Intervention de Sandrine Mazetier

Réunion du 25 novembre 2014 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Mazetier, rapporteure :

Issu d'une concertation nationale présidée par deux de nos collègues parlementaires, la sénatrice Valérie Létard et le député Jean-Louis Touraine, et très inspiré du rapport du comité d'évaluation et de contrôle (CEC) de notre assemblée – dont je salue les deux rapporteurs, Jeanine Dubié et Arnaud Richard –, ce projet de loi portant réforme de l'asile est ambitieux car il vise répondre à un double défi. D'une part, être capable de faire face à l'augmentation considérable de la demande d'asile, qui a doublé en France depuis 2007, mais touche aussi les autres pays de l'Union européenne, notamment l'Allemagne et la Suède, en raison de la dégradation du contexte international et de l'augmentation des risques de persécution dans de nombreux pays. D'autre part, améliorer les conditions d'accueil des demandeurs d'asile, qui sont aujourd'hui indignes, du fait de l'allongement des délais d'enregistrement et d'examen des demandes. En transposant les directives « Accueil », « Qualification » et « Procédure » et en mettant en oeuvre le règlement Dublin III, le présent projet de loi permettra à la France de se conformer à ses obligations européennes avant le 1er juillet 2015.

Deux piliers majeurs en constituent la base. D'abord, l'accélération des délais de traitement de la demande d'asile à tous les stades de la procédure, de la phase d'enregistrement de la demande d'asile jusqu'à la décision définitive accordant ou non le statut de réfugié ou la protection subsidiaire. Ensuite, l'hébergement directif des demandeurs d'asile afin d'améliorer leurs conditions d'accueil et leur répartition territoriale pour réduire les files d'attente devant les préfectures et mettre fin à l'engorgement des services d'accueil et d'hébergement que l'on constate un peu partout – notamment en région parisienne et en région lyonnaise, qui recueillent aujourd'hui près de 70 % de la demande, mais aussi dans des métropoles régionales qui n'avaient jamais connu cela précédemment.

Je serai donc particulièrement attentive à ce que les amendements adoptés par notre Commission ne remettent pas en cause ces deux piliers de la réforme proposée par le Gouvernement. Ces objectifs doivent être atteints pour restaurer le droit d'asile.

Je veux souligner les grandes avancées de ce projet de loi : la consécration dans la loi de l'indépendance de l'OFPRA, l'accroissement des garanties procédurales offertes à tous les demandeurs d'asile, comme le fait d'être assisté d'un tiers à l'OFPRA, la prise en compte de la vulnérabilité des demandeurs d'asile à tous les stades de la procédure, l'extension des conditions d'accueil à tous ces demandeurs, qu'ils soient en procédure accélérée, en procédure normale, ou qu'ils entrent dans le cadre de la procédure « Dublin », c'est-à-dire lorsque la demande doit être traitée par un autre pays membre de l'Union européenne.

J'ai noté une forte convergence de préoccupations dans les amendements déposés par les groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP, mais aussi par la délégation aux droits de femmes, dont je salue le travail. J'ai voulu répondre au plus grand nombre d'entre elles par des amendements ou sous-amendements visant à améliorer le dispositif, sans remettre en cause l'équilibre général de la réforme.

S'agissant de la procédure suivie à l'OFPRA, je vous inviterai à enrichir la composition du conseil d'administration de cet organisme par la présence d'un représentant du ministère chargé des affaires sociales et celle d'un représentant du ministère chargé des droits des femmes. Je vous proposerai aussi d'élargir le nombre de tiers susceptibles d'accompagner le demandeur d'asile à l'OFPRA en prévoyant, au-delà de l'éventualité de la présence d'associations de défense des droits des demandeurs d'asile, celle des associations protectrices des droits de l'homme, de la femme, des enfants, ainsi que des associations luttant contre les persécutions fondées sur le sexe ou l'orientation sexuelle. De même, je vous suggérerai de prévoir que le conseil d'administration de l'OFPRA révise régulièrement la situation des pays tiers désignés comme pays d'origine sûrs.

Concernant la procédure d'asile à la frontière, je vous proposerai de supprimer plusieurs cas d'irrecevabilité au bénéfice du demandeur et de renforcer le caractère exceptionnel du maintien des mineurs isolés en zone d'attente.

