Intervention de Guillaume Larrivé

Réunion du 25 novembre 2014 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Larrivé :

Monsieur le ministre, madame la rapporteure, nous sommes d'accord sur les objectifs poursuivis par ce texte. Nous aussi, nous voulons préserver la tradition d'accueil des combattants de la liberté. Il n'y a pas, d'un côté, les bons républicains, généreux, ouverts, vertueux, détenant le vrai, le bon, le juste et, de l'autre, les affreux – nous – qui serions nécessairement dans la restriction, prêts à combattre la veuve et l'orphelin. Dépassons tout cela : nous poursuivons les mêmes objectifs que vous de préservation de la tradition française du droit d'asile.

De même, nous pensons nécessaire et souhaitable d'accélérer le traitement des demandes en renforçant les moyens et les modalités d'organisation de l'OFPRA et de la CNDA. Vous vous inscrivez d'ailleurs, sur ce point, dans la continuité des efforts des six ou sept années précédentes. La création de la CNDA, en 2007, a eu en effet comme objectif de professionnaliser feue la Commission de recours des réfugiés qui était une instance aimable, composée de membres honoraires du Conseil d'État et de la Cour de cassation, qui se réunissait parfois pour traiter de ces questions, mais qui le faisait à un rythme quelque peu incertain.

Après ces deux points d'accord, il y a tout de même quelques points de désaccord, qui portent sur les modalités de cette réforme. J'en reprendrai trois.

En premier lieu, nous nous inquiétons de la généralisation des recours suspensifs, y compris en cas de procédure dite accélérée – autrefois appelée « prioritaire ». Même si tel n'est pas son objet, cette généralisation aura pour effet d'allonger les procédures.

Autrefois, dans le cadre d'une procédure prioritaire, le recours n'était pas suspensif, et l'administration avait donc la faculté – même si elle y parvenait rarement – d'éloigner le demandeur d'asile débouté. Ce ne sera plus le cas. Nous allons donc rentrer dans un cercle sans fin de rejets, de demandes en réexamen et de recours suspensifs.

En outre, et à moins que vous ne m'apportiez la preuve technique du contraire, une telle mesure videra de sa substance le principe même des pays d'origine sûrs. En effet, qu'on soit originaire d'un pays d'origine sûr, ou pas, le même régime procédural s'appliquera. La liste des pays d'origine sûrs est déjà réduite à la portion congrue, sous l'effet d'une jurisprudence assez « créative » du Conseil d'État – qui, dans sa sagesse, en a récemment retiré le Kosovo. Je ne comprends vraiment pas pourquoi la généralisation des recours suspensifs a été proposée avec autant de vigueur dans ce texte.

En deuxième lieu, l'articulation entre ce texte et la pratique administrative – d'ailleurs non définie par la loi, mais par la circulaire que le ministre de l'Intérieur Manuel Valls a prise à la fin de l'année 2012 et qui est encore appliquée aujourd'hui – nous pose problème.

L'augmentation du nombre des régularisations est un fait technique : il y en avait 23 294 en 2012, ce qui était déjà conséquent ; il y en a eu 35 270 en 2013, soit une augmentation de 51,4 %. On voit bien qu'à mesure de l'augmentation du nombre de régularisations, on offre aux déboutés du droit d'asile la perspective d'entrer dans la légalité. Et comme l'a excellemment démontré tout à l'heure Éric Ciotti, on réduit de facto, voire de jure, la différence entre le réfugié et le débouté. En conséquence, s'il suffit de faire une demande d'asile pour être, in fine, via la régularisation, admis au séjour en France, on crée, même si on ne le souhaite pas ab initio, une filière d'immigration clandestine évoluant vers une filière d'immigration régularisée, et donc vers une augmentation des flux.

Notre troisième et dernier sujet de désaccord porte sur le traitement des déboutés. Je pense en effet qu'il faudrait retravailler la question afin d'écrire un jour en droit européen et en droit français que le rejet d'une demande d'asile entraîne quasiment automatiquement le retour dans le pays d'origine, et donc l'interdiction de présenter une demande de séjour d'un autre chef que celui de la demande d'asile pour laquelle une décision de rejet a été prise. C'est absolument nécessaire, si l'on veut prendre le droit d'asile au sérieux tout en continuant à lutter contre l'immigration clandestine. Si nous n'évoluons pas dans cette direction, je crains qu'en 2017, au moment où les Français décideront, ou non, de « renouveler votre bail », le chiffre des demandes d'asile ne dépasse très largement 90 000 ou 100 000 par an. Car c'est bien dans cette direction, hélas, que vous nous emmenez.

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