de changement de politique, les critères provisoires énoncés dans les règlements « phytosanitaires » et « biocides » continuent de s'appliquer ; option 2, définition de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour identifier les perturbateurs endocriniens ; option 3, définition de l'OMS et introduction de catégories additionnelles fondées sur la force de la preuve afin de répondre à cette définition ; option 4, définition de l'OMS et inclusion de la dose d'exposition comme élément de caractérisation du risque.

La feuille de route propose ensuite trois options d'approche pour la prise de décision politique : option A, pas de modification des dispositions relatives aux critères d'exclusion présentes dans les législations sectorielles ; option B, introduction d'éléments supplémentaires d'évaluation des risques afin de réduire des impacts socio-économiques potentiels ; option C, introduction de considérations socio-économiques supplémentaires, incluant des analyses bénéfices-risques.

C'est sur ces deux séries d'hypothèses alternatives qu'est adossée la consultation publique ouverte le 14 octobre 2014 par la Commission européenne. Il m'a semblé utile de proposer à notre Commission d'y répondre, afin de confirmer la volonté des parlementaires français de faire avancer ce dossier et de soutenir les initiatives visionnaires du Gouvernement dans ce domaine.

La France a en effet été, après le Danemark, l'un des deux premiers États membres de l'Union européenne à avoir élaboré une stratégie nationale globale et concrète sur la question des perturbateurs endocriniens.

S'agissant du choix scientifique, l'option 1 ferait fi des avancées scientifiques déterminantes enregistrées ces dernières années. Exposées notamment dans le rapport Kortenkamp, celles-ci ont été validées par la Commission européenne et l'Agence européenne des produits chimiques. Si les critères prévus dans ces deux textes étaient qualifiés de « provisoires », c'est justement parce que des avancées scientifiques proches étaient pressenties et qu'il apparaissait déjà logique à l'époque de prévoir leur remplacement rapide par des critères plus solides.

De même, l'option 4 n'aurait aucun sens puisque la définition de l'OMS, qui date de 2002, a été depuis lors enrichie par des avancées scientifiques démontrant de façon incontestable que, s'agissant des perturbateurs endocriniens, ce n'est pas la dose qui fait le poison. Inclure cette notion comme élément de caractérisation du risque constituerait une négation de l'évidence scientifique et reviendrait finalement à traiter les perturbateurs endocriniens comme n'importe quelle autre substance chimique dangereuse.

Les deux solutions restantes sont à privilégier car elles prennent en compte le danger intrinsèque des perturbateurs endocriniens. Entre les deux, l'option 3 – définition de l'OMS assortie de catégories additionnelles fondées sur la force de la preuve – me semble préférable. Elle permettrait en effet, à l'instar de ce qui est prévu dans la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE), de distinguer entre trois catégories au sein de la classe des perturbateurs endocriniens, en fonction du degré de certitude : les perturbateurs endocriniens avérés ; les perturbateurs endocriniens présumés ; les perturbateurs endocriniens suspectés.

Cette approche est la plus pragmatique car il existe toujours une zone grise dans les connaissances scientifiques. Elle est d'ailleurs déjà pratiquée avec succès pour classifier les produits cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR).

S'agissant du choix de l'approche présidant à la prise de décision politique, je constate que les options B et C se traduiraient par une remise en cause des avancées contenues dans les règlements « phytosanitaires » et « biocides ». Les critères d'exclusion que ces textes contiennent seraient en effet assouplis, conditionnés à l'absence d'impacts socio-économiques.

Or il est évident que l'encadrement de l'usage d'une substance chimique, voire son interdiction pure et simple, a automatiquement des conséquences socio-économiques lourdes à court terme pour les secteurs industriels impactés. Cette considération ne doit cependant pas entraver la mise en place de mesures adaptées à la dangerosité des perturbateurs endocriniens, d'autant que précaution rime avec innovation : des travaux d'innovation bien ciblés permettent généralement de développer des solutions industrielles alternatives inoffensives, comme en atteste un rapport gouvernemental rendu public il y a quelques jours.

À ce stade, c'est-à-dire le plus en amont possible de la future stratégie européenne sur les perturbateurs endocriniens, il convient donc de sauvegarder la pleine application des règlements sur les produits phytopharmaceutiques et biocides, en choisissant l'option A, la seule à même de ne pas affaiblir la portée des règlements en vigueur.

Une fois la consultation publique close, il reviendra à la Commission européenne de proposer une définition des critères d'identification des perturbateurs endocriniens, qui, espérons-le, sera conforme aux attentes de la communauté scientifique et des organisations non gouvernementales spécialisées sur les questions de santé environnementale.

Mais l'adoption de cette définition ne doit évidemment être appréhendée que comme une étape, la protection de l'environnement et des personnes nécessitant impérativement, sur ce futur socle, la mise en oeuvre d'une stratégie globale, à commencer par le vote d'un texte transversal visant à réduire l'exposition aux perturbateurs endocriniens.

L'enjeu est du reste également économique. En effet, si le coût de l'inertie politico-administrative de l'Union européenne est difficile à chiffrer, il atteint vraisemblablement des dizaines de milliards d'euros par an, compte tenu du fardeau que fait peser l'explosion des maladies chroniques non transmissibles sur les comptes sociaux, à travers les coûts directs de traitement de ces affections mais aussi les coûts indirects de perte de productivité liés aux arrêts de travail. Des travaux allant dans ce sens viennent d'être publiés par l'organisation non gouvernementale The Health and Environment Alliance ou encore par le Conseil nordique des ministres de l'environnement.

Je vous propose donc que notre Commission se prononce en faveur des conclusions suivantes : qu'elle regrette à nouveau le retard pris par la Commission européenne dans la mise en oeuvre d'une stratégie européenne sur les perturbateurs endocriniens ; qu'elle prenne néanmoins acte de la publication de la feuille de route et de l'organisation de la consultation publique, censés constituer des préalables à l'élaboration de ladite stratégie ; qu'elle se prononce en faveur des options 3 et A, pour les raisons que je vous ai indiquées ; qu'elle invite les autorités européennes à agir sans délai, une fois la consultation publique close, pour adopter une stratégie d'ensemble sur les perturbateurs endocriniens, incluant en particulier un texte transversal qui visera à réduire l'exposition à ces substances.

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