Dans le cadre de la procédure d'asile en rétention, je vous inviterai à garantir le droit pour le demandeur d'avoir accès à une assistance juridique et linguistique lui permettant d'exercer un recours effectif.

S'agissant de la procédure devant la CNDA, plusieurs amendements visent à améliorer les garanties offertes au requérant en permettant par exemple au juge unique de renvoyer en formation collégiale l'examen de toute demande d'asile présentant une difficulté sérieuse, ou en introduisant des critères d'expérience au sein de cette cour pour devenir juge unique, auxquels s'ajouterait la garantie de présence d'un rapporteur ayant instruit le dossier, même en procédure accélérée.

Concernant la procédure d'enregistrement de la demande d'asile, je vous inviterai à inscrire dans la loi les délais prévus par la directive afin de conforter le premier pilier de la réforme relatif à l'accélération du traitement de la demande dès la première phase de la procédure, en supprimant explicitement la condition préalable de domiciliation.

S'agissant des garanties offertes aux « dublinés », je vous présenterai un amendement visant à doubler le délai de recours pour contester de façon effective la décision de transfert vers un autre État membre.

En ce qui concerne l'orientation directive vers un lieu d'hébergement, je vous invite à préciser que l'hébergement proposé par l'OFII doit tenir compte de la situation personnelle du demandeur et de ses besoins, et à supprimer le régime d'autorisation administrative de s'absenter des lieux d'hébergement.

Sur la prise en compte de la vulnérabilité, pour clarifier la portée du texte ainsi que ce qui relève de l'OFII – donc de l'adaptation des propositions d'accueil et d'hébergement – et ce qui relève de l'OFPRA – donc de l'examen au fond de la demande de protection –, je vous suggérerai de prévoir que les demandeurs sont informés de la possibilité de bénéficier d'un examen de santé gratuit. De même, je vous proposerai d'indiquer que les agents de l'OFII, qui évalueront les vulnérabilités, devront avoir reçu une formation spécifique à cette fin et de préciser que l'évaluation par l'OFII ne préjuge en rien de l'appréciation qui sera faite par l'OFPRA du bien-fondé de la demande.

Pour améliorer l'intégration des réfugiés et des bénéficiaires de la protection subsidiaire, je vous inviterai à permettre l'accès des demandeurs d'asile au marché du travail sur autorisation, après un délai de neuf mois et non d'un an, comme le prévoit le droit actuel. Je proposerai aussi de renforcer le droit fondamental à la réunification familiale, en l'étendant, conformément à la jurisprudence du Conseil d'État depuis 1997, au concubin d'un réfugié.

Enfin, je vous suggérerai de préciser les conditions applicables au contrôle médical destiné à protéger effectivement et durablement les mineures auxquelles l'asile a été accordé en raison d'un risque d'excision encouru dans leur pays d'origine.

Monsieur le ministre, le nombre d'amendements déposés, la multiplicité et la grande qualité des rapports de notre assemblée – je souhaite mentionner également celui de Mme Marietta Karamanli pour la commission des Affaires européennes ainsi que ceux pour avis de la commission des Affaires sociales, de la commission des Affaires étrangères et le rapport d'information de la délégation aux droits des femmes – démontrent l'implication des députés vis-à-vis d'un sujet, l'asile, auquel notre grande nation s'identifie et est identifiée dans le monde entier depuis la Révolution française. Ils traduisent aussi une forte attente vis-à-vis de cette réforme, tout ne relevant pas de la loi et certaines dispositions n'ayant que des échos discrets dans le texte proposé. Des questions importantes demeurent donc, que nous souhaitons vous poser. Je me limiterai pour ma part à deux.

D'abord, comment les députés et, plus largement les élus, seront-ils associés à l'élaboration et à l'évolution du schéma national et des schémas régionaux d'hébergement prévus par le texte ? Deuxièmement, si l'accueil en CADA devient la référence, ce qui est un immense progrès, malgré l'effort considérable de création de places depuis deux ans, tous les demandeurs n'y seront pas accueillis : est-il bien prévu d'homogénéiser l'accompagnement juridique et social des demandeurs de protection entre les différentes solutions d'hébergement qui leur seront proposées ?

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