Le Triangle de Weimar a été initié par les ministres des affaires étrangères allemand, français et polonais en 1991, afin de prendre acte de l'ouverture du « rideau de fer » et de préparer le processus d'unification continentale au sein de l'Union européenne. L'idée était d'élargir le couple franco-allemand et ainsi de consolider la réconciliation entre nos deux partenaires et, au-delà, entre pays d'Europe occidentale et centrale.
Avec l'entrée de la Pologne dans l'Union européenne en 2004, le triangle de Weimar a répondu à cette attente historique. Il s'agit aujourd'hui d'un lieu de débat fructueux sur toutes les questions stratégiques pour l'avenir de l'Union et d'un format de coopération utile pour faire avancer certains dossiers européens.
Au niveau parlementaire, les commissions des affaires européennes de l'Assemblée nationale, du Bundestag, de la Diète polonaise et du Sénat polonais ont l'habitude de se rencontrer depuis 1992.
La dernière session vient de se tenir à Berlin, les 13 et 14 novembre. J'y conduisais notre délégation, qui était également composée de Nathalie Chabanne, Jérôme Lambert et Pierre Lequiller, et j'ai coprésidé les débats en compagnie de mes homologues Gunther Krichbaum, AgnieszkaPomaska et Edmund Wittbrodt.
Trois thèmes étaient à l'ordre du jour ; je vais vous présenter un bref compte rendu des débats. Sachez aussi que nous avons rencontré l'ambassadeur de France à Berlin, Philippe Étienne, qui, de par son parcours, est toujours un interlocuteur intéressant sur les questions européennes. Quant au Président Norbert Lammert, il nous a fait l'honneur de venir clore les débats.
Compte tenu de la sensibilité de l'Allemagne et plus encore de la Pologne sur la question du voisinage oriental, nos collègues du Bundestag ont évidemment mis la crise ukrainienne au premier rang des sujets à aborder.
Les parlementaires polonais ont rappelé combien le rapprochement de leur pays avec l'Union européenne puis son adhésion lui ont été profitables : son PIB est aujourd'hui cinq fois supérieur à celui de l'Ukraine, alors qu'ils s'établissaient à des niveaux équivalents il y a vingt-cinq ans. Ce constat devrait évidemment encourager les responsables politiques et le peuple ukrainiens à persévérer dans leur marche vers l'Union européenne, quelques mois après la signature d'un accord d'association historique.
L'ensemble des participants se sont accordés sur la nécessité de multiplier les initiatives diplomatiques européennes coordonnées pour éviter un regain d'escalade et faire enfin respecter le cessez-le-feu signé début septembre à Minsk, en restant fermes sur les principes de respect de la démocratie et de souveraineté des États, tout en se montrant à l'écoute des préoccupations russes. La grande majorité des participants se sont prononcés en faveur du maintien de la tactique des sanctions individuelles et collectives pour faire pression sur la Russie, à l'exception des représentants de Die Linke, qui ont émis des doutes sur sa légitimité et son efficacité. Or nos amis polonais veulent pousser à une adhésion rapide de l'Ukraine à l'Union européenne, ce qui, pour la Russie, fait l'effet d'un chiffon rouge.
Un député allemand et un député polonais nous ont interrogés à propos de l'éventuelle livraison à la Russie des deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) Mistral. Jérôme Lambert leur a indiqué, d'une part, qu'il s'agissait d'un engagement d'État et que, d'autre part, le Président de la République réservait encore sa décision à ce sujet et qu'il n'était pas anodin, en tout état de cause, de passer par pertes et profits les quelque 2 milliards d'euros attendus de cette transaction. Rappelons que la France, malgré son déséquilibre budgétaire, endosse une part importante des dépenses européennes de défense et de sécurité, mais aussi du prix du sang sur les théâtres d'opération extérieures, sans toujours bénéficier de la solidarité européenne qu'elle serait en droit d'attendre de la part de ses partenaires, qui bénéficient pourtant de ses efforts.
Notre délégation a également souligné que la gravité de la situation ukrainienne ne devait pas entraîner l'Europe à négliger deux autres volets essentiels du voisinage.
Premièrement, le partenariat oriental ne se résume pas à l'Ukraine. Les cinq autres États participants, tous situés aux marches de la Russie, entretiennent des relations compliquées avec ce pays ; quatre d'entre eux – l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Moldavie et la Géorgie – sont même meurtris par des conflits gelés, souvent depuis plus de trois décennies, dans lesquels leur grand voisin joue un rôle plus ou moins actif.
Deuxièmement, nombre de pays de l'espace méditerranéen – second pilier de la politique européenne de voisinage –, sont également en proie à des situations conflictuelles, liées à l'essor de l'islam radical, susceptibles d'avoir des incidences graves sur nos territoires. Les efforts diplomatiques et militaires entrepris par l'Europe dans cette direction ne doivent donc pas être relâchés. Il est toujours bienvenu de le rappeler à nos partenaires de Weimar, évidemment davantage enclins, de par leur géographie et leur histoire, à se tourner vers l'Est.
La question de l'Union européenne de l'énergie a constitué le deuxième temps fort de la session. Je m'en suis vivement félicitée car je considère que la construction d'une Union de l'énergie doit être érigée comme l'une des priorités européennes. Compte tenu des enjeux actuels, c'est en effet une question aussi stratégique que l'était l'industrie du charbon et de l'acier dans les années 50. Le format Weimar constitue un laboratoire intéressant car nos trois États se caractérisent par des bouquets énergétiques très différents, correspondant, à mon sens, à trois stades historiques de développement économique soutenable.
Tous les aspects de cette organisation à concevoir et à bâtir ont été évoqués : marche vers un mix énergétique moins carboné et plus intensif en renouvelables et amélioration de l'efficacité énergétique ; renforcement de l'indépendance énergétique et sécurisation des approvisionnements, notamment à travers la constitution de groupements d'achat ; optimisation des réseaux et des interconnexions intra-européennes.
En ce qui concerne l'action climatique, j'ai noté de larges convergences avec nos collègues allemands. Après le Conseil européen de fin octobre, cela augure bien des positions que l'Union européenne pourra défendre dans le cadre de la COP Paris climat de l'an prochain. La position de la Pologne est évidemment moins proactive. Là est tout l'intérêt du format Weimar : avancer, petit à petit, vers des positions communes conformes à l'intérêt collectif de nos peuples.
Je proposerai d'ailleurs que la question du climat et la préparation de la COP 21 soient à l'ordre du jour de notre prochaine réunion parlementaire tripartite. Puisque ce sera à notre tour de recevoir, celle-ci pourrait se tenir à Paris au printemps prochain.